Prendre le temps ?
Archéologie et changement climatique
quels chantiers !
Publié le 20/10/2020 à 14:04 - 5 min - Modifié le 17/03/2023 par Département Civilisation
Les scientifiques estiment que plus de 20 % des sites inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco seraient menacés dans les prochaines années. La course contre la montre est enclenchée pour réaliser les fouilles qui s’imposent aujourd’hui, mettre en sécurité ce qui pourra être étudié par les générations futures avec les moyens qui seront les leurs, numériser ce qui peut l’être.
Présent de l’archéologie
Au carrefour des différentes sciences sociales et humaines, histoire, anthropologie, sociologie, l’archéologie vient en permanence interroger tant notre construction du passé et des récits qui le véhiculent, que notre souci du patrimoine envisagé comme bien commun. Ce n’est pas une discipline hors-sol, ce serait un comble, mais bien « une science au cœur de notre temps » comme le rappelle Jean-Paul Demoule dans son dernier ouvrage Aux origines, l’archéologie : une science au coeur des grands débats de notre temps de Jean-Paul Demoule.
Lorsqu’en 1991 un glacier alpin de l’Ötztal italien délivra à plus de 3000 m d’altitude le corps momifié d’un homme, un nouveau pan de l’archéologie connut une reconnaissance internationale : l’archéologie glaciaire. Cependant, sous d’autres latitudes, l’influence du changement climatique sur les fouilles archéologiques devenait aussi source d’une attention soutenue : montée des eaux, dégel des sols, désertification ou amplification des phénomènes saisonniers, incendies signalaient l’urgence du traitement de certains sites.
La revue Dossiers d’archéologie publie dans son dernier numéro un état des lieux alarmant sous le titre Dérèglement climatique : péril sur le patrimoine. Les différentes contributions, en mettant en avant quelques lieux emblématiques soumis aux aléas climatiques, permettent un tour d’horizon des problématiques actuelles.
Archéologie glaciaire voire postglaciaire !
Nous savions que les archives glaciaires (carottes) nous en apprenaient beaucoup sur le passé climatique de notre planète, mais nous mesurons toujours plus le rôle de « congélateurs » des glaciers et leur rôle pour la connaissance des hommes du passé. Le documentaire diffusé sur Arte, Les trésors des glaces montre combien l’abondance des matériaux livrés par les glaciers chaque année devient un réel souci pour les archéologues : course contre la montre pour passer avant les randonneurs et autres chasseurs de trésors, protection des sites et des objets contre l’oxygénation qui leur serait fatale, traitement des données. Le traitement d’Ötzi , la momie du Tisenjoch découverte par des promeneurs à la frontière entre l’Autriche et l’Italie en 1991, avait justement souffert du manque de précautions tant au moment de son extraction de la glace que de sa conservation ultérieure.
Plus récemment, ce sont des effets et armes rendus par la glace qui ont mobilisé une équipe de chercheurs suisses dans l’espoir de retrouver le corps de cet individu dont la présence sur le col du Schnidejoch il y a plus de 5000 ans remet en cause quelques idées reçues sur les déplacements et pratiques de chasse de l’époque, Schnidi et la révolution néolithique .
Ces préoccupations de rapidité d’exploration du site et de maintien des conditions sont partagées par les scientifiques travaillant sur les archives conservées dans le permafrost (ou pergélisol, en français) qui ont beaucoup à nous apprendre sur la civilisation des Scythes de Mongolie, par exemple. Deux films en rendent compte : Le mystère des tombes gelées de Sibérie : une jeune femme scythe sort des glaces, réalisé par Françoise Levie et Le sarcophage glacé de Mongolie, de Cédric Robion.
Éric Thirault, le directeur du département d’Histoire de l’Art et d’Archéologie de l’Université Lumière Lyon 2, cité dans cet article du National Geographic s’inquiète de l’avenir de sa discipline : « On est vraiment dans une archéologie d’urgence, de sauvetage, c’est maintenant qu’il faut agir. Ma génération verra la fin des cols englacés et de cette archéologie-là. » D’Eric Thirault encore : Back to Black : quand les glaciers fondent, les archéologues prennent de la hauteur, ArchéOrient – Le Blog, 8 novembre 2019.
Le changement climatique, deux fois plus prononcé au pôle Nord que sur le reste de la planète, compromet la conservation de quelques 180.000 sites archéologiques, majoritairement dans l’Arctique. En effet, la hausse des températures sur la planète accélère la fonte des glaciers et des banquises, et augmente le volume des océans. Selon le dernier rapport du GIEC le niveau de la mer pourrait augmenter de 1,10 mètre d’ici à 2100. Des phénomènes climatiques saisonniers comme La Niña, des courants d’eau anormalement froide qui affectent les températures de l’air, mettent en péril les célèbres Moaïs de l’Ile de Pâques, par exemple. Lire l’article publié dans L’ŒIL n°722 du 1 avril 2019, sous le titre : Le réchauffement climatique met l’archéologie en ébullition
Montée des eaux
L’article du National Geographic Le patrimoine méditerranéen menacé par la montée des eaux se fait l’écho d’une étude réalisée par une équipe de chercheurs britanniques et allemands dans la revue Nature, en octobre 2018. Selon eux 49 sites méditerranéens du patrimoine mondial se trouvant à moins de 10 m au-dessus du niveau de la mer seraient potentiellement en danger.
Submersions mais aussi érosion des côtes et envasement mettent à mal la conservation des littoraux et vouent à une disparition prochaine des grottes et autres sites qui attestent de la présence d’êtres humains depuis des temps reculés, avec des pratiques culturelles et agricoles tout à fait originales. En effet, « l’archéologie du littoral cherche à éclairer les problématiques de peuplement, de ressources, d’habitat et d’urbanisme dans le temps long, sur cette bande plus ou moins fine attenante à l’espace marin (de la limite des eaux territoriales, à 12 milles marins, jusqu’à une partie variable de l’« arrière-pays »). L’archéologie maritime vise, elle, au travers de l’étude des épaves, des infrastructures portuaires civiles et militaires, des zones de mouillage, à restituer les échanges de biens et de personnes et à mieux comprendre l’histoire maritime.” Sur le site de l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives dont le focus de l’année 2020 devait être consacré à l’archéologie de la mer.
Sécheresse, vents violents, éboulements, incendies
D’autres évènements climatiques viennent ainsi mettre en péril des sites millénaires dans une série de fléaux apocalyptiques. Ce sont, en Aghanistan et en Afrique, l’alternance de sécheresse et de pluies torrentielles accentuant le ruissellement et fragilisant les monuments construits en brique et argile crues. Ou les infiltrations d’eaux souterraines menaçant d’envahir en Egypte des catacombes vieilles de 2000 ans tandis que les dernières canicules, en Savoie, en entraînant la baisse du niveau des lacs, fragilisent les sites palafittiques préhistoriques. Dans notre catalogue : L’homme et son environnement : des lacs, des montagnes et des rivières .
Le feu, quant à lui, a détruit des milliers de sites rupestres en Australie, accélérant le processus d’érosion, cuisant les œuvres, faisant éclater la pierre, alors qu’en Amazonie il ne cesse de mettre au jour d’anciennes structures précolombiennes.
Tout serait-il donc irrémédiablement en train de disparaître ? Là encore, la technologie 3D vient au secours des archéologues. La numérisation des sites et monuments, tout en assurant la pérennité de nos connaissances en garantit l’accès à un plus grand nombre.
Enfin, pour aller plus loin, ou juste à côté de chez vous : ArchéOdyssée
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