Histoire
Aux origines étaient les femmes
Publié le 16/08/2021 à 10:15 - 9 min - Modifié le 03/08/2021 par Dpt Civilisation
Derrière le mystérieux concept d'archéologie du genre, se cache une notion relativement récente en France qui cherche à étudier les traces des sociétés anciennes à travers le prisme des relations entre sexes. La bibliothèque vous invitera d'ailleurs cet automne à une conférence afin d'approfondir le sujet. Que nous enseigne cette discipline sur la place de la femme dans les sociétés préhistoriques ? Que nous disent les vestiges archéologiques sur les rapports hommes/femmes ? Le changement de regard porté sur les femmes est bien réel, et s’illustre jusque dans la recherche archéologique.
Une définition ?
Pour comprendre l’archéologie du genre, commençons par définir ce qu’est le genre. A l’opposition du sexe qui est biologiquement déterminé, le genre se définit socialement par un ensemble de traits communs caractérisant et constituant un groupe.
De ce fait, l’archéologie du genre est un moyen d’étudier les sociétés du passé au travers de leur culture matérielle, du fait social et des relations entre les sexes. Ce concept part du principe que si chacun à la naissance est biologiquement sexué, le genre lui, se construit socialement en fonction des cultures et des périodes historiques. Les rapports de pouvoir et d’autorité entre les sexes sont analysés grâce aux traces humaines et matérielles. Ainsi, pour arriver à appréhender la place des femmes dans ces sociétés préhistoriques, il faut aussi comprendre le fonctionnement de ces dernières, puisque c’est ce fonctionnement qui va conditionner le rôle social, et donc le genre de chacun.
Lors du développement de l’archéologie au XIXe siècle, la norme de la culture de l’époque était celle des hommes blancs appartenant aux élites. Ce présupposé est désigné en archéologie du genre comme androcentrique: mode de pensée, conscient ou non, consistant à envisager le monde uniquement ou en majeure partie du point de vue des êtres humains de sexe masculin. Ceci écartait donc d’emblée les femmes des interprétations du passé. Mais le prisme féministe s’est chargé de déconstruire cette vision.
A la fin des années 70, le féminisme a déjà eu un retentissement dans les sciences humaines et sociales. En archéologie ce sont Margaret W. Conkey et Janet D. Spector, toutes deux américaines et archéologues, qui vont utiliser et promouvoir le biais féministe dans la recherche archéologique.
M. Conkey sera par exemple la première à remettre en cause le fait que les peintures rupestres présentes dans les grottes, soient uniquement le fait des hommes préhistoriques. A l’époque, il était établi que les peintures représentant des femmes avec une poitrine et des formes proéminentes, n’aient pu être faites que par des hommes, et pour des hommes.
De même, on pensait auparavant que les femmes préhistoriques étaient cantonnées à s’occuper des enfants et de l’habitation. Il n’était pas envisagé qu’elles puissent avoir un quelconque pouvoir ou des responsabilités. Or c’était bien les visions genrées des chercheurs de l’époque, qui étaient calquées sur les sociétés préhistoriques, sans recherche d’objectivité et de prise de recul. Ainsi, dans de nombreuses sociétés préhistoriques, les femmes semblent avoir rempli des rôles religieux, de guérisseuses, commerçantes ou encore dirigeantes. Les travaux et publications de Conkey et Spector vont bousculer les codes et constitueront les débuts d’une prise de conscience dans le milieu.
Petite synthèse des erreurs sexistes qui ont pu être faites en archéologie:
La dame de Vix
L’exemple de la tombe de Vix est assez parlant en terme d’étiquette apposée et de refus de voir l’évidence. Découverte en 1953, cette tombe abrite de nombreux objets funéraires précieux: un char, des bijoux, des armes, des vases… Les analyses anthropologiques montrent alors qu’il s’agit du corps d’une femme qui au vu du matériel retrouvé, aurait eu une position de pouvoir importante au sein de son groupe. Cette trouvaille est considérée de tout premier ordre pour la période celtique.
Les archéologues arguent alors qu’il s’agit sans doute d’une erreur d’analyse des anthropologues, et qu’une femme du 5e siècle avant notre ère ne pouvait avoir eu autant de pouvoir. D’autres prétendirent qu’il pourrait s’agir d’un prêtre travesti. Le biais androcentré dont nous avons parlé précédemment prend dans ce genre de conclusion, toute son importance. Mais après analyses ADN la confirmation scientifique tombe, il s’agit réellement d’une femme. Le cas de la dame de Vix devient alors un cas emblématique de l’archéologie du genre.
