René Char, une poésie qui n'est pas de commune mesure
Publié le 08/03/2007 à 00:00
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8 min -
Modifié le 30/09/2022
par
Admin linflux
René Char en ses poèmes, par Paul VEYNE, Gallimard
C’est à éclairer l’ombre des poèmes de René Char que s’attache ici Paul Veyne. Char a poussé aux limites une des tendances de la poésie et de la peinture depuis Cézanne et Rimbaud : la recherche de l’intensité, nécessaire à une œuvre toute de révélation inquiète de l’Amour du Vide, de l’Etre et de l’Extase, naturelle à un créateur qui faisait de l’obsession de la moisson et de l’indifférence à l’histoire les deux extrémités de son arc. Des péripéties de son existence, Char ne tira que des prétextes à la Poésie, jamais le matériau même du poème. Ainsi faut-il entendre le titre de l’ouvrage, René Char en ses poèmes : c’est à la fois une esquisse biographique, un portrait, un exposé systématique et une « traduction » intégrale des poèmes et des aphorismes. Car « la poésie de René Char ne réside ni dans une pure signification ni dans des sonorités qui nous berceraient de leur seule musique ; elle habite l’écart que prend le poème sur ce dont il parle. » En cela Paul Veyne a écrit le livre d’un voisinage entre lui-même, historien, et le poète.
René Char, fiction sublime, par Gilles PLAZY, Jean-Michel Place
« Parce que Char a beaucoup parlé du ‘poète’ et qu’on a vu dans cette figure un autoportrait fort peu modeste, on lui a reproché de se couronner de lauriers et de prendre une pose, alors qu’il tentait seulement de définir comment la poésie engage l’homme, comment elle permet d’esquisser une figure d’homme accompli, sans jamais se reposer en quelque certitude, toujours au cœur de l’expérience et jamais figée en théorie. Lui-même se tenait assez à l’écart pour qu’on ne vît que de la fierté là où il n’y avait que du retrait. D’aucuns, agacés par une si exemplaire figure et peu enclins à affronter les énigmes d’une écriture si dense, ont ainsi chassé Char du panthéon des avant-gardes, sans bien le lire – ou peut-être gênés par ce qu’il y a dans ses textes d’une évidente condamnation du bavardage, des manigances littéraires, des afféteries et des gamineries poétiques. Aussi Char n’est-il pas à la mode. Peu importe, puisque la poésie ne sera jamais d’actualité. Quand les lieux communs de l’apologie sont aussi aveuglants que la brutalité iconoclaste, il faut lire et relire Char, du regard le plus neuf possible, pour saisir le rayonnement d’une œuvre de haute volée. »
Pays de René Char, par Marie-Claude CHAR, Flammarion
« Il fallait donc faire entendre ce cri, retraverser l’ombre des visages, des lettres, des photos, réconcilier l’hier et l’aujourd’hui, toutes ces pièces dispersées les lier, les coudre ensemble, en faire un tableau surréaliste, un papier collé avec tous ces matériaux, bois, papier, encre, gouache, tout ce qui a créé ces mots en poésie. Les mettre en lumière à tâtons, saisir une pensée, frôler le vide de l’absence, emplir ses mains de découvertes, et les offrir.
[…] Passant, le Poète a traversé à longues enjambées cette terre. Qu’il vive, semble chanter chemins et villages, amis et compagnons.
Celui qui a mis en mouvement sa voix avec son corps, rythmant ses poèmes aux sentiers et reliefs parcourus donne à chaque pas force à son Pays : la poésie. » Extrait de la préface du livre magnifiquement illustré de Marie-Claude Char.
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Quelles que soient les dettes (les présocratiques et Nietzsche, Rimbaud, le romantisme allemand), c’est d’abord l’attention aiguë au devenir imprévisible, la force du lien à un lieu, la certitude d’un « droit naturel » qui fondent un amour et une morale, une physique de la poésie et une politique. Le lieu, c’est l’Isle-sur-la-Sorgue où naît Char en 1907, où il passe une enfance buissonnière. Lieu qui incarne déjà la tension créatrice de « la paroi » et de « la prairie », la prairie « enchâssée » par les bras des sorgues et la paroi, les monts de Provence, le Ventoux, Montmirail, les Baux.

