10 poèmes pour des funérailles
Publié le 07/02/2022 à 07:30 - 10 min - Modifié le 26/01/2022 par Léa G
Il n’est pas toujours facile de trouver les bons mots pour honorer une personne disparue. Insérer un poème au sein de son discours peut-être un bon moyen d’y parvenir.
Mais lorsque l’on recherche des poèmes à cet effet sur le web, on croise souvent les mêmes titres encore et encore, qu’il s’agisse de Demain dès l’aube de Victor Hugo, L’adieu de Guillaume Apollinaire ou bien le magnifique poème de W.H. Auden intitulé Funeral blues, désormais indissociable du film culte de Mike Newell, Quatre mariages et un enterrement.
De très beaux textes certes, mais qui manquent toutefois d’une certaine originalité pour des obsèques.
L’année dernière, nous vous avions proposé une sélection de 10 poèmes à insérer dans vos vœux de mariage pour sortir du carcan de la poésie classique et orner votre discours d’une certaine originalité.
Si écrire des vœux d’union est certes plus réjouissant que d’écrire une oraison funèbre, il y a cependant des étapes de la vie par lesquelles nous passons tous, la perte d’un proche étant l’une d’elle.
C’est pourquoi à l’influx, nous avons décidé de vous concocter à nouveau une sélection de 10 poèmes récoltés par nos soins, issus de la poésie classique comme contemporaine, française comme étrangère, qui, nous l’espérons, viendront compléter votre discours avec sobriété et élégance.
Bien sûr, nous n’avons pas ici la prétention de mettre des mots sur votre douleur tant chaque deuil est singulier, mais nous espérons qu’à travers ces différentes voix poétiques, vous saurez trouver un peu de réconfort, malgré ce sentiment de manque indicible qu’aucun poème ne viendra combler tout à fait.
1 . « Sept parcelles de Lubéron » de René Char (1907-1988)
De mon logis, pierre après pierre
J’endure la démolition.
Seul sut l’exacte dimension
Le dévot, d’un soir, de la mort.
L’hiver se plaisait en Provence
Sous le regard gris des Vaudois ;
Le bucher a fondu la neige,
L’eau glissa bouillante au torrent ;
Avec un astre de misère,
le sang à sécher est trop lent.
Massif de mes deuils, tu gouvernes :
Je n’ai jamais rêvé de toi.
2 . « Sans titre » de Philippe Jaccottet (1925-2021)
(Le ciel d’hiver, qui occupe sans peser les deux tiers de ma fenêtre, […] et qui change en fils d’argent les plus fines branches des arbres presque immobiles au-dessous de lui, c’est encore une fois presque comme s’il m’encourageait à en fêter la lumière…l’illusion de la lumière. Comme pour qui écoute de la musique dans laquelle il baigne les yeux fermés et s’imagine, le temps de l’écoute, à l’abri du pire ; alors que ce manteau ne le protège pas mieux que celui de la neige.
Vient le moment du manteau déchiré, du corps déchiré, et trop souvent des tortures sans aucune excuse pensable.
Vient la destruction sans aucun remède et dont on ne peut plus parler sans mensonge, sans fioritures, sinon ces brassées de fleurs qui ne font que masquer l’insoutenable.)
3 . « Berck-Plage », de Sylvia Plath (1932-1963)
C’est donc cela, la mer, cette immensité hors d’usage.
Le cataplasme du soleil ne peut rien contre ma brûlure.
Dans l’air fusent les couleurs électriques de sorbets
Puisés dans la glace par les mains gercées de filles blêmes.
Pourquoi est-ce si calme, que veut-on nous cacher ?
J’ai mes deux jambes et le sourire pour avancer.
Une épaisse couche de sable étouffe les vibrations ;
Elle s’étend sur des kilomètres et des kilomètres,
Et les voix flottent, immatérielles, diminuées de moitié.
Le regard vient heurter contre ces surfaces lisses
Qui renvoient comme un boomerang leur vision blesser l’œil.
[…]
La mer aux serpents nombreux qui avait créé ces cristaux
Se retire en rampant et siffle longuement sa détresse.
4 . « Sans titre », de Charles Juliet (1934-…)
*
garde au plus profond
de ta terre
cet éblouissement
qui fut nous
je vis de ces images
de toi qui me hantent
et ton visage est là
comme au premier jour
5 .« La vie », Andrée Chedid (1920-2011)
Ce souffle du passage
Cette brièveté des jours
cette arcane souterraine
cette surprenante cette remuante
cette mort souveraine
cet étau qui nous bride
ce temps qui engloutit
ce presque rien :
La Vie !
Cette entaille de l’ombre
cette flamme dans la nuit
cet élan du désir
cette fabuleuse cette mystérieuse
Cet aimant vers l’ailleurs
cet essor vers l’avenir
cette esquisse d’éternité
ce presque tout :
La Vie !
