Bis repetita ?
Publié le 30/05/2022 à 07:18
- 8 min -
Modifié le 14/05/2022
par
dcizeron
En 2017, au lendemain des élections présidentielles, nous revenions dans l’Influx sur vingt années d’élections nationales et locales à Lyon. Nous nous demandions « Comment ont voté les Lyonnais ? ». Cinq an plus tard, comment a encore évolué le comportement électoral des Lyonnais ? Les dernières élections ont elles confirmée les grandes tendances mise alors en évidence ? Et si le résultat est identique, les scénarios ont-ils été les mêmes ?
La voie centrale en question
Un centre toujours solide
En 2017, nous écrivions que les Lyonnais, étaient en attente d’une « voie centrale » forte. Nous citions plusieurs exemples :
- en 1995, l’UDF d’Edouard Balladur est préférée au RPR de Jacques Chirac (3.2% d’écart en faveur d’Edouard Balladur quand Chirac remporte le duel national avec 2.7% d’avance)
- en 2007, le centre, porté par l’opportunité d’une alternative incarnée par François Bayrou, fait un très bon score. Il réalise plus de 22% (pour un score national de 18.5%.)
- lors des régionale de 2015, le Modem présente une liste à Lyon contrairement à de nombreuses autres villes.
Les résultats de 2017 et 2022 ont confirmé cette attente ; le centre représentant toujours à Lyon, environ un tiers des suffrages. Néanmoins, alors qu’Emmanuelle Macron a bénéficié d’une forte progression à l’échelle nationale entre 2017 à 2022 (+4%), son score est stable entre Saône et Rhône (+1%). Il progresse peu, malgré l’effondrement de la droite républicaine.
Les résultats de 2022 traduisent un glissement global de l’électorat lyonnais vers la gauche. La droite républicaine s’est reportée massivement sur le centre qui a perdu une partie de son électorat de 2017 parti à gauche. La gauche progresse par rapport à 2017, sans gloire pourrait-on dire. 2017 était pour elle un « mauvais millésime » ; elle reste en 2022 sur des scores assez classiques depuis une vingtaine d’année.
La poussée contestataire
La vraie nouveauté de 2022 est l’inédite radicalisation de l’électorat lyonnais. Nous nous étions peut-être trompés. Voici un court extrait de notre article de 2017 :
« Il est un invariant, une donnée semble-t-il inébranlable, c’est la modération du vote lyonnais. L’électorat lyonnais opte à une large majorité pour des partis de gouvernement et montre en conséquent une forte résistance aux radicalités. Le calcul d’un « taux de radicalité », simple et significatif bien qu’imparfait, correspondant au pourcentage des partis de droite et de gauche qui ne sont pas des partis de gouvernement permet de révéler ce caractère propre. »
En 2022, plus de la moitié des Lyonnais ont fait le choix d’un candidat non modéré. Le poids de la conjoncture nationale marqué par l’effondrement lors des scrutins nationaux des deux « vieux » partis : Parti socialiste et Les Républicains a fortement joué. Il pourrait donc s’agir d’un épiphénomène. Lors des dernières élections locales les partis modérés avaient bien mieux tiré leur épingle du jeu. Les résultats des municipales 2022 mériteraient, du reste, d’être mis en miroir avec ceux de la dernière élection présidentielle : les résultats des modérés et des radicaux, tant à droite qu’à gauche y sont presque exactement inversés.

Georges Vermard, Elections 1967, Bibliothèque municipale de Lyon / P0702 B05 18 336 00012
La radicalisation est plus le fait de la gauche que de la droite. L’extrême-droite progresse peu. Elle enregistre des scores importants, comparables à 1995 et 2002, mais très largement inférieurs à ses scores nationaux. La poussée de l’extrême-droite que semble indiquer la carte de Bertrand Enjalbal est ainsi à relativiser ; l’augmentation de 55% et + 6 points se faisant sur un score 2017 faible et avec une offre droitière bien différente – nous y reviendrons.