Isabelle Algrain, dans l’ouvrage Archéologie du genre, construction sociale des identités et culture matérielle explique :
“Tenter de plaquer sur les sociétés du passé les conceptions modernes liées aux rôles des hommes et des femmes sans réfléchir à la manière dont sont structurés les rapports sociaux de sexe dans les civilisations anciennes conduit à des problèmes majeurs en termes d’interprétation. La vision occidentale du statut et du rôle des femmes dans la société a conduit à accepter et à populariser de nombreux raccourcis et erreurs qui se nichent notamment dans l’interprétation du matériel funéraire qui accompagne les défunts. C’est avant tout à partir des objets découverts dans les tombes (objets considérés comme féminins ou masculins par les archéologues), que l’on a commencé à attribuer un sexe aux défunts. Or cette méthode a clairement montré ses limites car un objet féminin pour un archéologue moderne était peut-être neutre ou masculin pour la personne qui l’a déposé dans la tombe.”
La guerrière de Birka
La tombe de la guerrière de Birka est quant à elle découverte en 1878 en Suède. Cette tombe est impressionnante, majestueuse et indique qu’un guerrier d’une grande importance et reconnu par ses pairs est enterré là. Aux IXe et Xe siècle, Birka est une ville viking incontournable. Le corps est assis, richement paré d’habits de soie, de fils d’argent, accompagné de nombreuses armes, d’un jeu de stratégie, et de deux chevaux.
Tout laisse à penser que cette découverte emblématique de la période viking est la tombe d’un chef aguerri au combat et de haut rang. Là encore jusqu’en 2017, pour les archéologues il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un homme. Or des analyses ADN d’un os et d’une dent du squelette, bouleversent les idées reçues puisque le guerrier est une guerrière. Mais les chercheurs ont du mal à accepter cette confirmation. Certains affirment que des ossements féminins auraient pu être apportés de l’extérieur et mélangés avec ceux de la tombe. D’autres pensent que les femmes dans les sociétés vikings ne pouvaient pas porter les armes, alors même que d’autres armes ont déjà été retrouvées au sein de sépultures féminines.
Précisons que les femmes au sein de la culture viking tiennent une place non négligeable. On les retrouve plusieurs fois figurées en train de combattre, et sont souvent présentes dans la mythologie nordique. Dans les sagas vikings, il est souvent question des Valkyries, gardiennes du Valhalla ou des Skjaldmös, valeureuses combattantes déguisées en homme. Johanna Katrin Fridriksdottir spécialiste des textes et civilisations nordiques et des questions de genre, a d’ailleurs publié Les femmes vikings, des femmes puissantes, une étude sur la place des femmes au sein des sociétés nordiques:
“Il faut revenir sur le terme de “Viking”, qui n’était pas à l’époque une étiquette étroite désignant exclusivement les pillards. A l’origine il s’agissait d’un terme renvoyant aux activités de ceux qui voyageaient à l’étranger, englobant les raids mais aussi le commerce et l’établissement de colonies. Les hommes n’étaient pas seuls à partir explorer le vaste monde, les femmes aussi voyageaient beaucoup.”
Voici comment l’une de ces femmes est décrite dans La Geste des Danois:
“Ladgerda, une Amazone douée, qui, malgré le fait qu’elle était une jeune fille, avait le courage d’un homme, et combattit parmi les plus braves avec ses cheveux libres flottant sur ses épaules. Tous furent émerveillés par ses actes incomparables, car ses cheveux volant dans son dos trahissaient le fait qu’elle était une femme. “
https://www.youtube.com/watch?v=X-mgHvw7c5I
Fait notable, le dernier épisode du jeu vidéo Assassin’s Creed Valhalla sorti en novembre 2020, permet d’incarner au choix un guerrier ou une guerrière viking. Cette option s’appuie donc sur une réalité historique qui confirme que les femmes vikings pouvaient être des combattantes et des cheffes importantes, enterrées avec les honneurs dus aux plus grands.
Work in progress …
La recherche archéologique et la préhistoire tentent donc de rendre aux femmes leur place dans l’Histoire. Claudine Cohen est une des premières à écrire en France sur le sujet dans son livre Femmes de la préhistoire:
“Les preuves concrètes de la différence des rôles sexuels pendant la préhistoire n’apparaissent guère dans les travaux des préhistoriens du début du XXe siècle. A vrai dire, ils ne les cherchent pas ! Dès lors que, parmi les traces qui nous sont parvenues de nos ancêtres, rien ne semble assigner tel objet ou tel autre à la femme plutôt qu’à l’homme, ils proclament volontiers “l’invisibilité archéologique” des femmes. L’imaginaire de la Préhistoire ne fait que refléter l’idéologie sociale prégnante en cette aube du XXe siècle, et la condition dominée, infantilisée, qui reste celle de la femme à cette époque. Un telle vision, cultivée par les préhistoriens, les anthropologues, et les historiens a fait l’essentiel des représentations vulgarisées de la Préhistoire humaine dans la peinture et la sculpture, les romans, les films et jusque dans les manuels scolaire.
