Adilon
Publié le 25/11/2010 à 10:28 - 25 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux
Du 16 octobre 2010 au 15 janvier 2011, le Musée d’art contemporain de Lyon, le CAUE du Rhône (en partenariat avec Architecture et Maîtres d’Ouvrage), la Galerie des Projets, la BF15 et le Lycée Sainte-Marie de Lyon rendent hommage a un artiste lyonnais majeur disparu le 2 avril 2009.
Architecte, peintre, cet homme discret vécut son activité artistique comme un sacerdoce, avec intégrité, sans jamais se compromettre. Il laisse davantage qu’une oeuvre artistique : son approche de l’architecture a profondément marqué de son influence les gens qu’elle a touché : « Il a changé notre vie et notre façon de vivre » explique l’habitante d’une des maisons qu’il a conçu à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or.
« Par une inlassable pédagogie du regard, l’école apprend ainsi à distinguer : l’espace et l’esprit s’y organisent, l’essentiel se dégage de l’accessoire, l’avenir du présent. »
En France, peu d’établissements éducatifs sont remarquables d’un point de vue architectural ; la réflexion qui prédomine à la conception de ces établissements ne dépasse guère les considérations pratiques visant à leurs fonctionnalités. On en limite généralement les usages à l’occupation qui est faite des lieux : la circulation dans l’établissement, l’ouverture de celui-ci sur le quartier, etc. sans songer à l’impact culturel que les lieux eux-mêmes peuvent engendrer sur les personnes qui les occupent. Peut-on imaginer une approche différente de l’architecture scolaire ? Une école faite de « pièces où l’on n’est pas enfermé de manière préconçue avec des normes », un lieu qui refuserait de se cantonner à « une architecture fonctionnelle au sens où elle n’aurait qu’une fonction ». A Lyon, quelques élèves (et professeurs) font l’expérience depuis une quarantaine d’années d’un tel établissement. La connivence entre l’équipe de direction d’un lycée privé et d’un artiste-peintre/architecte est à l’origine d’une œuvre architecturale remarquable mais injustement méconnue des Lyonnais. Les trois sites de l’externat privé des maristes (à Fourvière : La Solitude et la montée Saint-Barthélemy, et à la Verpillière) constituent l’œuvre maîtresse de l’architecte lyonnais Georges Adilon. Pas seulement pour l’intérêt plastique que cette œuvre représente, mais surtout parce qu’il s’agit d’un projet rare de collaboration étroite, durable, entre un pédagogue et un architecte : la démonstration flagrante qu’une architecture peut véhiculer des principes, et, par là, influer sur les personnes qui fréquentent ses murs.
Sommaire
2Regard | « On doit perpétuellement découvrir l’espace dans lequel on vit. »2
« Je rencontrai donc Georges Adilon et le conduisis à cette chapelle. Calme, silencieux, il regarda ; il regarda comme je n’avais jamais vu regarder. Il paraissait pauvre et accueillant. Son regard était dépouillé de tout a priori, de toute prétention. Il ne dominait pas, porté par son savoir ou par l’illusion du déjà-vu. Il recevait et accueillait, il se laissait pour ainsi dire habiter par ce qu’il voyait. » [1]
En 1966, la rénovation du cœur d’une petite chapelle de l’externat Sainte-Marie conduit son directeur, le père Perrot, à rencontrer, sur les conseils de Alain Chomel, alors architecte attitré de l’établissement, un artiste peintre qui s’est acquis déjà une petite réputation dans le sillage d’artistes lyonnais comme Fusaro, Truphémus ou Cottavoz [2] : plutôt peintre de paysage, l’homme s’évertue dans ses toiles à traquer la lumière, celle du Sud surtout, qui enveloppe le motif récurent de ses œuvres de jeunesse, le pin parasol. Le père Perrot ne laisse rien paraître de ses réticences alors qu’il s’apprête à recevoir le jeune artiste peintre ; mais celui-ci, d’un regard, vif, acéré – celui qu’il porte avec une curiosité sereine sur les choses qui l’entourent – les dissipe tout à fait. D’emblée, c’est le regard de cet artiste qui pose aux yeux du pédagogue cet homme direct et simple avec lequel, il ne s’en doute alors pas, il est sur le point de s’engager pour une longue relation fructueuse.
