WILLEM, RIRE DU PIRE
De Hara-Kiri à Charlie Hebdo, un évangile bref et chaotique
Publié le 06/12/2023 à 12:02 - 23 min - Modifié le 03/01/2024 par PASDEçaDANSMONSERVICE
Hara-kiri est un mensuel, mais aussi un hebdomadaire, qui deviendra ensuite un Hebdo, puis un mensuel, un Charlie matin, un Charlie mensuel et enfin, un Charlie Hebdo. Les périodicités et les noms changent au gré des humeurs et des censures politiques. Presse d’avant-garde, ce(s) titre(s), qui se veu(len)t d’abord humoristique(s) ou même « bête et méchant », révolutionne(nt) les mentalités de l’époque. Cavanna et Choron, c’est l’aventure d’un périodique qui « panse » avec les mots en blessant la morale, c’est avant tout une conviction intellectuelle intransigeante opposée à un champ politique particulièrement réactionnaire et obtus.
L’Apocalypse et la censure
Le 17 novembre 1970, le journal “Hara-Kiri” était interdit de parution. Sur décision expresse et univoque du ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin, le journal ne paraîtra plus.
La cause officielle de cette interdiction serait l’effet moral de ce journal sur la jeunesse. Le ministre se souciant de la moralité de cet hebdomadaire « plus que douteux », et de l’éducation des jeunes de la Nation. On parlera même de pornographie. On y interdit donc l’exposition, la publicité par voie d’affichage, la vente aux mineurs de 18 ans ; autant dire, que l’arrêté, inscrit au Journal Officiel, est une mise à mort pure et simple du journal.
Car au-delà du souci puéril de protéger une partie de la population, c’est, avant tout, la Une de l’Hebdo Hara-Kiri qui choque le ministre de l’Intérieur et qui est révélatrice d’une fracture récurrente entre les politiques et la population.
Cet hebdomadaire signe ainsi sa plus belle et plus emblématique « Une » de son histoire courte. Condensé de méchanceté, de critique acerbe et de légèreté, Hara-Kiri titre : « Bal tragique à Colombey : 1 mort ». Ce titre renvoie d’une part à la mort du Général De Gaulle et, d’autre part, à l’évènement tragique de l’incendie du dancing « le 5-7 » à Saint Laurent du Pont, en Isère. Fait divers et fait politique, l’amalgame scandalise, la parodie et la légèreté font que ce journal s’attire les foudres calamiteuses d’une bonne partie de la classe politique. L’irrévérence est une marque que le magazine, en ses multiples mutations, conservera jusqu’à la convulsion.
Le journal se meurt donc comme se meurt, au même moment, avec un cynisme d’outre-tombe, sa victime éditoriale du jour.
C’est l’ironie absolue, le titre coule et achève l’expérience alternative, mais, les rendra, en même temps, célèbre au plus grand nombre, dans une presse nationale qui crie, avec justesse, à la censure. L’Obs’ abritera, pour un temps, le journal Hara-Kiri en signe de protestation. Paradoxalement, cette interdiction est une publicité extraordinaire qui, profitant de l’aubaine, autorisera ces joyeux drilles à reprendre l’aventure en d’autres titres. L’aubaine est énorme, tous s’engouffrent dans la brèche et créent tour à tour Charlie, Charlie matin, Charlie mensuel et Charlie Hebdo jusqu’en 1982.
Le scandale provoqué par la censure politique est l’acte de naissance d’un journal qui verra son audience se démultiplier jours après jours. Le public découvre plus largement l’humour de ce journal imbécile et heureux de l’être, « bête et méchant », une déconnade qui correspond à l’esprit du temps.
« L’hebdo Hara-Kiri est mort. Lisez Charlie Hebdo, le journal qui profite du malheur des autres. »
La Génèse et le contenu
Hara-Kiri est un mensuel français créé en 1960 sous l’impulsion, la ténacité de ces deux principaux animateurs, François Cavanna et Georges (-dit Georget) Bernier. Ce journal, durant son existence courte mais intense, se déclinera en deux versions, une version mensuelle, et une autre version au format Hebdo, qu’il s’agisse d’Hara-Kiri ou de Charlie.
