Piscines love
Publié le 23/01/2023 à 04:40 - 8 min - Modifié le 01/02/2023 par NJB
Dans la nuit de l’hiver, en s’armant d’un degré de plus de courage pour entrer dans le bassin, on se prend parfois à rêver de piscines d’ailleurs ou à des bains d’antan.
A la piscine, on ne nage pas seulement dans l’eau mais aussi dans un bâtiment. Et ça compte. A quoi ressemblent les piscines publiques au cours de l’histoire ? Quand, pourquoi et comment les a-t-on construites ? Si l’on prenait quelques exemples emblématiques pour tenter d’entrevoir leurs mutations…
Les thermes de Caracalla et Dioclétien : les Romains et le contrôle de l’eau
« L’eau enfermée »
Dans l’antiquité, les Grecs aimaient déjà l’eau et nager. Et s’ils ont conçu des piscines ou des bains, c’est aux Romains que revient l’obstination de « l’eau enfermée » dans le marbre, comme le disait Lord Byron, pour qui la nage qu’il aimait passionnément « comblait le vide dévorant ». Voilà ce que nous apprend le brillant et foisonnant ouvrage de Charles Sprawson, « Héros et nageurs ».
Le recours à l’eau pour la santé, le plaisir et la sociabilité
Rome a compté jusqu’à plus de 900 bains publics principalement destinés à l’hygiène. On les distingue des thermes, apparus plus tard sous l’Empire, qui concernaient davantage les loisirs. C’étaient des lieux de mixité sociale, même l’empereur venait aux thermes. En moyenne les Romains y passaient deux heures par jour : nage, exercices, massages, épilation, soins parfumés, bains d’eau chaude ou d’eau froide, promenades, rencontres. (Les plaisirs du bain dans l’antiquité romaine, France Culture)
Les thermes majestueux de Caracalla et de Dioclétien
Presque tous les empereurs ont édifié des thermes qui rivalisaient de luxe. Ceux de Caracalla et de Dioclétien étaient particulièrement somptueux. Ils étaient réalisés en marbre et ornementés d’œuvres d’art. Les vitraux d’albâtre diffusaient une lumière chaude et tamisée. Ambiance.
La dimension de ces édifices qui étaient aussi des prouesses techniques laissent songeur : 9 hectares pour ceux de Caracalla, 14 pour ceux de Dioclétien dont le bassin d’eau froide consacré à la nage mesurait 2600 m2.
Le bain au Moyen Age : entre méfiance et vertu
L’eau est aussi un danger
Au Moyen Age, hormis les fonts baptismaux, la construction de piscines remarquables s’estompe – exception notable, celle de Charlemagne qui aimait nager dans son Palais d’Aix-la-Chapelle. De façon générale, le rapport à l’eau se modifie. Selon Charles Sprawson, « après la chute de Rome, l’eau perdit peu à peu son pouvoir de séduction. » La nage fut même « associée au diable ».
Des bains pour l’hygiène
On continue toutefois de prendre des bains dans des lieux publics, la pratique des étuves au XIIe et XIIIe siècle en témoigne. Le recours aux bains est circonscrit à l’hygiène ou aux soins. (Le Moyen-Age et le bain, France Culture)
Les piscines Art déco : Molitor et Roubaix
Il faut attendre le XIXe et le début XXe siècle pour assister, dans une vague hygiéniste, au retour des piscines. Le sport est progressivement élevé au rang de vertu.
Vive le sport à Molitor
Les auteurs de « Molitor, ceci n’est pas une piscine » expliquent que l’origine de la construction des piscines publiques comme Molitor remonte à la défaite de Sedan. C’est à ce moment que l’instruction physique va devenir fondamentale en vue de la revanche. Alors le goût et la pratique du sport vont se transmettre de générations en générations. A cela s’ajoutent, les jeux Olympiques de Paris 1924 et l’influence de Coubertin. Tout cela aboutit, au début des Années folles, au désir populaire d’équipements sportifs. La remarquable piscine de la Butte aux Caille de 1924 est l’une des premières de la série. Molitor voit le jour en 1929 à Auteuil. Elle est construite par Lucien Pollet.
Une piscine pour le présent ?
Molitor, piscine à la postérité fabuleuse et mondaine – « la plus courue de Paris » (site de la piscine) à l’époque – n’était probablement pas tant vouée que cela à la permanence. L’architecte Jean-Paul Philippon analyse ainsi l’édifice :
« Un bâtiment souriant, ne se prenant pas au sérieux, placé là pour le plaisir et certainement pas avec le souci de la pérennité. Peut-être est-cette fragilité qui fait son charme ? »
Molitor, ceci n’est pas une piscine /Ludovic Roubaudi, Thomas Jorion
Roubaix : « la plus belle piscine de France »
La piscine de Roubaix, aujourd’hui reconvertie en musée, a été achevée en 1932. Ce qui frappe en premier lieu dans ce chef-d’œuvre Art déco, c’est la volonté d’édifier le meilleur pour tous, l’excellence pour n’importe qui. A l’époque, le contexte est hygiéniste et le sport triomphe. Le maire Jean Lebas, épris de l’idéal de progrès, veut « la plus belle piscine de France » pour sa ville industrielle et sa population ouvrière. Il confie le projet à l’architecte Albert Baert. La Piscine actuelle, réhabilitée par Jean-Paul Philippon, continue à faire la fierté du Nord.
(Photos de la première époque sur le site de la Piscine de Roubaix)
Les piscines contemporaines
La prolifération à partir des années 60
A partir des années 60, les piscines publiques ont poussé à tout va. Elles ont pris des formes variées. En France, le programme “1000 piscines” caractérise la volonté d’accroître l’offre publique. Ainsi naissent les piscines Tournesols de Bernard Schoeller qui remporte le concours d’architecture organisé par l’Etat.
L’essor a bien sûr lieu dans le reste du monde. Charles Strawson évoque par exemple les piscines californiennes qui fascinaient David Hockney et Hollywood.
Parallèlement, un autre phénomène se développe : la démocratisation des piscines privées.
Les grands architectes et les piscines privées
Les grands architectes contemporains se sont eux aussi beaucoup orientés vers la création de piscines magnifiques et souvent privées, pour des hôtels ou des villas. Ces performances architecturales de luxe ont dès lors un accès plus limité.
Et l’avenir alors ?
Comment les gens se baigneront dans le futur ? Quel est le destin des piscines publiques ? Imaginons un instant que les piscines privées deviennent l’avenir du nageur. Qu’en sera-t-il alors de ceux qui ne pourront y accéder ? Il leur restera toujours les lacs, les rivières pour nager et les évocations des vapeurs tamisées de Caracalla ou du plongeoir de Roubaix pour rêver.
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