Au fil des ans, l’entente entre les deux hommes, la convergence de leurs idéaux, va nourrir un très beau projet éducatif, offrant aux générations d’élèves qui vont se succéder à l’externat mariste dont Marc Perrot à la charge, un cadre exceptionnel. Pendant 35 ans, Adilon soutenu, encouragé, défendu par son commanditaire, va progressivement offrir à l’institution un visage d’une originalité poignante : après les petites réfections des débuts, Adilon se voit confier la conception de tous les nouveaux bâtiments de l’école : des salles de classes, une salle de sport, un théâtre, une bibliothèque… La conviction du père Perrot, qui ne peut que trouver chez l’architecte un écho favorable, c’est que l’aménagement des lieux d’enseignement participe à la pédagogie, au principe que la pierre dressée par l’homme est porteuse de principes. « L’éducation ne compte pas seulement des maîtres mais des lieux. L’architecture est une médiation nécessaire pour que se pratique l’art d’enseigner. » [3]
Le regard d’Adilon impressionne Perrot car il n’hésite pas à considérer, scruter, interroger : il témoigne de la part de l’architecte d’une attention particulière à ceux qui habiteront les murs qu’on l’a chargé de dresser, comme conscient de la responsabilité que sous-tend son geste créatif. « Nos écoles répètent des modèles diffusés par la société industrielle qui uniformise lieux et fonctions : médiocrité de conception qui est une menace d’abaissement pour les enfants. » [4]
C’est un regard fort de son humilité, un regard avide de remettre en cause ce qu’il voit, d’accepter une vision qui ne serait pas la sienne pour mener plus loin une réflexion fructueuse. « Adilon sait très bien écouter. Aucun problème ne le déconcerte. Il est toujours heureux d’avoir à créer quelque chose de difficile. Avec lui on peut tout imaginer. C’est intéressant de travailler avec un homme qui ne défend aucune école, aucun a priori… » [5]
Sur sa propre œuvre, cependant, aucun regard n’égale celui de son fils Blaise, né au début des années 60, qui rend à l’œuvre d’Adilon son plus bel hommage : des photographies d’une belle intensité qu’on peut découvrir notamment dans les ouvrages édités par l’institution mariste sur l’externat Sainte-Marie : Paidaia 1, 2 et 3 : « Photographe, mais beaucoup plus, il sait voir. C’est lui qui depuis longtemps photographie la peinture et l’architecture de son père » [6].
2Liberté | « Sait-on jamais pourquoi on fait les choses. »2
C’est avec le même engagement que l’architecte aborde les commandes qui suivent. Pour l’essentiel, des maisons individuelles – dont il conserve un compte très approximatif : entre 10 et 30 sur une trentaine d’années – projets en général suscités par le bouche-à-oreille qui l’installent dans un rapport assez dilettante à l’architecture. Adilon ne court pas après les commandes ; il n’envisage sa participation à un projet architectural que comme le fruit d’une rencontre véritable entre son commanditaire et lui-même, une convergence de leurs deux points de vue, l’aboutissement d’un dialogue…
« Dans l’architecture, il y a forcément un dialogue avec quelqu’un qui attend une réponse, qui a besoin de vous. On parle de ses goûts, de sa façon de vivre, l’implantation du terrain, l’orientation, l’espace alentour, la surface souhaitée, la hauteur du bâtiment… Toutes ces contraintes sont des matériaux. C’est un puzzle dont on fabrique les pièces au fur et à mesure. Avec tous ces éléments on peut faire cent bâtiments, mais il n’y en a qu’un que je saurais faire. » Adilon est un architecte du sur-mesure.