La data-cartographie de Bertrand Enjalbal est néanmoins toujours instructive…
La géographie du vote reste inchangée
Dans notre précédent article de 2017, nous ébauchions une géographie du vote à Lyon. Cette géographie était très proche de celle présentée par Jean-Yves Authier et Renaud Paire dans leur article Lyon une ville centriste toujours à droite ?
Deux évolutions majeures
Sur le modèle de l’enquête Vox Populy, nous avions distingué, à Lyon, quatre grands types de quartiers : les quartiers bourgeois, les seuils, les quartiers résidentiels et les quartiers gentrifiés. Chacun de ces quartiers avait des comportements électoraux propres.
Ces comportements ont très peu évolués. Deux nouveautés peuvent néanmoins être signalées, l’une conjoncturelle, l’autre plus structurelle.
Les quartiers bourgeois du 2e et 6e arrondissement qui sont, à chaque élection, les plus modérés ont été plus radicaux qu’habituellement. Cette radicalité s’est reportée sur la droite ; la candidature d’Eric Zemmour semble avoir capté une partie de l’électorat habituel des Républicains. Il est d’ailleurs significatif que le 2e et le 6e arrondissement soit les deux seuls arrondissements où Reconquête ait enregistré des scores supérieurs (et très largement) à ceux du Rassemblement national.
Alors que nous notions, en 2017 : « La gentrification du 7e arrondissement, […] devrait à plus ou moins brève échéance tendre à rapprocher les comportements électoraux locaux de ceux des électeurs du 1er arrondissement. », cette mutation semble achevée. Le 7e arrondissement dont les comportements électoraux se rapprochait encore de ceux des 8e-9e arrondissements en 2017, montre depuis une nette évolution dans la direction observée. Comme dans le 1er arrondissement, on vote de plus en plus à gauche dans le 7e et de plus en plus pour les partis radicaux.
Une stabilité en trompe-l’oeil
Les 8e et 9e arrondissements qui ont fait l’objet ces dernières années de nombreux aménagements et de grands projets immobiliers conservent encore les caractéristiques des seuils et de leur électorat populaire. Le vote du 3e arrondissement se rapproche étonnamment de plus en plus de ces quartiers de « seuils » ce qui pourrait être le signe d’une paupérisation de ce quartier ou du moins un sentiment de décrochage de la part de ses habitants. Les statistiques portant sur le revenu médian, la part de cadre et professions intellectuelles et la part d’ouvriers montrent pourtant des différences sociologiques importantes entre le 3e et les 2 autres arrondissements.

F. Serraille, Election europenne 2004, Bibliothèque municipale de Lyon / fonds Lyon Figaro
Le vote des villes
Lyon toujours à l’Ouest
En 2017, Jean-Yves Authier et Renaud Paire indiquaient : « les résultats du premier tour de la présidentielle 2017 à Lyon sont comparables à ceux des grandes villes où l’essentiel des quartiers populaires se situe hors de la ville-centre. ». Au terme « grandes villes », nous préférions utiliser celui de ville Atlantique car « Les caractéristiques du vote lyonnais le rapprochent, du vote de villes comme Bordeaux ou Nantes – Paris présentant les mêmes traits de façon encore plus accusés :
- la participation est supérieure à la moyenne (conforme à la moyenne nationale pour les présidentielles),
- on observe un glissement du centre droit vers le centre gauche,
- la même modération (vote pour les partis de gouvernement),
- et un vote faible en faveur du Front National.
Le vote nantais est un peu plus accusé à gauche ; ceux de Bordeaux et Lyon vraiment très similaires. »
Ces similitudes restent d’actualité. L’électorat de Lyon, Nantes et Bordeaux a continué à évoluer de façon très similaire entre 2017 et 2022. Le glissement à gauche s’est poursuivi sur les cinq dernières années. Les villes sont devenues des villes vertes, à l’exception de Nantes : rose-verte.
Le lent renforcement du socle de gauche
Nous avancions pour expliquer l’origine de ce glissement les hypothèses de Fabien Escalona et Mathieu Vieira dans une note publiée par la fondation Jean-Jaurès. Le centre gauche de ces métropoles s’appuierait sur l’émergence de groupes sociaux pour constituer son noyau électoral, à savoir le salariat diplômé et urbain mais pas forcément riche en patrimoine (les «classes moyennes et supérieures intellectuelles») sensible à un « libéralisme culturel », et les milieux populaires à forte proportion de Français d’origine étrangère.