Une archéologie du genre, au double sens d’une recherche des racines les plus profondes de la différence des sexes, et d’une nouvelle orientation des méthodes de l’archéologie permettant de considérer concrètement la différence des rôles dans la vie quotidienne, les normes sociales, les idéologies et les représentations est aujourd’hui enfin possible.”
Marylène Patou-Mathis appuie ces constatations dans son ouvrage L’homme préhistorique est aussi une femme:
“L’archéologie du genre est une partie nécessaire et intégrante à toutes les autres archéologies. Elle apporte une contribution majeure à la discipline, car elle établit qu’il est possible de connaître, au moins en partie, le rôle et le statut des femmes dans les sociétés anciennes. C’est l’objet des récents travaux des archéologues Anne Augereau, Chloé Belard et Caroline Trémeaud. […] Nous sommes à l’aube d’une révolution. Du chef guerrier viking qui s’est révélé être une femme aux Amazones scythes en passant par les femmes artistes préhistoriques dont la présence dans les grottes ornées est attestée par les récents travaux des archéologues, certaines idées reçues sur la répartition des rôles entre les sexes volent en éclat.
Déconstruire les argumentaires sexistes, plus idéologiques que scientifiques, c’est la tâche que s’est notamment donnée l’archéologie du genre, qui n’en est qu’à ses balbutiements. La brèche est ouverte et ne se refermera pas avant que la femme ait trouvé sa juste place dans l’histoire. La science préhistorique joue un rôle essentiel et sonde les profondeurs du temps, là où le patriarcat est censé trouver sa justification originelle. Or plus nos connaissances s’enrichissent, plus il s’avère au contraire, que le patriarcat n’a aucune assise anthropologique.”
C’est donc une prise de conscience qui a eu lieu ces dernières années. La recherche archéologique et son regard sur la femme évoluent, de même que la pratique archéologique de terrain. Ainsi, le collectif Paye ta truelle est créé en 2017 pour “lutter pour l’égalité et la diversité dans le monde de l’archéologie francophone. Cette lutte s’effectue sur deux fronts : la valorisation des études liées à l’archéologie du genre et la sensibilisation aux discriminations en archéologie en vue de leur démantèlement. Mettre en évidence la multiplicité et la superposition des oppressions, en relayant notamment la parole des personnes concernées afin de ne pas contribuer à leur invisibilisation, est une de nos priorités.”
Ce projet contribue à mettre en avant les travaux scientifiques en archéologie du genre, mais également à parler du quotidien des archéologues femmes sur le terrain, afin de sensibiliser au sexisme sur les chantiers de fouilles. Cette association a ainsi produit l’exposition itinérante Archéo-Sexisme qui met en scène de façon illustrée des témoignages parlant des discriminations sexistes en archéologie: “Pour les étudiantes en archéologie et les femmes archéologues, ces conditions de travail particulières sont souvent à l’origine de discriminations liées à leur genre. Ces dernières se manifestent sous la forme de difficultés accrues d’accès à l’emploi et de montée en grade, mais également de remarques, de gestes et de comportements discriminatoires allant du propos paternaliste à l’agression sexuelle.”
Extraits:
Laissons, pour terminer, la parole à Margaret Conkey qui disait en 2003 :« Has feminism changed archaeology? Absolutely. (Le féminisme a-t-il transformé l’archéologie ? Absolument.) » La transformation de l’archéologie est définitivement en marche et le chemin est encore long pour que les femmes ne soient plus invisibilisées dans l’Histoire.
Enfin, voici quelques références pour creuser (sans jeu de mots) le sujet:
Femmes de la préhistoire / Claudine Cohen
Archéologie du genre. Construction sociale des identités et culture matérielle / Isabelle Algrain
L’homme préhistorique est aussi une femme / Marylène Patou-Mathis
Femmes néolithiques : le genre dans les premières sociétés agricoles / Anne Augereau
Les femmes vikings, des femmes puissantes / Johanna Katrin Fridriksdottir
La guerrière de Birka DVD / Aleksandar Dzerdz et Gautier Dubois
Cet article fait partie du dossier Féministes tant qu’il le faudra !.
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