Au cœur de ces maisons aux formes courbes, en arc de cercle ouvert sur le paysage, caractérisées par de grands développés de façade, Adilon s’abandonne à une véritable réflexion sur la liberté d’habiter : au sein d’un même volume, il multiplie les ruptures, d’espace comme de ton, concrétise le foisonnement des propositions par la mise en place de multiples lieux, sans chercher forcément à modeler une transition entre ceux-ci. C’est vrai aussi de son travail pour l’externat des maristes : sans volonté hégémonique de donner une cohérence à l’ensemble, construit en strates successives au fil des ans, comme un agglomérat d’excroissances organiques greffés sur un corps de plus en plus ramifié, il parvient cependant à imposer la place de chaque bâtiment, chaque pilier, chaque escalier, comme relevant d’une évidence, d’un ordre naturel des choses. Dans son annexe de la Verpillère en Isère, par exemple, le bâtiment qui abrite les classes de troisième, avec ses étages en couche empilés grossièrement, laisse l’impression paradoxale d’un désordre juste, en équilibre ; comme s’affirmant « sous le signe du désordre mais impos[ant] paradoxalement une sensation de plénitude et de parfait équilibre. Le dessin semble issu d’une joyeuse bousculade : pas deux arêtes parallèles, pas deux fenêtres identiques, pas deux poutres alignées ; pourtant, tout paraît être à sa place. Comment tant d’agitation peut produire tant de calme ? » [7]
Cette liberté d’invention s’explique-t-elle par la façon dont Adilon considère son travail d’architecte ? D’après lui, il consiste essentiellement à rêvasser, à se promener mentalement dans ces lieux à inventer. Une démarche qu’on imagine davantage celle d’un artiste : en somme, rien de schizophrène chez ce Janus : le peintre et l’architecte sont bien une seule et même personne.
Et si le peintre gestuel à la Pollock qui se révèle progressivement dans les années soixante-dix paraît vouloir saisir dans ses tableaux quelque chose de l’espace – jusqu’à affronter en 1984 une toile monumentale de 16,56 sur 52 mètres pour son œuvre 4.8.84 [8] réalisée en trois jour dans la salle de sport alors en construction de la Verpillère, annexe de l’école des maristes -, l’architecte aborde son ministère avec la liberté décomplexée de l’artiste.
De fait, il reste un architecte en marge, un « facteur Cheval » de l’architecture ainsi qu’il fut joliment qualifié par un journaliste. Lui-même l’admet, pour la profession, « inconsciemment on ne peut être à la fois peintre et architecte ». Ce n’est d’ailleurs qu’après des années d’exercice qu’il obtient en 1981 le statut d’architecte agréé, comme s’il avait fallu s’acharner pour convaincre que ses réalisations ne relevaient pas d’une sorte de « land art » immobilier. Si celles-ci continuent à lui valoir la reconnaissance de quelques-uns de ses illustres collègues, d’élus éclairés – la communauté urbaine de Lyon lui commande en 1989 l’habillage d’un mur de céramique décorant une usine d’incinération à Rillieux-la-Pape – et d’une bonne partie du personnel et des élèves de l’externat des maristes [9], son travail est pourtant loin de s’imposer à tous.