Comment tout ceci a bien pu débuter ?
- Zéro et Cordées
Au commencement des commencements, le verbe manquait et l’intention n’y était pas encore. Cavanna et Georges Bernier ne se connaissaient pas, même s’ils travaillaient dans la même rédaction, à savoir la Revue Zéro et Cordées. Ils se côtoyaient à peine. Georget était le chef des colporteurs (la presse pendant longtemps se vendait dans la rue). Cavanna était secrétaire, puis rédacteur en chef du journal.
Zéro et Cordées sont deux magazines précurseurs de ce qui allait devenir l’aventure de ces deux troublions à l’ordre public. Magazine BD, humoristique à périodicité variable durant 5 ans, fondé par Jean Novi en 1953. Cordée fera suite au précédent titre en 1958. La revue change de nom par simple décision du fondateur. La ligne éditoriale évolue et ne semble pas plaire à la plupart des collaborateurs de la revue.
François Cavanna propose à Georges Bernier de quitter le journal avec son équipe de colporteurs. L’idée est de quitter la rédaction afin de créer leur propre magazine avec leurs idées, novatrices assurément. François Cavanna aimerait créer quelque chose de plus corrosif, proche du journal satirique américain Mad crée en 1952 par Harvey Kurtzman. Une autre référence de journal dont le titre est : « l’Assiette au beurre », magazine satirique du début du XXe siècle, sous-titré « satirique, humoristique, hebdomadaire ».
Au mois de mai 1960, cet homme, Georges Bernier, réunit l’ensemble de ses colporteurs et leur propose de quitter Cordées et de le suivre dans une nouvelle aventure. Ils acceptent tous sa proposition.
« A partir d’aujourd’hui, je prends le pouvoir. La mère Novi nous a assez fait chier, qu’elle crève. Je vous propose le même travail, aux mêmes conditions. Seule différence, ce sera moi le patron. On aura plus la mère Denise pour nous empêcher de vendre en rond ».
Dessinateurs, journalistes et colporteurs se retrouvent donc dans le local au 4, rue Choron dans le 9e arrondissement de Paris. C’est à partir de ce moment que Georges Bernier change d’identité. Il se métamorphose en professeur Choron et il s’en expliquera plus tard dans ses mémoires :
« Certains ont une plaque de rue à leur mort. Moi, j’ai fait l’inverse j’ai pris comme nom une plaque de rue. »
Cette aventure est d’abord portée par ce duo original, c’est eux qui feront tourner ce nouvel organe de presse à leur manière. Stéphane Mazurier nous explique à travers les mots des deux protagonistes comment tout a été pensé dans la nouvelle rédaction :
« François Cavanna explique le fonctionnement établi du duo à la tête d’Hara-Kiri : « Dans notre organisation, l’homme d’affaire, c’est Le Professeur Choron, c’est lui la tête calculatrice, la tête gérante… Toute la merde, c’est pour lui ! Moi, je sais faire des journaux ».
Ainsi, de Drôle de putsch en coup d’état et en coup d’éclat, les deux hommes à l’origine de cette déflagration éditoriale, dans le nouveau monde de la presse, nommé Cavanna et Choron, vont inventer, sur un ton jubilatoire, l’indécence, le scandale, l’insolence, ainsi qu’une nouvelle façon de faire du journalisme.
- Le baptême du Nom
On improvise, on prend des risques insensés, sans argent, l’équipe crée un magazine nouveau qui se démarque de la presse traditionnelle, volonté initiale des créateurs. On se re-baptise soi-même à coups de blanc sec, plus besoin de cureton dans le local du journal Hara-Kiri. On cherche un emblème vivant de la revue, après que Cavanna ait trouvé le titre. Ce sera Georges Bernier alias le professeur Choron, docte et pervers, éminence grise et scatologique à ses heures. Il sera le mythique « gros dégueulasse » de la bande à Charlie et le docte professeur, un brin malicieux et pervers.
