Transport fluvial sur le Rhône et la Saône – 1ère partie
Etat des lieux
Publié le 26/04/2024 à 09:09 - 9 min - Modifié le 02/05/2024 par Shuy
La liaison navigable entre les ports du nord de l’Europe et ceux de la Méditerranée est perçue dès le XVIIe siècle comme un enjeu majeur d’échange économique. Cependant, malgré la construction d’un canal entre la Saône et le Rhin par la vallée du Doubs entre le XVIIIe et le début du XIXe, puis les aménagements dans les années 1960 pour recalibrer les écluses et le chenal afin de permettre le passage des gros gabarits, ce projet est stoppé en 1997 avec l’abandon du projet du canal Rhin-Rhône. Cette décision va alors séparer le bassin Rhône-Saône du reste du réseau à grand gabarit, l’excluant des échanges avec les ports du nord de l’Europe.
Le transport de marchandises
Le transport fluvial naît de la rencontre entre le fleuve et la nécessaire circulation des hommes et des marchandises. Dès l’Empire romain, le Rhône prolongé par la Saône est l’un des fleuves les plus fréquentés du continent. Au Moyen-Âge, on transporte du sel, des métaux, du bois et des céréales. A partir du premier tiers du XIXe siècle, les bateaux à vapeur commencent à apparaître sur le Rhône permettant l’apogée du transport fluvial, non encore concurrencé par le rail ou la route durant la seconde moitié du XIXe siècle. Mais la vapeur ne tarde pas à permettre le développement du rail et en avril 1855 le tronçon ferroviaire de Valence à Lyon est mis en service amorçant le déclin du transport fluvial.
Le programme d’aménagement du Rhône a fait l’objet d’études qui ont commencé dès les années 1910. Elles ont abouti à la loi Rhône, votée le 27 mai 1921, promulguée dix ans plus tard, qui encadre l’aménagement du fleuve et permet la création de La Compagnie Nationale du Rhône (CNR). Les aménagements faits par la CNR, à partir de la seconde moitié du XXe siècle, vont relancer la navigation rhodanienne grâce à la navigation à grand gabarit sur plus de 300 kms. Plus tard le mode de transport par route, puis par autoroute, accapare toute l’attention des politiques et les voies navigables sont alors négligées.
Après une période de progression jusqu’en 2006 puis un rebond en 2011, on constate qu’aujourd’hui l’activité de transport sur le Rhône et la Saône concerne entre 6,5 et 7 millions de tonnes de fret par an, ce qui est très peu au regard du bassin de la Seine et de l’axe rhénan, et est loin du potentiel espéré.
La nature des cargaisons a évolué au cours des périodes. D’abord constituée de chargements de vracs (sel, sable, céréales, matériaux de construction et même d’hydrocarbures), elle s’est diversifiée grâce à de nouvelles implantations industrielles dans les ports et l’apparition de nouvelles filières comme celles du bois ou du recyclage de ferraille. Depuis 2015, les transports de conteneurs, d’hydrocarbures, d’énergie et de céréales sont en baisse contrairement à ceux du recyclage, du bois et des matériaux BTP.
La part du budget allouée à Voies navigables de France (VNF) ne permet pas de réellement moderniser et de développer les voies navigables faisant prendre du retard à la France en matière de transport fluvial. Cela accentue aussi les insuffisances sur le plan de l’offre et de la qualité de service et donc le décalage par rapport aux performances de la route ou du fer. Cela affecte en outre les enjeux économiques, sociaux, environnementaux et d’aménagement du territoire qui lui sont liés. Cependant la CNR participe à la mission sur la structuration de l’axe fluvio-maritime Méditerranée-Rhône-Saône visant à renforcer les synergies entre les gestionnaires d’infrastructures portuaires et de navigation, ainsi qu’avec les acteurs territoriaux. Les coopérations portent sur la logistique ainsi que sur l’industrie, l’énergie ou l’économie.