6 . « Jusqu’à la nuit » de Jacques Roubaud (1932-…)
Le téléphone ne sonne pas. S’il sonne, je le décroche. Je le rebranche ensuite au cas où il sonnerait et je voudrais répondre. mais je réponds rarement.
L’arbre le plus à gauche, dans la fenêtre, a des feuilles si vertes qu’elles sont jaunes, de gros moineaux s’y agitent. je les aperçois à peine.
[…]
J’ai pris l’habitude de m’y étendre par le regard, assis sur une chaise. Sur la table j’ai posé les papiers, les livres, les lettres que je reçois et auxquelles je n’arrive pas à répondre.
Le soir quand la lumière se concentre, et avance, en oblique, parfois portant du soleil, parfois pas, jusqu’à mes pieds, je m’assieds sur cette même chaise, face à l’image.
J’y reste jusqu’à la nuit.
Pas pour regarder, j’ai déjà vu, pas pour attendre, quand rien ne viendra, juste par un geste, de continuité.
A hauteur de mes yeux, à peu près, est le point d’où a été composée l’image, la photographie, où l’on voit, ce que je vois et viens, paresseusement, de décrire, que je ne regarde pour ainsi dire plus jamais. cette image est sur le mur face à moi.
Je pourrais voir, sur le mur, distinctement cette image, je pourrai la voir, parfaitement dans la nuit même, mais je ne la regarde pas. cette image qui te contient.
7 . « I », Catherine Pozzi (1882-1934)
Nous marchons sous la profusion brillante
Des hêtres du chemin jusqu’au portique
Et nous voyons dehors les grilles
Pour la seconde fois les fleurs d’amandes.
Nous cherchons les espaces libres d’ombres
Où jamais d’autres voix ne nous troublèrent.
Et comme nous rêvons nos bras se serrent.
Nous nous désaltérons de reflets sombres
Nous sentons des sommets aux vents tranquilles
Descendre sur nous des traces de jour.
Nous écoutons seulement dans les pauses
Tomber les fruits mûrs et frapper le sol.
8 . « Fin de l’hiver », Louise Glück (1943-…)
Au dessus du monde immobile, un oiseau solitaire appelle
à son réveil parmi les branches ébène.
Vous vouliez naître : je vous ai laissé naître.
Quand ma peine a-t-elle une seule fois
contrarié vos plaisirs ?
Plongeant
à la fois dans les ténèbres et la lumière,
affamés sensations
comme si vous étiez une sorte de nouvelle chose, à vouloir
vous exprimer,
tout éclat, et vivacité,
ne pensant pas une seule seconde
que cela vous coûterait quoique ce soit,
n’imaginant pas une seule seconde le son de ma voix
comme une chose qui ne fasse partie de vous –
vous ne l’entendrez pas dans l’autre monde,
jamais clairement,
ni dans l’appel de l’oiseau, ni dans le cri de l’homme,
ni dans le son clair, seulement
dans l’écho persistant
de tout son insignifiant au revoir, au revoir-
la seule ligne continue
qui nous lie l’un à l’autre.
9 . « Sans titre », de Valérie Rouzeau (1967-…)
Je ne porte pas spécialement d’habits noirs parce que tu n’es plus visible.
Je peux penser à toi en bleu des jours entiers.
Te trouver des fleurs qui sortent de l’ordinaire des vases assez beaux assez lourds.
C’est difficile de t’offrir quelque chose, ç’a toujours été.
L’autre fois j’ai mis mes deux pieds dans tes grandes bottes vides et ton chien est venu avec moi.
Il pleuvait et je nageais dedans, tu avais dû garder des cailloux dans tes poches.
Et l’autre fois encore je ne t’ai pas porté spécialement de bouquets.
10 . « Sans titre », d’Eric Sautou (1962-…)
toute la maison
vide
de toi la chambre fermée
dans la cuisine et dans les chambres
la mort quelque chose et puis le jour d’après
il pleut sans savoir dans la grande maison
lumière lumière
pour toi les mots les fleurs
Pour aller plus loin :
Liste des recueils consultés pour la sélection de poèmes :
- Commune présence de René Char
- Clarté Notre-Dame de Philippe Jaccottet
- Ariel de Sylvia Plath
- Ce pays du silence de Charles Juliet
- Fables pour le cœur : offertes à Pierre Caizergues, ouvrage collectif
- Quelque chose noir de Jacques Roubaud
- Un très haut amour, poèmes et autres textes de Catherine Pozzi
- L’iris sauvage de Louise Glück
- PAS REVOIR de Valérie Rouzeau
- Beaupré d’Eric Sautou
Films et séries consultés pour les illustrations :
- Les chansons d’amour de Christophe Honoré (2007)
- Quatre mariages et un enterrement de Mike Newell (1994)
- Twin Peaks, saison 1, de David Lynch (1990)
- Les Soprano, l’épilogue, saison 6-2, de David Chase (2006)
- L’homme qui aimait les femmes de François Truffaut (1977)
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