Ensuite, on cherche de même un slogan qui correspondrait à l’identité que l’on veut donner au journal. Ce slogan qui accompagnera toutes les premières pages de la revue sera « bête et méchant ».
Après les premiers sous-titres « Honni soit qui mal y panse », ou encore « A ventre déboutonné », il n’y a plus aucune idée, rien, que dalle. Toutes celles qui sont proposées à l’occasion d’une réunion de la rédaction n’enchantent personne.
L’idée géniale arrive finalement via le courrier des lecteurs :
« Un jour, pour déconner, un lundi, Cavanna lit à haute voix quelques lettres d’injures qu’on avait reçues (la proportion, c’était 50/50… 50% d’injures, 50% d’éloges…).
Il tombe sur celle d’un militaire à la retraite qui finissait par ces mots ! « (…) non seulement vous êtes bêtes, mais vous êtes bêtes et méchants » Bernier bondit … « Oh les mecs, les mecs, bêtes et méchants ; Hara Kiri journal bête et méchant, c’est formidable ça, non ? » et ils ont tous hurlé de plaisir… Ils le tenaient enfin leur sous-titre. Dès le numéro 7, le journal était bête et méchant »
- L’esprit d’Hara-Kiri et sa méthode
Hara-Kiri, c’est avant tout une aventure extraordinaire qui bouleversera le champ médiatico-politique dans son ensemble. C’est une nouvelle manière de travailler, de faire du journalisme. C’est Cavanna le chef d’orchestre de la rédaction, il sait repérer les talents. Chacun est libre de sa page et de ses idées. Chacun a le droit d’exprimer ses opinions.
La ligne éditoriale de la revue, s’il en existe une, suit, avant tout, l’évolution de la contestation dans une société puritaine qui sortira des guerres, difficilement de la dernière. Et se manifestera peu à peu une opposition politique générationnelle qui se jettera, paradoxalement, en voulant sortir du conservatisme de droite, à bras ouverts dans la société de consommation et la culture de masse dès les années 60.
Hara-Kiri se fait l’écho, dans la surenchère, d’un monde en dissonance. Les articles, la bande dessinée, le roman-photo, autant de lieux d’expression qui visent un seul et même but, se moquer, déranger, et dénoncer.
Le journal « bête et méchant » bouscule le monde ancien et fané pour en faire émerger un nouveau. C’est l’apocalypse selon Hara-Kiri, le renversement du monde passé pour faire advenir un nouveau moins hypocrite, plus éveillé et plus critique.
« Un monde s’écroule, un autre émerge, les années de Gaule contre Mai 68, deux états, l’un moral, l’autre contestataire, feront émerger une société nouvelle, en partie seulement, par le travail des collaborateurs d’Hara-kiri »
L’esprit Hara-Kiri arrive à point nommé pour casser les archaïsmes sociaux, dénoncer une certaine modernité dont Mai 68 serait l’achèvement, et le début d’une chute. La puissance créatrice/destructrice d’un Cavanna emporte tout, tous les faux semblants, toutes les morales. Ce revue bouscule toutes les évidences et accompagne par sa force et par son rire, une société en pleine mutation. Nombre de soixante-huitard auront lu précédemment Hara-Kiri.
Rédacteurs et dessinateurs travailleront à leur façon pour un journal qui sera, jusqu’en 1982, un :
« Laboratoire d’idées, les mecs pouvaient se permettre de chercher, même s’ils ne trouvaient pas tout de suite, personne ne leur cherchait de poux dans la tête… Il n’y avait rigoureusement aucune censure, ça parait simple et évident […] Personne n’a eu cette audace de réunir des gens qu’il estime et dont l’estime est réciproque et vaut aussi pour les copains et de les laisser travailler en leur foutant la paix, en les laissant faire ce qu’ils voulaient, en les encourageant en plus sur cette voie »
- Le rire comme moteur spirituel du journal
Le rire est pensé comme un moyen et non une fin : « un moyen des condamner, de ridiculiser, de vilipender un homme ou une idéologie ».