Sur la colline de Fourvière, enclave jalousement préservée d’une certaine tradition ecclésiale lyonnaise, le combat fut rude, d’interdictions en procès, de vandalisme des beaux quartiers [10] en tyrannie du bon goût ; il faudra l’intervention du Conseil d’État et de l’architecte des bâtiments de France pour obtenir, grâce à l’inscription de l’externat au patrimoine, les autorisations de construire une architecture contemporaine. L’obstination de Georges Adilon, sa tranquille confiance en ce qu’il accomplit, le soutien indéfectible de Marc Perrot, maître d’ouvrage visionnaire, finiront par avoir raison du conservatisme que ne cesse de chatouiller la liberté insolente avec laquelle les ouvrages de l’architecte investissent la vénérable institution catholique des maristes. « Nous avons travaillé assez seuls au début, en dépit des incompréhensions, sans rechercher d’approbation. Il fallait avancer, porter toute notre attention à faire toujours le mieux possible. » [11]
Y a-t-il encore une place pour ceux qui refusent d’occuper celle que les conventions les obligent à tenir ? Bien avant que sa disparition ne mette un terme à l’activité artistique du peintre, l’architecte s’était résigné à cesser de modeler le béton. La règlementation qui prétend, en France, protéger le paysage architectural n’admet pas, par exemple, l’existence d’habitation qui n’auraient pas de toits à deux ou quatre pentes. Pour ne pas arranger les choses, Adilon éprouve un profond malaise face à la froide régulation des concours d’architecture, devenue la norme en terme de marché public. Normal pour un homme qui voyait en tout projet architectural la concrétisation d’une rencontre : « L’aspect formel d’un travail élaboré pour un concours sans interlocuteur véritable, quel que soit le bon vouloir de l’architecte, affecte dès l’abord ses qualités de création. Une mission aléatoire ne sera jamais une mission véritable. » [12]
2Lumière | « Faire de la lumière un autre élément de l’architecture »2
« Son architecture émane du désir de se planter là et de regarder dehors, de se lover et de regarder le feu… Fusion du monde du dehors et du monde du dedans, lumière… »
Un jour le peintre Adilon devient l’architecte Adilon. Il ne s’agit pas plus d’une transition que d’un passage à l’acte, ou d’une épiphanie lui révélant sa véritable vocation. Les croquis griffonnés dans l’intention de dresser sa propre demeure en 1960 [13] s’imposent à sa plume avec la même évidence que s’imposent à ses pinceaux les traits figurant les pins parasols de ses premières toiles. L’architecture lui apparait comme un moyen d’expression plastique soulevant des préoccupations pas si différentes de celles auxquelles il est confronté en face d’une toile vierge.
Jusqu’à la fin des années 60, on peut presque qualifier Adilon d’impressionniste ; à la façon de Claude Monet, il paraît poursuivi par l’obsession de la lumière. « Peindre lui est indispensable où que ce soit, quoi qu’il ait à faire : la quête de la lumière, avec des moments de grâce comme les séjours à Nice et les collines de Cimiez ou le séjour à Douvaine, les rives du Léman. » Lorsqu’il s’attelle à la construction de sa première maison, tout naturellement, certaines de ses obsessions picturales trouvent un écho dans son approche de l’architecture ; ses intentions en ce domaine, déjà, se révèlent : « Faire entrer la lumière, travailler de l’intérieur et non de l’extérieur, respecter les exigences de ceux pour qui l’on construit. »
Le béton, son matériau de prédilection, qu’il adopte pour sa souplesse, sert de base à l’ensemble de ses ouvrages architecturaux, au point de devenir presque une marque de fabrique : « Le béton, s’il est bien traité, peut être très beau. En tout cas, il permet une liberté de formes, et donc d’expression, de grandes ouvertures et, par là, de faire de la lumière un autre élément de l’architecture. »
Dans les maisons qu’il conçoit, les volumes s’agencent de façon à faire circuler la lumière : l’accrocher d’abord, pour l’accompagner le long des parois, niveaux, coins et recoins à la façon dont un artiste peut modeler ses matières sur sa toile ; des ouvertures trapézoïdales ou ovales qu’on oserait à peine qualifier de fenêtres, offrent des percées de lumière inattendues au milieu d’une pièce…
