Il était un fil…
Publié le 11/01/2021 à 08:00 - 5 min - Modifié le 21/01/2021 par N C
Le fil est là, toujours là. Le fil d'Ariane. Le fil de l'existence. Au fil du temps... Du fil à la broderie il n'y a qu'un pas. Cet art pluriséculaire a tellement changé qu'il a forcé les portes de l'art contemporain et se veut militant !
Les figures de la mythologie
Ariane
L’épisode de l’Iliade donne une première illustration de l’utilisation du fil comme coup de génie. Grâce à une pelote de fil, Ariane fille de Minos (roi de Crète) et Pasiphaé, permet à Thésée d’aller tuer le minotaure enfermé dans le labyrinthe et surtout de sortir de ce piège créé par l’architecte Dédale.
Les Moires ou les Parques
Question de point de vue : dans la mythologie grecque ces trois figures féminines s’appelaient les Moires mais chez les Romains il s’agissait des Parques.
Elles étaient donc trois divinités grecques du Destin :
- Clotho la fileuse : elle filait les jours et les événements de la vie
- Lachésis la répartitrice : elle enroulait le fil et tirait le sort de chacun
- Atropos l’inflexible : elle coupait avec ses ciseaux le fil de la vie
Ce fil s’avère celui de l’existence humaine. Peut-être que l’expression “la vie ne tient qu’à un fil” vient de ce trio de dames…
Pénélope
L’apparition de Pénélope dans l’Odyssée révèle la figure de l’épouse fidèle. Epouse d’Ulysse (roi d’Ithaque) et mère de Télémaque, Pénélope attend le retour du héros mais les prétendants la pressent de se remarier. Utilisant un stratagème, Pénélope tisse un grand voile et surtout défait son ouvrage chaque nuit pour gagner du temps. La ruse fonctionnera trois ans et permet à Pénélope de duper les prétendants. Le fil et plus particulièrement le travail effectué, apparaissent ainsi comme une arme de lutte utilisée à part entière.
La broderie : un art pluriséculaire de tradition
La Tapisserie de Bayeux
Cette tapisserie est également dite Broderie de la reine Mathilde. Il est à noter que cette version qui voudrait que la reine Mathilde ait exécuté cet ouvrage elle-même n’est point une certitude aujourd’hui. Malgré sa dénomination, la Tapisserie de Bayeux est une broderie sur toile de lin. Dix couleurs de fils de laine ont servi à créer une œuvre unique au monde.
Cet ouvrage, véritable morceau de bravoure, la Tapisserie de Bayeux est exceptionnelle en son genre de par ses dimensions près de 70 mètres de long sur 50 centimètres de hauteur. Il s’agit d’une oeuvre profane racontant la conquête de l’Angleterre par le duc de Normandie, futur Guillaume le Conquérant. C’est un témoignage unique concernant le 11e siècle. Elle a été probablement commandée par l’évêque Odon, demi-frère de Guillaume le Conquérant, pour décorer sa cathédrale de Bayeux en 1077. La fin de la broderie est manquante. Le récit des épisodes s’écoule entre 1064 et 1066 avec la fin de la bataille d’Hastings.
François Lesage
“La broderie est à la haute-couture ce que le feu d’artifice est au 14 juillet”
Qu’est-ce qui prédestinait François Lesage à devenir un nom de la broderie reconnu à l’international ?
Né en 1929 à Chaville, François Lesage a hérité des dons du dessin par son père et de la couleur par sa mère.
François Lesage ouvre un atelier sur Sunset Boulevard en 1948. Il réalise des broderies pour les couturiers des studios de cinéma. Suite au décès de son frère, François Lesage rejoint la société familiale.
François Lesage travailla avec les plus grands.
Ainsi il collabora avec Pierre Balmain en 1960, Le roi Bhumibol Adulyadej de Thaïlande et la reine Sirikit ont entrepris une visite d’État historique dans 15 pays occidentaux. La reine avait décidé qu’il lui faudrait une garde-robe occidentale saisonnière à la mode pour une tournée de six mois.
L’héritage de François Lesage est immense : broderie à l’aiguille ou au crochet de Lunéville. Une école portant son nom existe à Paris. Son atelier est aujourd’hui propriété de la maison Chanel au travers de l’établissement Paraffection dédié aux métiers d’art.
René Bégué dit Rébé
Moins connu que François Lesage, un autre brodeur peut être néanmoins mentionné.
Né en 1887, René Bégué, alias Rébé son pseudonyme, était le fils de Fernand Bégué, sculpteur spécialisé dans la gravure sur pierres fines.
A 17 ans, il passe le concours de dessinateur et Jeanne Paquin l’embauche à Londres.
En 1909, il rentre chez le brodeur Vitet. Au départ à la retraite de ce dernier, Rébé hérite de la maison Vitet et fonde sa propre maison dès 1911.
Ses clientes sont célèbres : il crée les robes de scène de Sarah Bernhardt, les robes de mariée de Soraya et Farah Diba seront brodées dans son atelier ; la reine Fabiola, Jacqueline Kennedy, Marlène Dietrich, Sophia Loren portent ses broderies.
La broderie : un médium contemporain, libre et affranchi
Des artistes à l’oeuvre
Les artistes se sont servies de la broderie pour s’extraire du cadre, en particulier celui dicté par le tambour à broder.
Elles ont réussi à sortir cette pratique, souvent cataloguée pour la femme au foyer dans son intérieur, vers un autre ailleurs.
Elles ont su par l’utilisation de supports très originaux (des tranches de pain, des grillages dans le paysage urbain !) donner une autre dimension à leur art. En s’éloignant du textile, les oeuvres gagnent en visibilité.
La broderie comme un art de conquête, voilà un défi qui n’était pas forcément acquis. Et pourtant… Les artistes, toutes générations confondues, telles :
Catherine Mc Ever (née en 1948 en Louisiane aux Etats-Unis)
Ghada Amer (née le 22 mai 1963 au Caire)
Hagar Vardimon (née en 1969 à Amsterdam)
Deborah Simon (née en 1970 en Virginie aux Etats-Unis)
ont su s’affranchir des carcans et gagner leur espace de liberté.
Brodeuses (2004)
Brodeuses : extrait du film
Ce film réalisé par Eléonore Faucher est sorti en 2004. Les deux actrices que sont Lola Naymark et Ariane Ascaride campent deux belles figures féminines.
Dans l’intimité de l’atelier, la transmission d’un art et l’émancipation sont au coeur du propos.
Une troisième figure tisse des liens tout au long du film… La broderie.
Pour aller plus loin :
La tapisserie de Bayeux : commentaires / Xavier Barral i Altet, David Bates
Lesage : brodeur / Patrick Mauriès
De fil en aiguille : la broderie dans l’art contemporain / Charlotte Vannier
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One thought on “Il était un fil…”
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de fil en aiguille aussi !