Drone : du bruit à la musique

- temps de lecture approximatif de 12 minutes 12 min - Modifié le 01/04/2021 par Luke Warm

Pour beaucoup, le drone, le bourdonnement est un son irritant de la vie quotidienne : le bruit du réfrigérateur, le traffic sur une route passante... En musique, un drone, c'est aussi un son continu. Cet effet musical traverse l'histoire de la musique. Petit panorama du drone dans le temps et l'espace.

  • Produit volontairement mais n’ayant pas de fonction musicale, on peut faire remonter l’existence du drone en Occident à l’Antiquité. Néron, pour influencer l’humeur du peuple pendant les assemblées publiques n’hésitaient pas à employer plusieurs milliers de personnes dans le but de produire tout un panel de bruits dont ce qu’il appelait le bombi (proche du bourdonnement d’abeille).

Drone et musique du Moyen-Âge

Au niveau musical en Occident, le drone apparaît dès le Moyen-Âge. C’est le bourdon, le drone étant à l’origine le mot anglais pour « bourdon », ce grondement constant assuré par une vielle à roue ou la voix qui sert de socle à la mélodie vocale.

 

Drone et musiques traditionnelles

  • Pourtant, c’est essentiellement dans les musiques traditionnelles que le drone est présent, et bien avant le bourdon occidental, à travers des instruments emblématiques comme le tampoura, instrument à cordes métalliques, dans la musique indienne. Le tampoura produit un bourdon harmonique fluctuant comme une vague dont on suit le flux et le reflux et ne demande pas de formation musicale particulière pour être joué. Indispensable à la musique indienne modale, il reste pourtant un instrument d’accompagnement qui « donne le ton » (son nom viendrait de « tâna », ton).

 

  • La cornemuse dans la musique notamment d’Ecosse avec la caractéristique que le bourdon est un son intégré à l’instrument dans le sens où le musicien n’a pas à agir pour créer le drone.

 

  • Le Shô dans le Gagaku, la musique la plus ancienne et la plus connue du Japon : cet orgue à bouche assure un drone dans les aigus et plane au-dessus de la mélodie alors que, généralement, le drone, grave, sert de support, de soubassement à la ligne mélodique.

 

  • Le didgeridoo chez les aborigènes d’Australie, instrument dont le bourdon est l’élément de base, tous les autres sons produits étant des variations du drone initial par le jeu des lèvres, de la langue ou de la respiration.

 

  • En Europe, on retrouve le drone dans l’utilisation du kaval notamment en Bulgarie où cette flûte est tenue légèrement à l’oblique, sur un côté de la bouche, l’instrumentiste fredonnant simultanément une sorte de bourdon ; dans les musiques traditionnelles sardes avec la launeddas, forme de clarinette triple ou dans les musiques traditionnelles utilisant la guimbarde.

 

  • Mais «l’instrument» le plus connu en la matière reste la vuvuzela dont le son rappelant le bourdonnement d’un essaim d’abeilles rendit fous les footballeurs lors de la Coupe du Monde 2010.

 

Pour aller plus loin :

 

Drone et musique contemporaine

Dans le monde occidental, le drone devient un genre en soi après la Seconde Guerre Mondiale, période à laquelle les musiques traditionnelles, notamment d’Inde, connurent une diffusion beaucoup plus large.
Le drone va alors devenir un véritable genre musical appelé… drone music dont un bourdon aux variantes tenues et très lentes est l’élément central (voir l’unique élément de la composition). La drone music est à la fois minimaliste (elle est d’ailleurs considérée comme un courant de la musique minimaliste) car ne reposant souvent que sur un unique instrument ou une onde sonore générée électroniquement et maximaliste dans le sens où elle ne laisse aucune place à la respiration, au silence.

