Dessinateurs.trices d’audience

des journalistes au coeur des procès

- temps de lecture approximatif de 7 minutes 7 min - Modifié le 27/03/2024 par Olivia Alloyan

A l’occasion de notre rencontre inédite du 8 mars 2024 à la BmL avec les dessinateurs d’audience Zziigg et Valentin Pasquier, nous vous invitons à découvrir de plus près ce métier exercé par une douzaine de professionnel.le.s en France.

Procès du 17mai 2016@wikimédia Commons
Procès du 17mai 2016@wikimédia Commons Cour d'Assises du Var procès Salameh Mai 2016 les avocats des parties civiles, la procureure, deux jurés.

Les croquis d’audiences : une nécessité issue de la loi

Depuis la perturbation du procès Dominici en 1954 par une nuée de journalistes, une loi – l’article 38 ter de Loi du 29 juillet 1881 sur la Liberté de la presse – interdit l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image, dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires.

Concrètement, les médias qui souhaitent donner à voir des scènes de procès doivent rémunérer des dessinateurs judiciaires pour publier leurs dessins ou croquis d’audience. Ces dessinateurs.trices sont soit des journalistes ayant un bon coup de crayon, soit des dessinateurs de presse ou de BD, des illustrateurs ou des graphistes ayant un attrait pour l’univers de la justice.

Ils.elles parlent de leur métier

Ils.elles seraient une douzaine à faire ce métier en France actuellement. Comment travaillent les dessinateurs.trices d’audience ? Quelles sont leurs techniques pour donner à voir les protagonistes et les scènes d’un procès ?

Voici une sélection de phrases – glanées dans les médias – de dessinateurs.trices d’audience sur leur travail :

Retrouvez les témoignages des dessinateurs Valentin Pasquier et de Zziigg dans leur interview à la Bm de Lyon, le 8 mars 2024.

Valentin Pasquier a publié Dossier V13 en collaboration avec le journaliste Azzeddine Ahmed-Chaouch.

Élisabeth de Pourquery ( source : Ouest France) :

Je suis une dessinatrice de l’ombre. Il faut se faire oublier, et capter les moments forts. Par exemple, en racontant des instants de complicité entre Salah Abdeslam et les autres prévenus dans le box. Artistiquement, il faut bien restituer l’anatomie des acteurs.

 Je fais de l’animation de dessin, grâce à des logiciels, et en ajoutant de la 3D aux arrières plans. Ça permet d’immerger le téléspectateur dans la salle d’audience.

Benoit Peyruck (source : podcast de France Inter) :

Quand un accusé ou quelqu’un qui vient à la barre, ou lève la main, c’est important. Il faut vraiment saisir les moments les plus importants de l’audience.

Quand vous êtes près, ça vous permet avec votre façon de travailler, de représenter la personne. C’est pour ça qu’on a des places un peu spéciales. Pour ce procès [du 13 novembre], par exemple, on est privilégiés, et comme il n’y a pas d’images, qu’on ne peut pas prendre de photos, on est les seules images, alors il faut qu’on soit placés correctement pour pouvoir raconter.

J’essaie de donner de la vie dans les attitudes, du mouvement à l’instant, de mettre de la couleur là où il n’y en a plus.

Valentin Pasquier (source : podcast de France Inter) :

Souvent on me dit : “Ah oui, c’est vrai, tu fais les caricatures du procès ou de tel ou tel procès.” C’est vrai que j’ai tendance à reprendre ces gens-là. On a un peu un travail qui se compare à celui des photographes.

La personne est devant nous. Nous n’avons pas à la caricaturer ou à forcer tel ou tel trait pour la rendre plus appréciable ou moins appréciable. On essaie de copier-coller avec notre sensibilité. On essaie d’être le plus le plus réaliste possible, d’essayer de coller à la réalité sans caricaturer. 

Corentin Rouge (source : podcast de France Inter) :

La difficulté c’est de réussir à être productif, et de toucher juste toutes les 20 min, 30 min pendant la séance.

Emmanuel Prost (source : Actu-juridique.fr) :

Le dessinateur Emmanuel Prost a suivi le procès des attentats du 13 novembre 2015 pour le journal Charlie Hebdo. Dans l’interview ci-dessous (Actu-juridique), il raconte le recul nécessaire face à la violence des récits mais aussi la responsabilité vis-à-vis des témoins, des victimes et de leurs proches.

Je sens toujours une responsabilité quand je fais un dessin. Je capte quelque chose qui se passe et qui va disparaître. Là, il faut en plus faire attention : certains témoins ne doivent pas être reconnaissables, il ne faut pas non plus écrire leur nom. Ces dessins ont aussi une place particulière dans la vie des victimes et de leur famille. Des parties civiles m’écrivent pour me demander de leur envoyer le dessin, car pour eux, c’est un moment très fort de leur vie. Lors de leurs témoignages, je me sentais investi de cette mission émotionnelle, je m’appliquais particulièrement pour que le dessin soit beau et les personnes représentés à leur avantage.

Pour dessiner quelqu’un, il faut être doux, discret, ne pas se faire trop remarquer mais établir tout de même une forme de connivence. Les accusés sont à ce titre comme n’importe quel modèle : il faut les mettre à l’aise d’un regard, d’une attitude, même à distance. Il n’y a aucune excuse pour eux, et ils seront condamnés pour ce qu’ils ont fait.

Dans cette vidéo YouTube chaîne AFP (3mn50), François Boucq évoque lui aussi la mission délicate de couvrir ce procès dont il connaissait les victimes.

Retrouvez une interview croisée (5mn) de Emmanuel Prost, Corentin Rouge et Benoit Springer qui ont dessiné le procès des attentats du 13 novembre 2015 : Trois dessinateurs racontent le procès du 13 novembre 2015 (source : YouTube).

Leurs dessins sont à retrouver dans le Hors-série co-édité par Charlie Hebdo et l’Echappée : 13 novembre : le procès.

Où voir des dessins d’audience ?

L’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, lui-même victime des attentats de janvier 2015, a publié sur son site en exclu web un incroyable calendrier complet consacré au procès des attentats du 13 novembre 2015. Ce calendrier est un journal détaillé de ce procès hors normes avec de nombreux dessins des audiences. Chaque jour d’audience est relaté en dessins et en textes par l’équipe mandatée par le journal Charlie hebdo : Sylvie Caster, Corentin Rouge, Emmanuel Prost et Benoît Springer.

En complément outre-atlantique, retrouvez ce court métrage documentaire de 7 mn réalisé pour le New York Times par le réalisateur Ramtin Nikzad sur le dessinateur américain Gary Myrick. Un dessinateur qui a croqué des centaines d’audience pour le système de justice du Texas depuis près de 40 ans. (source : site Graphisme et interactivité).

Un article complet d’Anaïs Coignac Les dessinateurs judiciaires : essai de portrait présente différents témoignages de dessinateurs.trices dont celui de Noëlle Herrenschmidt qui a commencé sa carrière en couvrant le procès Barbie en 1987. Certains de ses dessins, publiés par La Croix, sont entrés depuis au Mémorial de la Shoah (source : Dalloz Actualités).

Retrouvez plus de témoignages audio de dessinateurs dans le dossier Traits de justice concocté par la BPI, Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou.

Plongez-vous dans les ouvrages de dessins d’audiences de la Bibliothèque de Lyon à travers cette sélection de témoignages illustrés. Ils permettent une immersion visuelle captivante dans le quotidien de la justice.

L’Association de la presse judiciaire publie sur son site le calendrier des procès en cours. Bon à savoir : ils sont accessibles à tous et à toutes !

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