Un bon chanteur est un chanteur mort

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 23/06/2016 par Luke Warm

Alors que sort dans quelques jours le « nouvel » album de Jimi Hendrix, force est de constater le succès commercial jamais démenti de certains artistes décédés parfois depuis plusieurs décennies. Alors que nous avons échappé de justesse à une année 2010 ponctuée d'inédits tels que « Johnny joue du bluegrass » ou de tributes comme « Halliday au ukulélé » (certains ont même droit à un tribute album de leur vivant, ce qui ne porte pas toujours chance : Vic Chesnutt en a été un récent et cruel exemple), certains de ces artistes restent parmi les plus gros vendeurs et ont même parfois une discographie posthume plus importante que celle de leur vivant.

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5 exemples

Jimi Hendrix († 1970)


Auteur de quatre albums avant son décès le 18 septembre 1970 (Are You Experienced ? (1967), Axis : Bold As Love (1967), Electric Ladyland (1968), Band Of Gypsys (1970)), Jimi Hendrix aura vu tous ses enregistrements (live, démos, jams ou pirates) édités plus ou moins légalement (il existe dorénavant un label éditant les “pirates officiels”, Dagger records) et avec plus ou moins de qualité (surtout dans les années 70 et 80) pour constituer une discographique posthume atteignant sans mal la cinquantaine de titres rythmant métronomiquement les 40 ans qui nous séparent de sa mort. Tous ses enregistrements ? Non car est annoncée pour le 9 mars, « Valleys of neptunes » constitué de 12 chansons inédites enregistrées entre octobre 1968 et son décès et venant célébrer, mercantilement (le catalogue de Jimi Hendrix est géré par sa sœur, Janie), les 40 ans de sa mort.

Jeff Buckley († 1997)


Mort à 31 ans en voulant se baigner avec ses chaussures dans le Mississippi, le fils de Tim Buckley (lui-même décédé précocement à 28 ans d’une overdose) n’a édité de son vivant que l’unanimement célébré « Grace » (« Live at Sin-é » étant come son nom l’indique un live) dont les chiffres de vente vont véritablement explosés après sa mort, restant depuis pratiquement en continu dans le classement des albums de back catalogue. Son héritage est depuis géré par la main ferme de sa mère qui s’est battue avec Columbia, maison de disques de son fils, et son manager pour récupérer tous les droits. La discographie de Jeff Buckley s’est depuis enrichie de lives (dont un spécialement pour la France), de rééditions (pour les 10 ans de « Grace », une version remasterisée (!) a été commercialisée) et d’enregistrements inédits comme « Sketches For My Sweetheart The Drunk » constitués d’enregistrements rejetés par Jeff Buckley lui-même et de démos enregistrées à Memphis dans les semaines qui ont précédé sa mort. Jeff Buckley ou la figure romantique du génie musical mort trop tôt.

Queen (Freddie Mercury † 1991)

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Ce groupe britannique ayant navigué dans les eaux parfois troubles du glam-rock ou du hard FM devait sa popularité en grande partie à son charismatique et secret chanteur (sur son homosexualité, sur ses origines…), Freddie Mercury. Depuis son décès en 1991, de nombreux titres de Queen sont devenus des hymnes de stade (ou de pub) : « The show must go on », « We will rock you », « We are the champions » ; un concert hommage a permis de réunir près de 20 millions de livres pour la lutte contre le sida,… et un nombre impressionnant de best of ont été édités : Greatest Hits I, Greatest hits II, Greatest Hits III puis toutes les combinaisons possibles : Greatest Hits I & II,….(le Greatest Hits I reste la compilation la plus vendue de tous les temps en Grande-Bretagne, et ces compilations ont été vendues à plus de 45 millions de copies dans le monde !). Et si vous ne faites pas partie des “heureux” priopriétaires d’une de ces compilations, vous pourrez vous rabattre sur le nouveau “Absolute greatest” décliné en cd simple, cd double, digital, coffret livre/cd, coffret digital/tee-shirt, coffret vinyl et si cela ne vous suffit pas, vous pourrez toujours acquérir le mug, le tee-shirt (en noir ou blanc), le poster (2 versions), ou le calendrier à l’effigie de cet enième best of. Néanmoins, malgré les idées fumeuses (un duo virtuel entre Freddie Mercury et Wyclef Jean) et juteuses (des tournées sous le nom de Queen des membres restant), le succès ne se sera jamais démenti, bien au contraire, Queen ayant notamment vendu plus de 32 millions de disques aux Etats-Unis et multiplé les disques d’or ou de platine même après la mort de son leader, que ce soit leurs disques chez Elektra ou Hollywood.

