Métropoles et périphéries : qui les habitent ?

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 27/03/2025 par ALTC

Eric Charmes est géographe, urbaniste et directeur de recherche à l'ENTPE, l'École nationale des travaux publics de l'État. Ses recherches portent sur la France périurbaine. Il évoque avec nous le rayonnement des métropoles et la périurbanisation. Les questions sociales liées aux politiques d'aménagement du territoire sont aussi discutées.

Lotissement
Lotissement Georges Vermard, Bibliothèque municipale de Lyon

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Qu’est-ce que le périurbain ?

Eric Charmes : Il n’est pas si simple de définir le périurbain. Je vais contourner le problème et commencer par la définition qu’en donne l’INSEE, avec ce que l’Institut appelle le zonage en aires d’attraction des villes.

Ce zonage permet de catégoriser les communes. On identifie les communes centres (Lyon) et les communes de banlieue, qui sont dans la proximité de Lyon et relativement denses. Ces communes (Villeurbanne, Caluire, Vénissieux…) sont dans une continuité urbaine. Au-delà, apparait ce qu’on appelle le périurbain, la couronne. Le périurbain, c’est la campagne près des villes.

Carte de la région périphérique à Lyon avec zonage des aires d'attraction par colorisation dégradée
Source INSEE : Zonage en aires d’attraction des villes.
La ville de Lyon apparait en grenat sombre. Les communes de sa banlieue apparaissent en grenat et la couronne périurbaine figure en grenat plus clair.

L’INSEE définit cette catégorisation à l’aide d’un pourcentage du nombre de personnes qui habitent ces espaces et qui vont travailler dans la ville et ses banlieues. Ce pourcentage est variable et peut être discuté. Globalement, ces campagnes sont prises dans le système économique de la métropole.

Le périurbain est-il homogène ou au contraire englobe-t-il une variété d’espaces et des populations socialement diverses ?

Eric Charmes : En plus de celle de la métropole de Lyon, il y a plein de couronnes périurbaines : les couronnes de Saint-Étienne, de Roanne, de Clermont-Ferrand, d’Aurillac ou d’Aubenas. Bien évidemment, ces couronnes sont très différentes, à commencer par leurs paysages ou le type d’agriculture.
Les différences sont aussi sociales et démographiques. Habiter dans le périurbain d’Aubenas, ce n’est pas la même chose que d’être dans le périurbain de Lyon. Dans l’aire même d’attractivité de Lyon, habiter dans les Monts du Lyonnais à l’ouest, ce n’est pas tout à fait la même chose, non plus, que d’habiter à l’est.

On a des paysages et des types de populations différents. Il y a des espaces plus ou moins côtés, plus ou moins attractifs. En l’occurrence, les reliefs des Monts du Lyonnais sont plus attractifs que les plaines céréalières.
Enfin, il y a la proximité du centre de Lyon. Les campagnes proches sont plus recherchées, car il est plus facile d’accéder à la ville.

Qu’est-ce qui motive à vivre loin des villes ?

Eric Charmes : Il y a de nombreuses motivations.

Une première motivation assez forte pour les personnes qui quittent les villes et leurs banlieues pour s’installer dans les campagnes avoisinantes, c’est d’accéder à la propriété. Et plus particulièrement, d’accéder à la propriété d’une maison avec un jardin.

Une autre motivation est d’aller vivre à la campagne. Mais une campagne pas trop éloignée d’un certain nombre de ressources, par exemple des hôpitaux ou des services de santé.

Mais dans le périurbain, on ne trouve pas seulement des gens qui ont quitté une ville. En France, comme dans beaucoup d’autres pays, on constate un phénomène appelé métropolisation. C’est la concentration d’un certain nombre de ressources (emplois, services, équipements) dans des grandes villes ou métropoles françaises.

Cette métropolisation crée des périurbains malgré eux. En devenant métropoles (au sens géographique pas au sens de l’intercommunalité), les villes polarisent des territoires de plus en plus vastes.

Par exemple, si vous habitez à la Tour du Pin ou dans les environs, avec des services comme les maternités qui ferment, c’est plutôt à Lyon que vous vous déplacerez. Pour les emplois, vous vous tournerez vers le pôle de Bourgoin-Jallieu ou vers l’aéroport de Saint-Exupéry.

Au-delà de ces grands facteurs, il y en a d’autres qu’il ne faudrait pas oublier. Certaines personnes n’apprécient pas la ville avec sa foule et sa diversité, et vont à la campagne pour être tranquilles. Enfin, d’autres s’installent en périphérie des villes parce qu’elles préfèrent  se déplacer en voiture, ce qui devient compliqué en centre-ville.