Le rire brutal ou vulgaire à l’imitation d’illustres prédécesseurs renvoie aux pratiques littéraires anciennes et contemporaines de la satire. Rabelais en tout premier lieu avec « Gargantua » qui se vendait sous le manteau et sous le pseudonyme (Alcofribas Nasier). Une manœuvre qui lui permit d’éviter procès et censure. Ce fut un ouvrage qui fustigeait « l’autorité de l’église, l’absurdité des guerres qui se multiplient et l’austérité de l’enseignement des clercs ».
Ou encore, le rire de Francisco de Quevedo, auteur issu de l’âge d’or littéraire de l’Espagne : « Heurs et malheurs du trou du cul : Suivi de Poèmes satiriques et burlesques ».
Hara-Kiri est très certainement dans cette même veine des fabliaux d’antan, du roman de Renart ou encore du roman de Fauvel, des auteurs comme Jean de Meung, Villon (Ballade des contre-vérités) et Rutebeuf.
Au-delà du rire, d’autres autorités dans le domaine des arts, de la presse ou dans le domaine littéraire sont à signaler. Par exemple, Willem est considéré comme le « Dürer du XXe siècle, Roland Topor est l’héritier d’Honoré Daumier et Wolinski un passionné de Dubout. L’influence surréaliste est également bien présente ». Dans la presse, il y a le Canard enchaîné qui fait office de référence.
En matière littéraire encore, les influences tournent autour de références contemporaines comme Paul Valéry, Victor Hugo, Jean Giraudoux ou encore Boris Vian. Delfeil de Ton qui s’occupera des pages « Culture » du journal, est un grand lecteur de Paul Léautaud.
Cette revue est un condensé de provocation incarnée par les mots, les images, les dessins ou encore le roman-photo qui accompagnent le propos général. Ce travail d’artisans acharnés vise à accentuer l’effet comique et ridicule des pratiques d’une société en grossissant les détails qui dérangent.
« Les collaborateurs de Hara-Kiri s’emploient à rénover le langage littéraire : ils refusent d’émettre une distinction entre la langue parlée et la langue écrite ».
On utilise des mots familiers, même vulgaires. L’écriture de presse se relâche, abandonne ses règles classiques au profit d’un langage populaire. Après tout, ce journal s’adresse à tous, et n’a pas la prétention de concurrencer les autres revues.
Entre les années 1960 et 1982, les idées, les numéros sont autant de morveux nés des coucheries adultérines de compère Cavanna et de commère Choron.
Pacôme Thiellement retrace bien cet état d’esprit lorsqu’il écrit : « Tout ce qui est de droite est con »
- Deux sujets majeurs : la politique et les femmes
Politiquement, cette presse satirique est d’abord sensible aux injustices, se fiche pas mal du jeu politique, défend ses propres positions sans forcément imposer la même ligne politique à toute la rédaction. Il existe des divergences, parfois jusqu’à la bagarre (Siné et Reiser), sur des positions délicates et clivantes comme la question de l’immigration. L’équipe reste tout de même soudée :
« Malgré les dissonances, et en dépit de toute absence de concertations préalables, les collaborateurs de Charlie Hebdo possèdent ce que Cavanna appelle une pensée commune », celle de l’humanisme.
Ils ne sont ni à gauche, ni à droite, ni Trotskiste, ni maoïste, plutôt libertaire comme le souhaitait Cavanna, et encore moins anarchiste. De Hara-Kiri à Charlie Hebdo, la rédaction, sensiblement la même avec quelques nouvelles recrues, ne se reconnaît nulle part dans l’échiquier politique de l’époque (gaullo-pompido-giscardien).
Pourtant classés proche de la « Cause du peuple » par certains critiques, leur position n’a rien à voir avec la ligne éditoriale révolutionnaire du journal de Jean Paul Sartre.
Ils refuseront cette étiquette. Encore une fois, chacun est libre de ses opinions politiques.
Les plus engagés sont Wolinski, Cabu ou encore Siné. Tous trois se rencontrent au moment du bouleversement sociétal que représente Mai 1968.
Siné avait créé un titre particulièrement véhément, anti-politique de droite, anti-gaullien : « l’Enragé ». Wolinski est le seul à collaborer activement à cette revue. D’autres comme Gébé, Cabu et Reiser le feront de façon ponctuelle.