Il y a dans cette maîtrise de la lumière une forme d’affirmation de son obsession pour l’entre-deux qui parait dicter sa façon de façonner l’espace : les rapports très étudiés entre plein et vide, intérieur et extérieur… Pour Adilon, il n’y a jamais opposition entre les formes intérieures et extérieures : « Le mouvement a toujours lieu de l’intérieur vers l’extérieur. L’extérieur est le résultat de ce qui a été élaboré à l’intérieur. »
Ces préoccupations que l’architecte partage avec le peintre opèrent un curieux amalgame entre ces deux activités : « C’est pareil. » affirme-t-il. Pour lui, il n’y a pas de séparation entre ses activités : elles constituent deux émanations de la même réflexion. Et s’il exerce l’une dans un bureau séparé par un escalier de l’atelier où il pratique la seconde, il ne faut y voir aucun formalisme : « la table à dessin d’architecte n’a jamais servi (elle tient lieu de desserte) ». On le trouve griffonnant ses croquis d’architecture au crayon, sans autre outil qu’un double décimètre, et il faut y regarder de plus près pour réaliser qu’il n’est pas en train de travailler à sa prochaine peinture ; il passe d’une activité à l’autre sans s’imposer de règles particulières à la façon d’un Le Corbusier, peintre le matin, et architecte l’après-midi, mais toujours peintre OU architecte. Adilon ne s’embarrasse pas de telles distinctions… Il considère l’architecture comme une forme d’expression artistique à part entière : « Au départ l’architecture était un mode d’expression plastique au même titre que la gravure, la litho, les monotypes » [14].
La lumière, parmi toutes les préoccupations qui traversent les projets auxquels George Adilon a travaillé – la manière très particulière avec laquelle l’artiste la conduit à l’intérieur d’un espace – est sans doute celle qui traduit le plus frontalement la marque du peintre. Jusqu’à cette usine de 5000 m² dont l’atelier de stockage et les bureaux baignent dans une lumière latérale et zénithale qui, structurant habilement l’espace, confèrent à l’endroit un cachet graphique qu’on ne s’attend pas à trouver dans un lieu industriel… Pourtant, Adilon, le peintre, a très vite abandonné la poursuite de la lumière dans ses toiles : à la fin des années soixante, il se radicalise ; tournant le dos aux portes qui commencent à s’ouvrir à lui dans le milieu artistique, préférant l’intégrité de l’expérimentation et la poursuite d’un idéal artistique à la facilité d’une notoriété de salon, il abandonne la figuration pour une abstraction qui tend vers l’essentiel.
2Épure | « L’essentiel est que ce soit fait. »2
« Au début je faisais une peinture traditionnelle. J’employais le châssis, la toile, l’huile, toutes les couleurs… Puis j’ai éprouvé le moyen de me débarrasser de la matière, de l’huile notamment, qui implique une certaine pâte, qui me paraissait alourdissante. J’ai peu à peu réduit le nombre de couleurs, de formes, jusqu’au schème de l’ovale, du rond, que l’on retrouve d’ailleurs dans mon architecture. Après quelques phases de transition, j’ai essayé plusieurs matériaux, comme le collage d’aluminium sur lequel je projetais des peintures aérosol et progressivement j’ai abandonné la peinture à l’huile. Ce n’était pas une volonté déterminée, j’avais juste le besoin de me débarrasser de trucs qui m’encombraient. Une quête de liberté d’agir, de faire… »
1969 marque chez Adilon le passage définitif à l’abstraction picturale. Après quelques années d’expérimentation, il va finir par baser sa peinture sur un usage quasiment exclusif de peinture glycérophtalique noire et une manipulation des formats du papier, sans jamais cesser pourtant de pousser toujours plus loin ses recherches plastiques, parfois même jusqu’au bout du bout – le format de son œuvre monumentale de 1984 [15] est constitué d’un assemblage des formats de base de ses œuvres précédentes -, mais toujours avec cette volonté de toucher à l’essentiel. Car l’épure, chez Adilon, doit se lire comme la poursuite d’une évidence, de la chose qui est, naturellement, sans qu’on ose douter de sa légitimité. Une impression, en tout cas, que dégage assez unanimement son œuvre architecturale, si l’on en croit la prose qu’elle a inspirée : les termes qui viennent à la plume