Au « oui » initial d’une existence, la mort du père en 1918 apporte un terrible contrepoint. Arsenal et Tombeau des secrets vont commuer le deuil en secret fertilisant l’avenir. De 1930 à 1934, Char traverse le surréalisme. Les poèmes de cette période seront réunis dans Le Marteau sans maître.
Revenu à l’Isle, atteint d’une septicémie, Char va, de 1934 à 1936, s’écarter du surréalisme. L’angoisse devant la montée du nazisme marque les recueils suivants. Char passe à la Résistance à Céreste, où il est de 1942 à 1944 le capitaine Alexandre, chef de secteur dans l’Armée secrète. La vie âpre des maquis des Basses-Alpes sera consignée dans Feuillets d’Hypnos.
Après la Libération, Seuls demeurent, Poème pulvérisé, Fureur et Mystère, Matinaux redonnent chance aux mille ruisseaux de la vie diurne.

- Braque
Après 1950, Char, qui a pour compagne Yvonne Zervos, s’enrichit de rencontres essentielles : Braque, de Staël, Miro, Vieira da Silva, Beaufret, Heidegger, Bataille, Camus, Blanchot.

Des plaquettes publiées par Guy Lévis Mano et Pierre-André Benoît sont régulièrement réunies par Gallimard : La Parole en archipel, Le Nu perdu, La Nuit talismanique, Aromates chasseurs, Chants de la Balandrane, Fenêtres dormantes et porte sur le toit où la dénonciation des sanglantes utopies du vingtième siècle alterne avec l’éveil des fenêtres des peintres, Les Voisinages de Van Gogh.
Dans cette œuvre, le « trésor des nuages », image paradoxale du poème le plus résistant, prend diverses formes : aphorismes qu’illimite la métaphore « sans tutelle », poèmes versifiés au rythme du marcheur, poèmes en prose où le sujet s’intègre à une matière résistante, se noue à la syntaxe, théâtre sous les arbres où la parole allégée vole et s’échange. La poésie, prise entre « fureur » et « mystère », entre la fragmentation d’une « énergie disloquante », et la continuité de cette « immensité, cette densité réellement faite pour nous et qui de toutes parts, non divinement, nous baignaient », gravite autour de quelques éléments centraux. Ainsi la contradiction, à l’œuvre dans la nature, l’histoire, la langue, anime la lutte des « loyaux adversaires », lampe et vent, serpent et oiseau ; cette « exaltante alliance des contraires » produit le soulèvement du réel qui permet au poète « passant » et « passeur » de franchir la haute passe ; aimantée par l’inconnu en-avant, qui éclaire et pulvérise le présent, cette poésie n’a cessé d’affirmer une contre-terreur, d’annoncer l’éclatement des liens de l’homme, emprisonné dans ses intolérances, de s’opposer à l’asservissement des sites par des fusées de mort. Impérieux et tendre, nuage et diamant, aussi attentif aux espaces cosmiques qu’au chant du grillon, le poème de « l’appelant » toujours « marié à quelqu’un », fonde une « commune présence », un commun présent qui fait passer ensemble les êtres vers l’avenir, avec pour viatique l’espoir de l’« inespéré ». D’après l’article de l’Encyclopaedia Universalis, édition 2002.
[actu]célébration du centenaire de René Char : quelques évènements[actu]
Colloque international à La Sorbonne, Université Paris IV
Exposition dossier réalisé par l’Espace Pandora
René Char, nom de guerre Alexandre, un film de Jérôme Prieur, sur ARTE
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