Lorsque l’on parle de périurbain, la notion de village revient souvent. Quelle est la place du village dans le périurbain ?

Eric Charmes : La notion de village est centrale pour comprendre ce qu’est le périurbain. La France est un pays qui se caractérise par son très grand nombre de communes. Le pays compte actuellement environ 35 000 communes pour moins de 70 millions d’habitants. Si vous enlevez les très grandes villes, il y a énormément de communes autour de 1 000, 1 500 habitants (et d’autres beaucoup plus petites encore).

Les territoires périurbains que l’on voit autour de Lyon sont essentiellement des petites communes qui s’apparentent à des villages.

Pendant longtemps, les géographes voyaient le périurbain comme l’espace de l’étalement urbain continu, avec de grandes nappes pavillonnaires qui se répandent dans les périphéries des villes. Or ce n’est pas du tout ça.
Le périurbain, ce sont des villages qui construisent de petits lotissements, avec éventuellement des constructions diffuses le long des voies de circulation ou quelques constructions autour des hameaux.

En France, les habitants qui arrivent dans le périurbain viennent pour avoir une maison et pour habiter dans un environnement plutôt campagnard. Souvent après leur installation, lorsque les élections municipales arrivent, ces habitants montent une liste ou collaborent avec les habitants qui sont déjà là, pour prendre le contrôle sur le règlement d’urbanisme (le PLU, plan local d’urbanisme). Leur objectif est que leur village garde son caractère campagnard, sans s’étendre. Pour cela, les espaces naturels, agricoles ou forestiers sont rendus inconstructibles. C’est la raison pour laquelle ces villages ne se rejoignent pas les uns les autres ou assez rarement.

Le périurbain n’est pas l’équivalent de l’étalement urbain, pourtant, il y contribue. Comment ?

Eric Charmes : Depuis assez longtemps, l’État s’efforce de lutter contre l’étalement urbain, c’est-à-dire la consommation par l’urbanisation de terres agricoles, de terres forestières et d’espaces naturels. Mais l’État et les urbanistes ont eu bien du mal à maîtriser les extensions urbaines. Cela est en partie dû au fractionnement des plans d’urbanisme. En effet, c’est au niveau des communes que l’on décide de l’urbanisme, notamment depuis les lois de décentralisation de 1982 (premier mandat de François Mitterrand).

Certes, comme on vient de le dire, les nouveaux habitants des campagnes veulent garder le caractère villageois de leur commune. Ils participent ainsi plutôt à la lutte contre l’étalement urbain.

Mais dans les communes plus rurales, des ménages commencent à se manifester en disant qu’ils aimeraient bien habiter là, quitte à faire de longues navettes pour aller travailler. Ces ménages vont chercher de plus en plus loin, au fur et à mesure que l’on arrête de construire dans les communes qui sont déjà périurbanisées. Dans ces communes rurales, les agriculteurs ou les propriétaires de terres agricoles ont une forte tentation financière de rendre certains de leurs terrains constructibles. S’ils sont élus, ou connaissent les élus, ils peuvent modifier le règlement d’urbanisme en ce sens. Ainsi, l’ouverture à l’urbanisation se fait dans ces petites communes, avec des enjeux financiers extrêmement forts. En dehors de ces intérêts, l’ouverture à l’urbanisation permet aussi d’attirer des nouveaux ménages, ce qui permettra par exemple de garder l’école ouverte.

Tous ces intérêts se cumulent, et l’État a bien du mal à contrôler les tentations.

Il y aurait donc un gain pour les territoires ruraux périurbains ? La périurbanité est-elle souhaitée par ces communes ?

Eric Charmes : Comme toujours, il y a des gagnants et des perdants.

Si vous êtes dans des territoires ruraux isolés, le terrain constructible ne vaut pas tellement plus cher que la terre agricole. En effet, il faut l’aménager et amener les réseaux. D’une certaine manière, certaines communes peuvent perdre de l’argent quand elles font des lotissements.
A l’inverse, quand on est près d’une métropole comme Lyon, convertir une terre agricole en terre constructible rapporte beaucoup d’argent. Il y donc une tentation très forte à cette conversion.

Quoi qu’il en soit, le périurbain qui représente à peu près 40% des bassins de vie ruraux, forme l’essentiel des territoires ruraux dynamiques. Le gros de la dynamique démographique des campagnes, ce sont les gens qui quittent les villes pour s’installer à la campagne, mais qui restent proches des villes. La périurbanisation est donc le principal élément de vitalité des territoires ruraux. L’autre élément est l’attrait touristique, avec les bords de mer, d’océan et les montagnes entre autres.