Le transport fluvial, un bénéfice certain sur le plan environnemental
La Compagnie Nationale du Rhône précise que le transport fluvial contribue à la lutte contre le dérèglement climatique étant peu émetteur de gaz à effet de serre. Grâce à la massification du transport qu’il permet, le fret fluvial est l’un des moyens de transport les moins consommateurs d’énergie. Transporter une tonne de marchandises par voie fluviale génère en moyenne 4 fois moins d’émissions de CO2 que par la route et consomme 5 fois moins de carburant. Le transport fluvial est également plus silencieux, il décongestionne les axes routiers et améliore la qualité de l’air. Les entreprises l’utilisant comme moyen de transport participent ainsi à la protection de l’environnement grâce à une empreinte carbone limitée. C’est de plus un élément appréciable pour la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE).
Le Rhône compte 18 ports positionnés en moyenne tous les 20 kms. Leurs zones d’activités industrielles donnent aux entreprises la possibilité d’utiliser une logistique multimodale en mettant à leur disposition des services et infrastructures adaptés à leurs besoins (transports fluviaux, terrestres ou ferroviaires). Mais bien qu’une barge charge davantage qu’un train et équivaut à environ 800 camions par jour sur l’autoroute A7 quelques éléments desservent le transport fluvial comme la durée nécessaire pour relier les destinations. De plus le chargement et déchargement des barges nécessitent des opérations comme la place à quai, l’utilisation d’un portique et les emplois de dockers difficiles à contrôler pour les opérateurs de transport fluvial. Il faut aussi se conformer aux règles de chaque port d’accueil. De nombreuses améliorations sont en cours afin d’harmoniser ces points négatifs. Selon la CNR les infrastructures actuelles de navigation pourraient accueillir jusqu’à 4 fois plus de trafic à l’année. Un document élaboré conjointement par CNR et VNF, Ôrizon 2035, le schéma d’axe fluvial Rhône-Saône montre comment donner une nouvelle dynamique de développement de la navigation grâce à un plan d’action s’adressant à l’ensemble des parties prenantes, tant pour le transport fluvial de fret que pour le tourisme fluvial.
Le Tourisme fluvial
Les bateaux-mouches, conçus par l’industriel Michel Félizat dans le quartier de la Mouche à Lyon, connaissent un énorme succès dès 1863 et jusqu’au début du XXe siècle. Destinés principalement au transport de passagers, ces bateaux à vapeur à coque métallique, munis d’une hélice, sont choisis pour créer sur la Saône la « Compagnie des bateaux à vapeur omnibus » devenant alors la première ligne de transports urbains fluviaux de France.
La navigation de plaisance va redécouvrir la Saône dans les années 1980, grâce à l’association Navilyon créée en 1979, soutenue par la Communauté urbaine de Lyon (Courly) et la Compagnie Nationale du Rhône pour étudier la faisabilité et rentabilité du tourisme fluvial à Lyon. Actuellement l’activité touristique fluviale est en pleine expansion. Le bassin Rhône-Saône présente le potentiel pour devenir une destination de premier plan du tourisme fluvial à l’échelle européenne grâce, en particulier, aux villes traversées riches en histoire et en monuments à visiter. C’est le premier bassin français pour la croisière en paquebot fluvial avec 110 000 passagers transportés en 2019. La Saône est régulièrement empruntée par de nombreux paquebots de croisières, bateaux-promenade, péniches-hôtel et autres bateaux de location et de plaisance privée….
Le tourisme “fluvestre” se développe ces dernières années. Sous cette nouvelle appellation, sont regroupées les activités de tourisme ou de loisirs sur voie d’eau (telles que croisières, location de bateaux, kayak) mais aussi celles réalisées sur les espaces situés à proximité d’une voie d’eau (pêche, vélo sur la Viarhôna, randonnée…). Ces deux formes d’activités peuvent être mêlées ou être pratiquées indépendamment. VNF s’engage auprès des collectivités territoriales, pour développer et faire du vélo une activité phare de ce type de tourisme.
Quels sont les principaux acteurs dans le bassin Rhône Saône ?