Hara-kiri devient Hara-kiri hebdo par nécessité politique, le passage du format mensuel au format hebdomadaire autorise la « bande à Charlie » à mettre l’accent sur la critique politique. Cette nécessité de changer la ligne éditoriale s’accentue après l’expérience « l’Enragé ».
Au-delà des luttes partisanes, la ligne éditoriale d’Hara-Kiri reste la :
« défense [Défenseur] acharné[e] de la liberté de la presse, son positionnement politique est celui d’un journal de gauche critique, antimilitariste et anticlérical, dans une société profondément marquée par Mai 68 ».
Par contre, une évidence à mettre à leur crédit, c’est leur opposition claire et absolue face à l’extrême droite.
« Il n’y avait pas un type d’extrême droite parmi nous. […] l’extrême droite est aux antipodes de ce journal, comme le montrent les conflits l’opposant à Minute, et sa condamnation univoque de tout propos ou acte raciste. Durant l’été 1973, Marseille est le théâtre de violences anti maghrébines qui provoquent l’indignation de la rédaction ».
« Les femmes ne veulent plus être des pondeuses à tout va »
« Le Néerlandais Willem déplore, en 1970, le retard de la France par rapport à ses voisins en matière de libération des mœurs. Les touristes n’ont plus envie de venir en France […] Elles sont à Londres pour se laisser avorter légalement »
Loin d’être ce que l’on imagine pour un magazine d’avant-garde, Hara-kiri, et même Charlie Hebdo, à travers articles et prises de position, défendront, tout de même, un certain nombre de combats post-68 et soutiendront un certain nombre de revendications contemporaines aux années 60-70, comme la libéralisation des mœurs, le combat pour le droit à l’avortement, qu’ils accompagnent à travers leurs articles et dessins.
Pourtant, nombre de roman-photo, de contre publicité et de Unes du journal semblent réduire la femme à son corps. La femme est un objet dont on n’expose que sa nudité.
L’introduction de la pilule libère les femmes qui ne veulent plus être « des pondeuses ou des femmes aux foyers ». A l’automne 1972, Gisèle Halimi défend, durant le procès de Bobigny, Marie-Claire Chevalier, jugée pour avoir avorté.
Les années 70 sont aussi des années où l’on voit l’émergence de nouveaux groupes d’actions politiques constitués uniquement de femmes militantes comme le MLF (Mouvement de Libération des Femmes). Celles-ci revendiquent et questionnent une société bien mal égalitaire, au niveau des salaires, des droits, des besoins comme le divorce, le droit à la propriété, le droit de vote. Tout est à construire.
Cavanna et son équipe suivent ces mouvements avec plus ou moins de réussite et de bonheur. Ils s’attirent les foudres des mouvements féministes lorsqu’ils publient la Une de la semaine de Charlie « La République des barbus », un photomontage représentant 18 pubis de femmes. Une sentence comme celle-ci : « Quand on est conne, on est conne. Quand on est encore plus conne, on est MLF », met le feu aux poudres dans les mouvements féministes. Le Une dont le titre provocateur “la République des barbus”, sera considéré comme du terrorisme par le MLF.
« La complexité, les incohérences, les paradoxes, voire les ambiguïtés de Charlie Hebdo s’expliquent avant tout par la liberté de parole accordée à chaque membre de la rédaction. Cette liberté débouche nécessairement sur quelques prises de position contradictoires. Ainsi, le journal peut apparaître à la fois communisant et anticommuniste, phallocrate et féministe »
Qu’en est-il du comportement de la majorité des collaborateurs du journal ? Georges Wolinski le dira simplement, à ce propos, à l’occasion d’une parution en 1979 intitulée : « [Nous] Je suis [sommes] un [des] phallocrate[s] ».
Paradoxalement, la libération des mœurs, pour l’équipe, sera l’occasion d’organiser, d’improviser des partouzes dans le local du journal. La bande à Charlie semble vouloir rattraper la frustration d’une adolescence trop restrictive, trop puritaine.