Nick Drake († 1974)

La tombe de Nick Drake à Tanworth-in-Arden

… ou l’image du chanteur maudit devenu culte post-mortem. Mort à 26 ans d’une overdose d’anti-dépresseur qui lui étaient devenus nécessaires pour surmonter son besoin de reconnaissance et son insuccès chronique malgré 3 albums (Five leaves left, “Bryter later”, “Pink moon”) magnifiques remarqués par la critique et ses pairs mais ignorés par le public (période parfaitement décrite par son producteur Joe Boyd). Ce n’est que à la toute fin des années 70 que son influence sera reconnue et qu’il sera considéré comme l’un des auteurs-compositeurs majeurs de la 2ème moitié du XXème siècle, ses chiffres de vente explosant même, au regard de ce qu’ils étaient de son vivant, avec l’utilisation du titre « Pink moon » pour une pub Volkswagen.

2Pac († 1996)


« Ghetto blaster », duo entre 2Pac et Elton John restera pendant 3 semaines n°1 dans les charts anglais lors de sa sortie en 2005. Pourtant, le rappeur américain est mort le 13 septembre 1996 à l’âge de 25 ans. Quelques mois après la sortie de l’acclamé « All eyez on me », 5ème album de 2 Pac, le rappeur américain est blessé par balles le 6 septembre. Il décédera le 13 septembre après avoir plongé dans le coma. Le 19 septembre, « All eyez on me » sera déclaré sextuple disque de platine aux Etats-Unis (soit 12 millions de copies) ; moins de trois mois plus tard 2 autres millions de copie se seront écoulées (selon les chiffres de la Recording Industry Association of America). Depuis, 2Pac « sort » quasiment chaque année un nouvel album, quasiment tous doubles et tous vendus à plus d’1 million d’exemplaires aux Etats-Unis Better dayz » sera même vendus à 366 000 exemplaires la semaine de sa sortie américaine). Une telle prolixité pour un mort relance même régulièrement des rumeurs de faux assassinat (en hommage à l’accident de moto de Bob Dylan ?).

A cette liste, on aurait aussi pu rajouter les Beatles mais les Beatles c’est 3 musiciens et il en reste un (+ Ringo Star) ou Elvis Presley s’il ne s’apprêtait pas à fêter dignement ses 75 ans ! Comment ça, Elvis Presley est mort ? Comment fait-il alors pour chanter avec Céline Dion en 2007 et gagner en 2009 55 millions de dollars, gain en “éternelle” progression ?



Mais aussi

La mort en plus d’être parfois un argument commercial hors pair se révèle aussi une ligne éditoriale efficace :

Bruno de Stabenrath : “Les destins brisés du rock”

Lui-même musicien (mais aussi acteur, auteur…) et victime d’un accident de la route qui le laisse tétraplégique, Bruno de Stabenrath s’intéresse aux “accidentés” du rock à travers cette histoire du rock depuis ses origines à travers les destins de ses stars qui moururent jeunes dans des circonstances violentes ou tragiques : Bob Marley, Janis Joplin, Jimi Hendrix, Marvin Gaye, John Lennon, Jim Morrison, Billie Holiday, Sid Vicious, etc.

Souvenez-vous de leurs voix. Ils avaient 17 ans, 24 ans, 32 ans. Ils sont morts jeunes.
Crashes d’avions, accidents de voitures, overdoses, empoisonnements, bastons, défenestrations, fusillades, suicides, roulettes russes, hémorragies cérébrales.
Le rock and roll est un vampire imprévisible et plein d’imagination. Quand il brise un destin, il veut de la fureur, du sang et des larmes. Mais, surtout, il veut tripler ses ventes et transformer le vinyle en platine, et la postérité en jackpot. ” Meurs jeune et tu auras un beau cercueil. ”
Voilà ces destins brisés, souvent récupérés, marchandisés, compilés… la sacrosainte règle du métier étant : the show must go on ! Alors, le spectacle continue
.”

Bruno de Stabenrath “Les destins brisés du rock”

Quelques exemples ici.

François Bégaudeau « Un démocrate, Mick Jagger 1960-1969 »

François Bégaudeau imagine, plus que la mort physique de Mick Jagger, la mort symbolique du chanteur des Rolling Stones après le drame d’Altamont qui vient clore le temps de l’innocence, de l’insouciance et de la naïveté pour laisser place au contrôle, à l’intéressement… au business du rock.

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