de ses commentateurs se tournent assez volontiers vers la métaphore naturaliste : « l’amoncellement chaotique du bâtiment semble être sous l’effet d’un mouvement tellurique, d’un changement d’ère. », « une architecture qui se propage – pas comme la lave – comme la verdure – qui s’installe là où le terrain le permet – là où elle gêne le moins – là où elle s’épanouit le mieux. », « On retient ce lien osmotique avec la colline, cette façon d’occuper les terrasses comme de toute éternité. » On aurait tort cependant de réduire à quelque lyrisme néo-romantique les inspirations que pourraient suggérer ces métaphores : si les bâtiments d’Adilon nous paraissent à ce point essentiels, c’est qu’il en aborde la conception avec un point de vue anthropocentrique : le rapport au corps constitue l’unique point focal de son architecture. Il construit ces bâtiments en osmose organique avec les individus qui vont les habiter : « Architecture de l’intériorité qui s’ouvre sur l’extérieur, architecture du passage, où les transitions sont fluides, mouvantes, qui accueille la lumière et refuse l’aveuglement. », sans jamais céder au fonctionnalisme, c’est-à-dire en assumant pleinement la dimension culturelle et sociale du rapport étroit qu’elle entretient avec ces individus : « L’école contraint pour rendre libre, rassemble pour singulariser, retient pour mieux laisser partir. Et son architecture, par l’articulation précieuse et dynamique des formes, la respiration des volumes et des espaces conciliera elle aussi l’ombre et la lumière, l’ouverture et le repli, la souplesse et la solidité, l’épaisseur et la transparence… » (Paideia).
L’architecture selon Adilon est un mouvement de l’intérieur – elle est conçue en adéquation avec ses occupants, vers l’extérieur : la vue, le cadre en constituent un aspect important, toujours mis au service d’une intégration harmonieuse d’un occupant dans son espace de vie. De ce fait, les bâtiments chez Adilon trouvent toujours leur place, sans jamais laisser l’impression d’investir les lieux, de les occuper. La construction de la bibliothèque de la montée Saint-Barthélemy a par exemple été pensée en fonction des marronniers de la cour, les intégrant dans des patios en forme de cylindres de verre d’où dépasse leur ramure. Les piliers supportant le bâtiment sont alignés avec une série de troncs dont ils paraissent le prolongement. Les dalles de ciment peuvent êtres sombres ou claires, mais toujours soigneusement choisies en fonction de la couleur des graviers. « Je garde le mouvement de la vie » dira-t-il.
A cette préoccupation de s’enraciner tout naturellement dans le paysage, répond un choix de matériaux élémentaires, les plus résistants, les moins sophistiqués – quoique résolument moderne : bétons bruts, dalles cimentées, chêne massif, tubes en inox, huisseries sans joint. Sa liberté créative, Adilon la tire de la simplicité de ces éléments : « La complexité des espaces est rendue possible par le béton. La liberté donnée par ce matériau engendre [de grandes] richesses d’impressions. » A ceux qui trouveraient antinomiques sa recherche d’une certaine forme d’authenticité par rapport à la triste modernité du béton, il répond : « Le béton est un matériau de notre époque : en utilisant toutes ses possibilités, on est dans la vraie tradition. L’exemple des cathédrales commencées par le chœur en style roman, puis continuées par la nef en style gothique, montre bien qu’à chaque époque, on utilise les moyens dont on dispose. C’est l’emploi des techniques modernes qui est la marque d’une architecture authentique. » Et si, dans l’esprit de la plupart des gens le béton reste associé à une architecture aliénante et austère, il aime rappeler que cela dépend surtout de ce qu’on en fait : « Aujourd’hui nous sont donnés le béton, les moellons, les enduits, des matériaux qui, étant bien utilisés, peuvent être très beaux. Mais il faut inventer des formes en fonction de leurs possibilités et de leurs contraintes. » Dans sa simplicité brute, Adilon voit surtout un motif de libération des formes et des espaces : si ce matériau n’évoque pas exactement la subtilité, c’est pourtant sa très grande flexibilité qui permet à l’artiste de conduire la lumière comme il l’entend au cœur de ses œuvres.