Le constat amer de Claire Brétecher, un moment dessinatrice à Charlie Hebdo, est révélateur d’une mentalité masculine, une mentalité de dominateur :
« je ne travaille pas à Charlie Hebdo parce que ceux qui font ce journal sont des phallocrates qui passent la main au cul des secrétaires ».
Ici aussi, et comme à propos du positionnement individuel en matière politique, les positions divergent d’une personne à l’autre. Certains se démarquent tout particulièrement sur la question des femmes comme Reiser qui est favorable à leur libération totale, d’autres sont plus mitigés, plus moqueurs.
En réalité, il n’y a que peu de collaboratrices femmes dans ce journal, si ce n’est le passage éclair de Claire Brétecher ou encore, peut-être, les présences plus pérennes de Sylvie Caster et d’Isabelle Cabut. Cette dernière explique bien la situation au sein de la rédaction, la plupart étant phallocrate, mais ouvert d’esprit avec la capacité d’évoluer dans le temps.
L’Exode en conclusion
Dès l’origine de cette aventure, chaque numéro qui voit le jour est une gageure. Personne ne sait, personne n’a jamais su combien de temps tiendrait ce journal en ses multiples mues. Après interdictions, censures, difficultés financières, manque de lecteurs et concurrence, le journal se saborde. L’équipe, malgré ses motivations, comprend que c’en est fini de cette aventure.
Depuis 1960 jusqu’au début de l’année 1982, il y a eu des débuts, des fins, des recommencements. Le chaos sur une vingtaine d’années, avec ses apocalypses et ses résurrections qui ont permis à une bande de dessinateurs et de rédacteurs de bouleverser le monde de la presse par leurs rires, leurs sarcasmes et leurs bêtises.
Un magazine, qui aura mis l’accent sur l’absurde au quotidien, sur les tabous, sociétaux et politiques, a révolutionné une société qui était profondément endormie par deux guerres et une gestion droitière de la vie quotidienne.
Cependant, le verdict tombe au début de l’année 1982, Charlie Hebdo ne sera plus publié. La revue est confrontée à la pire des censures, celles des lecteurs. Cette aventure Hara-Kiri disparaît du paysage journalistique du pays.
Le journal n’aura pas su se renouveler et suivre l’évolution de la société, le renouvellement du lectorat. Enfin, la concurrence dans le monde de la presse satirique par l’apparition de titres met fin à l’expérience, comme : « l’écho des savanes », « pilote », « fluide glacial ».
L’explication de Jean Marc Parisis est claire et convaincante :
« Charlie Hebdo en difficulté sept ans après les barricades, c’est l’indice de la nature pubertaire, velléitaire du mouvement de Mai, de son esprit capricieux, plombé. En grandissant, beaucoup d’enfants de 68 sont devenus ce qu’ils étaient, des bourgeois. Et la bourgeoisie ne sait pas rire, ou pas longtemps : elle n’aime pas »
Pour annoncer la fin de Charlie Hebdo, le journal s’offre le luxe de passer à « l’ORTF » dans une émission tout aussi chaotique, à l’esprit contestataire bien marqué, « Droit de réponse ».
C’est Michel Polac, initiateur de l’émission TV « Droit de réponse », qui décide de consacrer son numéro à Charlie Hebdo en invitant toute l’équipe.
Vidéo “Droit de réponse” et “Charlie Hebdo” – (cliquer sur le bandeau)
Bibliographie :
- Bête, méchant et hebdomadaire : une histoire de Charlie Hebdo (1969-1983) / Stéphane Mazurier
- Moi, Odile, la femme à Choron : l’histoire d’Odile / C. Bobet
- Vous me croirez si vous voulez : mémoires de guerre et d’humour / Professeur Choron ; avec Jean-Marie Gourio
- “Charlie Hebdo” : la folle histoire d’un journal pas comme les autres / Christian Delporte
- Préface de La gloire de Hara-Kiri, anthologie de dessins parus dans Hara-Kiri
- Hara-Kiri [Revue] : journal bête & méchant
- Charlie hebdo [Revue]
Partager cet article