La Compagnie Nationale du Rhône (CNR) est créée le 27 mai 1933 pour permettre la réalisation de la loi Rhône (1921). Elle accompagne les travaux d’aménagements du Rhône du point de vue de la production d’hydroélectricité, du transport fluvial et de l’irrigation des terres agricoles. Dès 1934, elle est le concessionnaire du Rhône construisant des canaux de dérivation sur lesquels sont installées les centrales hydroélectriques ainsi que des écluses (quatorze écluses Grand gabarit entre la mer et Lyon et cinq écluses de plaisance plus petites en amont de Lyon). Premier producteur français d’énergie exclusivement renouvelable et aménageur de territoire, CNR est aujourd’hui un acteur clé de la transition énergétique et écologique. Quelques chiffres pour l’année 2023 : 72 252 éclusages ; 58 870 conteneurs transportés ; 195 214 passagers de croisières ; 3, 1 millions de tonnes de marchandises transportées. (Rapport intégré / Compagnie nationale du Rhône)
Voies Navigables de France (VNF) est créé en 1991. Etablissement public depuis 2013, il est chargé d’exploiter, d’entretenir et d’améliorer les voies navigables et, par le biais de concessions de service public, les ports du domaine public fluvial. Par son action, il répond, sur les deux réseaux complémentaires et connectés que sont le transport marchand et transport de tourisme, à trois grandes missions de service public : promouvoir la logistique fluviale, concourir à l’aménagement du territoire et assurer la gestion globale de l’eau dans le but d’accélérer au niveau national l’innovation et le verdissement de la flotte fluviale et des systèmes de transport. La direction territoriale Rhône-Saône couvre un territoire fluvial de 1200 km de voies navigables réparties sur le quart sud-est de la France.
Les Ports lyonnais
On peut voir sur des plans, dès le Moyen Âge, des ports mentionnés sur les deux rives de la Saône. Puis, à la Renaissance, de nombreux sites d’accostage sont indiqués et au XVIIIe siècle, les quais de la Saône ne sont plus qu’une succession de ports. Ainsi les bateaux peuvent soit échouer nécessitant alors un simple aménagement de la rive avec seulement quelques pieux et boucles d’amarrage, soit accoster. Au XIXe siècle, des ports et embarcadères sont aménagés sur les quais de la Saône et du Rhône permettant à plusieurs compagnies fluviales de développer des services de transport des voyageurs.
Le port Rambaud est construit en 1926 sur la Saône. Très rapidement il connait une croissance importante passant de 59000 tonnes en 1927 à 358526 tonnes en 1938 (produits pétroliers exclus). Exploité avec succès dans l’entre-deux-guerres, l’incendie de son port d’hydrocarbures, en 1940, l’oblige à resserrer ses activités sur le transport de marchandises générales après la Seconde Guerre mondiale, mais il connait par la suite une bonne reprise d´activité et une grande vitalité : 181109 tonnes en 1948 ; 1 223018 tonnes en 1963. C’est un lieu d’échange et de commerce qui accueille une activité de trafic fluvio-maritime. Ainsi en 1968, les produits traités sont principalement des charbons (30 %) et des produits métallurgiques (23%) ; puis viennent les matériaux de construction (15%), les denrées alimentaires (13%) et les produits agricoles (10%). La part des minerais (7%) et des produits chimiques (2%) reste faible. A partir de 1985, le site est progressivement abandonné au bénéfice du port Edouard Herriot situé, non loin, sur le Rhône. La Chambre de Commerce décide de le fermer le 31 décembre 1993. Les terrains sont cédés à Voies Navigables de France et à la Communauté urbaine de l´agglomération lyonnaise qui vont louer une partie des entrepôts à diverses entreprises. En 2004, la fermeture du dépôt de sel des Salins du Midi met un point final à l’activité industrialo-portuaire du port Rambaud.
- Dossier de l’Inventaire général du patrimoine culturel relatif au Port Rambaud
Le port Edouard Herriot appelé aussi Port de Lyon – Edouard Herriot est construit en 1935 par la CNR sur la rive gauche du Rhône. A son ouverture en 1937, il s’étend sur 30 hectares. Suite à l’incendie au port Rambaud (1940), il devient le lieu de déchargement des hydrocarbures. Régulièrement agrandi, il est connecté en 1968 à l’oléoduc de produits raffinés en provenance de Fos-sur-Mer et en 1993, la CNR crée une filiale Lyon Terminal chargée de reprendre l’activité de conteneurs précédemment développée par la CCI. Aujourd’hui, il est le premier port intérieur français.
- Dossier de l’Inventaire général du patrimoine culturel relatif au Port Edouard Herriot et le guide du Port de Lyon
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