Loin de la rigueur formelle à laquelle on serait tenter d’associer le béton, les espaces créés par Adilon répondent davantage à des préoccupations d’ordre sensoriel et perceptif que purement pratique et fonctionnel : bâtis sur un mode de composition topologique plutôt que géométrique, ils suggèrent que l’intuition de l’artiste a prévalu sur le rationalisme de l’architecte. Peut-être faut-il voir là une des raisons pour lesquelles les lieux qu’il a imaginés inspirent un tel sentiment d’évidence et nous touchent autant.
« Il me semble que je n’ai pas d’idées préconçues. Chaque projet se présente comme ça. Chaque chose vient d’une nécessité. Les choix ne sont pas affaire de volonté mais de sensibilité. »
[(
Une courte synthèse du travail réalisé par Georges Adilon pour les maristes à Lyon :
Montée Saint Barthélémy :
l’entrée de l’Externat (1968),
la cour d’honneur (standard- escalier – fresques murales : 1989 – 1991),
la Salle audiovisuelle (1979 – 1980),
les classes de Seconde (1970),
la Bibliothèque (1986 – 1987),
les classes de Terminales (1971)
et la cour des terminales (1990),
la Chapelle (1974),
l’entrée du Théâtre (1993).
La Solitude :
l’escalier accolé au bâtiment ancien des Cinquièmes (1971 – 1972)
les laboratoires (1975),
les réfectoires (1969, 1981, 1985)
et la Salle des Sports (1988 – 1989).
)]
2Bibliographie2
[actu]Expositions[actu]
C’est le moment ou jamais de (re)découvrir l’œuvre de cet artiste lyonnais qui fait en ce moment l’objet d’une commémoration sans précédent : pour accéder à l’ensemble des expositions organisées dans le cadre de cet hommage, ou visiter l’institution des maristes, on pourra se référer au dossier de presse ou la brochure publiée pour l’occasion.
Ou consulter les sites des organismes qui participent à cet hommage :
- le Musée d’art contemporain de Lyon
- le CAUE du Rhône
- La BF15
- la Galerie des Projets
- le Lycée Sainte-Marie de Lyon
- A ceux qui s’intéresseraient particulièrement à Georges Adilon, nous recommandons cet ouvrage, qui contient une biographie chronologique de l’artiste très détaillée, ainsi que la liste complète de ses expositions…
Georges Adilon : architecture, peinture publié par la Maison de l’architecture Rhône-Alpes, l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne et Le Rectangle.
- Pour un aperçu de l’œuvre picturale de Georges Adilon période « 1984 » agrémenté de notes détaillant la démarche de l’artiste, on peut consulter le catalogue de l’expo du alors tout jeune musée d’art contemporain… Georges Adilon : Octobre des arts, Lyon 1984, édité par le Musée d’art contemporain, 1984.
- …ou à celui de Brou : Adilon, édité par Bourg-en-Bresse : Musée de Brou Göppingen : Stadtsiche Galerie, 1990
- Patrick Drevet, écrivain et un temps enseignant à Sainte-Marie a écrit sur la peinture d’Adilon ; on peut admirer dans son ouvrage des reproductions en noir et blanc des œuvres de jeunesses d’Adilon : Récit d’un geste sur des peintures de Georges Adilon, par Patrick Drevet, 1984.