Bien qu’il soit à relativiser, le socle de gauche depuis une vingtaine d’années reste stable (autour de 40-45%) et il n’a véritablement été érodé que par l’émergence d’une opportunité au centre de l’échiquier politique lorsque François Bayrou en 2012 et Emmanuel Macron en 2017 ont aspiré une part des voix de centre gauche.
Le rapprochement de Lyon, Nantes et Bordeaux ne peut cependant pas être généralisé à toutes les grandes villes françaises : Marseille et Nice ont un comportement électoral radicalement différent, Toulouse, Montpellier et Lille sont aussi beaucoup plus radicales. Strasbourg, il y a peu de temps encore, plus à droite semble être la seule grande ville française à se rapprocher désormais du comportement électoral du trio Atlantique.

Georges Vermard, Elections 1967, Bibliothèque municipale de Lyon / P0702 B05 18 355 00010
Le COVID n’a pas faussé les municipales
La situation sanitaire en mars 2020 et le calendrier bousculé des élections municipales ont causé une vague d’indignation. Le résultat des élections était forcément faussé. Cette idée était largement partagée dans la population, le journal Le Point proposait ainsi un sondage à ses internautes ; sur 20 000 personnes interrogées, 77% pensaient le résultat non représentatif. Cette croyance pouvait être relayé par le monde politique, partout en France et en particulier sur la Métropole de Lyon, ou par des universitaires comme Sylvain Brouard et Haley McAvay qui liait chiffre à l’appui le taux d’abstention dans les villes à ce que nous avons appelé plus tard le taux d’incidence du virus dans ces mêmes villes.
L’impact sur l’abstention sur les dernières municipales semble évident. Y compris à Lyon, l’abstention a été bien supérieure à celles des précédentes élections municipales (environ 60% contre 40% habituellement). Mais a-t-elle pénalisé un parti plus qu’un autre ?
Les événements de campagne, la situation nationale, la conjoncture sociale et politique ont toujours un poids important. Il est donc délicat d’asséner des vérités à partir de statistiques ou de comparaisons. Néanmoins, si l’on compare les résultats de 2020 et ceux des dernières élections, régionales et présidentielles, nous ne remarquons pas d’anomalie particulière. Les grands équilibres politiques entre la gauche, le centre et la droite sont équivalents à quelques pourcents près sur ces élections. A Lyon, la dispersion des voix du centre, avec les nombreuses candidatures dissidentes, semble avoir bien davantage pesé dans le résultat que l’épidémie naissante.
A lire :
Authier (Jean-Yves) et al., Sociologie de Lyon, La Découverte, Paris, 2010.
Benoit (Bruno, de), L’identité politique de Lyon, L’Harmattan, Paris, 1999.
Chabrot, Métropôle de Lyon, an I, des élections directes, et après ?, L’Harmattan, Paris, 2022
Collectif Sociologie politique des élections, Le Sens du vote : une enquête sociologique, France 2011-2014, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2016.
Flamant (Anouk) et al., Vox Populy, Radiographie du vote lyonnais à la présidentielle de 2012, Ed. Libel : Sciences po Lyon-Métropoles publications, Lyon, 2013.
Nadaud (Richard) et al., Le Vote des Français de Mitterrand à Sarkozy, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 2011.
Perrineau (Pascal), Le Choix de Marianne, Fayard, Paris, 2012.
En ligne :
Manouk Borzakian paru dans Libération, « Les bouseux ne savent pas voter, ou le simplisme à l’œuvre »
Frédéric Giraut paru dans L’Espace géographique, « Le vote extrémiste à l’assaut de nouveaux territoires »
Fabrice Ripoll et Jean-Rivière paru dans Les Annales de la recherche urbaine, « La ville dense comme seul espace légitime ? Analyse critique d’un discours dominant sur le vote et l’urbain »
Jean-Yves Authier et Renaud Payre paru sur Métropolitiques, «Lyon, une ville centriste toujours à droite ?»
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