Pour lutter contre l’étalement urbain, des dispositifs sont tout de même mis en place par l’État. On a beaucoup parlé du ZAN (Zéro Artificialisation Nette) ces dernières années. Quels sont les intérêts et les contraintes du ZAN ?

Eric Charmes : L’État essaye aujourd’hui de mettre de l’ordre dans l’émiettement de l’urbanisation. Plusieurs lois se sont succédé, notamment la loi Solidarité Renouvellement Urbain en 2000 et plus récemment la loi Climat et Résilience, votée en 2021. Cette dernière comprend un dispositif ZAN, qui vise à ralentir l’artificialisation des sols en France.

En 2050, l’objectif est qu’on ne puisse plus étendre les surfaces bâties sans qu’il y ait de compensation. Ainsi, si vous transformez un champ en lotissement, il va falloir prendre des terres artificialisées et les renaturer, ou plus exactement les « désartificialiser » en compensation. Même si cela reste un objectif assez lointain, le ZAN a beaucoup agité le monde des élus locaux et notamment des élus ruraux. Ils se sont vus menacés dans leur maîtrise de l’urbanisation.

Plus les lieux de résidence s’éloignent des villes, plus les mouvements domicile-travail sont longs et nombreux. Le périurbain pose la question des mobilités.

Eric Charmes : C’est le dilemme du périurbain. Les gens s’installent à la campagne puis profitent des ressources de la ville. Mais pour profiter de ces ressources, ils utilisent essentiellement leur voiture. Cela soulève beaucoup de questions à commencer par des questions écologiques.

On a vu l’ampleur du problème en termes politiques avec le mouvement des Gilets jaunes qui a pris corps en 2018 et a suscité une très forte mobilisation. Ce mouvement est d’abord né suite à l’abaissement de la limite de la vitesse sur les départementales à 80 km heure. Ensuite, avec la taxe carbone qui est venue augmenter le prix des carburants pour les voitures.

Quel est l’impact de ces mobilités, impact notamment écologique mais aussi social ?

Eric Charmes : Comme je le disais, le périurbain est un espace de peuplement extrêmement divers. Évidemment, les plus aisés prennent les meilleures places. Plus vous descendez dans l’échelle des revenus, plus vous faites des concessions de différentes natures. La principale concession, c’est l’éloignement. On voit bien cela à la carte des prix des terrains notamment, qui diminuent au fur et à mesure que vous vous éloignez des centres des grandes villes.

L’accession à la propriété dans les milieux ouvriers, employés, dans les classes populaires, se fait principalement dans l’habitat individuel. A Lyon, ce sont souvent des personnes qui habitaient en location dans une commune de banlieue. Elles ont les moyens d’acheter seulement dans les villages éloignés, à 50 km ou plus de Lyon. En effet, c’est là qu’elles vont trouver des terrains constructibles à un prix que leur banquier juge acceptable.

Ces dernières années, la situation s’est fortement dégradée pour ces ménages, avec la raréfaction des terrains constructibles, l’inflation et aussi les normes de construction qui viennent, elles aussi, renchérir les coûts. Cela augmente l’investissement minimal pour construire leur maison et donc à long terme les remboursements de prêt.

Entre les coûts d’emprunt, les assurances (maison et voiture), et les transports, le reste à vivre à la fin du mois peut ne pas être suffisant et le ménage fragilisé (voire précarisé).

Sur cette question politique centrale, deux éléments sont essentiels. D’abord, développer les infrastructures pour faciliter l’usage d’autres moyens de déplacement que la voiture, notamment le vélo. Ensuite, renforcer les acteurs qui fabriquent les politiques de mobilité. La loi d’orientation des mobilités est un premier pas, qui reste trop timide. Les collectivités locales dans le périurbain n’ont en effet pas les moyens d’action des grandes villes comme la Métropole de Lyon.

Dans nos collections et autres ressources

Métropole et éloignement résidentiel : vivre dans le périurbain lyonnais /dirigé par Eric charmes

La revanche des villages : essai sur la France périurbaine / Éric Charmes

Un demi-siècle d’urbanisation dans la région lyonnaise, 1962-2010 / Guy Burgel, Nicolas Ferrand

La ville émiettée : essai sur la clubbisation de la vie urbaine / Éric Charmes

SPLANN : Exemple sur l’urbanisation du littoral breton

Laboratoire aménagement économie transports, ENTPE

Agence d’urbanisme de Lyon

Extrait de l’entretien réalisé le 19 février 2025 la Bibliothèque municipale de Lyon.
Rencontre « Métropoles et périphéries : qui les habitent ? »


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