- Indispensables, remarquables, les ouvrages publiés (mais très mal distribués) par l’externat Sainte-Marie regroupent en quatre magnifiques volumes des photos de Blaise Adilon qui permettent d’admirer sous toutes les coutures le travail d’Adilon pour l’externat des maristes ; les ouvrages, agrémentés de textes d’enseignants, figurent bien l’importance que peut revêtir l’architecture dans un cadre éducatif : Paideia. 1 Paideia 2,. 1987-1993 Paideia 3, A propos des barrières de l’externat Sainte Marie. 1980-1999 Paideia 4, Georges Adilon, 40 ans d’architecture à Sainte-Marie. 1987-1993
- Lyon, architecture(s) urbaine(s) ouvrage édité par la Ville de Lyon ; sous la direction de Gilles Buna.
- Ceci n’est pas un parc : art, architecture, design sous la direction de François Gindre et Georges Verney-Carron.
- Georges Adilon : entretien avec René Déroudille, réal. Alain Vollerin.
- Georges Adilon, l’inventeur de lieux, in D’Architectures, n° 90, janv.-fév. 1999.
- Georges Adilon : peintre et architecte, in Le Moniteur architecture, n° 129, nov. 2002.
L’artothèque de la Bibliothèque municipale propose l’emprunt d’œuvres d’Adilon :
- Trace, Georges Adilon, 1983 – Lithogr. ; 76,3 x 56,5 cm.
- Non titrée, Georges Adilon, 1983 – Lithogr. coul. sur papier Arches ; 80,1 x 60,4 cm
- Georges Adilon : 24 caprices, in Numéro, 1996.
- Adilon est également l’auteur de « Trois jeux de traits », habillage artistique du parking Morand : Points d’actu
[1] Un homme, Marc Perrot
[2] Il obtient le Prix de l’Union méditerranéenne pour l’art moderne en 1954, puis le prix Othon-Friesz en 1956
[3] Marc Perrot in Georges Adilon, peintre et architecte
[4] Paidaia, P.laudet et M. Lavialle
[5] Marc Perrot in Georges Adilon, peintre et architecte
[6] Jacqueline Adilon, dans sa préface à l’ouvrage Georges Adilon : architecture, peinture
[7] Max Rolland, architecte in Revue du CAUE – N° 23 – Juillet 1996
[8] Une oeuvre si monumentale qu’elle présente un véritable casse-tête à tous les commissaires d’exposition qui voudrait l’exposer. Cette œuvre exceptionnelle à tout point de vue remit en cause complètement le projet de rétrospective sur lequel travaillait alors Thierry Raspail pour le Musée d’art contemporain : quand Adilon lui évoqua l’idée de cette toile, Raspail en saisit aussitôt la portée, et l’exposition rétrospective d’abord prévue fut entièrement repensée autour de cette œuvre. Élégant retour des choses, elle est actuellement au centre de l’exposition mise en place au MAC de Lyon dans le cadre de l’hommage rendu à Georges Adilon.
[9] « Ainsi, un jour, un élève de huitième était accoudé sur la rampe d’un escalier qui mène aux salles informatique. Le père Perrot passe à ce moment et lui demande :
-Tu n’as pas classe ?
-Non
-Alors, que fais-tu là ?
-Je regarde, parce que c’est beau… »
[10] « A peine posée, la porte vitrée de la montée Saint-Barthélemy fut l’objet de détérioration en règle. Adilon consulta le Père Perrot : « Qu’est ce qu’on fait ? » « -On recommence ! » La deuxième porte subit le même sort que la première. Même question, même réponse. La troisième porte est toujours là… »
[11] Georges Adilon dans une interview donné à d’anciens élèves des maristes
[12] Réponse de Georges Adilon à une incitation à concourir.
[13] Il rêvait d’une maison réalisé par Jean Prouvé, mais son banquier lui ayant refusé le prêt nécessaire, il se vit contraint de la dessiner lui-même
[14] Georges Adillon cité dans l’article Peintre et architecte, in Le moniteur architecture, n°129, novembre 2002
[15] « Depuis, tout me fait l’effet de timbres poste. Mon espace était modifié. Je me suis mis à travailler sur des 48ème de feuille, puis des 24ème, 12ème. J’avais besoin de revenir à une échelle humaine. »
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