La figure historique de la drone music est La Monte Young. Outre Webern ou le jazz, La Monte Young se dit aussi inspiré par le gagaku ou le tampura de Pandit Pran Nath. La Monte Young a toujours considéré la musique de drone comme un terrain fertile à l’exploration et à l’appropriation. Pour son œuvre « Composition 1960 #7 », qui tient en 2 notes (si, fa dièse), il inscrit « à tenir pendant une longue durée » sur la partition. D’autres fois, c’est « tracez une ligne et suivez-la ». Mais sa composition la plus emblématique du genre reste “Trio For Strings” : le do dièse de l’alto en ouverture dure 4 mn et demie, sans vibrato, le frottement de l’archet se faisant le plus doux possible pour donner un effet de masse, et empêcher toute progression mélodique. Mais La Monte Young était aussi influencé par le bourdonnement des centrales électriques qu’il avait découvert dans son enfance dans la campagne de l’Idaho : la première de ses soirées d’improvisation Theater of Eternal Music s’intitula « The second dream of the high-tension line stepdown transformer » (le deuxième rêve du transformateur-réducteur de ligne à haute tension). Le Theater of Eternal Music devint un collectif dans lequel on trouvait la « chanteuse » Marian Zazeela, le musicien-poète Angus MacLise, le compositeur et violoniste Tony Conrad, John Cale à la guitare et au violon : le drone restait l’assise principale de leurs improvisations.

 

Le drone dans le rock

C’est entre autre par l’intermédiaire de John Cale et d’Angus MacLise (membres du Theater of Eternal Music) que la musique contemporaine influença le rock d’abord au sein de The Primitives puis du Velvet Underground. La drone music est omniprésente dans le premier album du groupe : la note tenue tout au long de « Heroin » rappelle par exemple le travail de La Monte Young mais aussi sur « Loop » ou « Venus in furs » grâce au violon de John Cale qui poursuivra cette démarche dans ses productions pour les Stooges (“We will fall“) ou de Nico (“Frozen Warnings“). La guitare de son compagnon Lou Reed n’est pas en reste notamment sur les expérimentations de l’album Metal machine music dans les crédits duquel il parle du drone et de ses “possibilités harmoniques cher” à La Monte Young.

 

Le 1er album du Velvet Underground ne fût reconnu que tardivement comme une œuvre essentielle, noyé à sa sortie par la beatlemania. Les Beatles, eux-mêmes, étaient influencés par la musique indienne et les expérimentations musicales qu’ils mirent en pratique notamment à travers “Tomorrow never knows“, titre basé sur un drone de tampura et des techniques d’enregistrement inédites pour l’époque (sur l’album Revolver, sorti en août 1966).

 

 

Autre scène et autre pays sensible aux musiques expérimentales, l’Allemagne et la scène dite krautrock qui joue énormément de la répétition et de la durée et dont les représentants les plus versés dans l’électronique vont poser les jalons de l’ambient, musique électronique atmosphérique et aux développements harmoniques lents, en se servant du drone comme Tangerine Dream sur son album Zeit.

 

Toutes les scènes rock expérimentales, allant de la no-wave à la noise utiliseront le drone que ce soit Tony Conrad (Dream Syndicate / Theater of Eternal Music) ou Glenn Branca (Theoritical Girls). Même dans les sphères moins expériementales, on peut percevoir la présence du drone dans le shoegaze, la noisy-pop ou le rock psychédélique de My Bloody Valentine, Jesus & Mary Chain ou Spacemen 3/Spectrum/Spiritualized, formations qui créaient un véritable mur du son, masse sonore compacte jouant de la réverbération. Ponctuellement, le procédé est utilisé chez des artistes aussi connus que Radiohead, Aphex Twin, Kraftwerk, Miles Davis ou Wilco (sur la ballade au piano “Less than you thing” qui finit par un drone de plus de 10mn).

 

Aphex Twin disait à propos de son album Selected ambient works vol.II : « c’est comme quand tu te trouves debout dans une centrale électrique sous acide (…) Quand tu te trouves au centre d’une centrale vraiment énorme, tu as la sensation d’une présence étrange, et tu entends une sorte de bourdonnement. Tu sens l’électricité autour de toi »

 

Pour aller plus loin :

Musiques drone

Enfin, le drone, après avoir été un élément de musiques traditionnelles, un genre musical, un procédé utilisé ponctuellement dans les musiques expérimentales puis actuelles deviendra un qualificatif adossé à toutes sortes de musiques allant du metal à l’ambient en passant par la techno :

 

Mais, encore (et plus ponctuellement)… :

 

Un exercice original : des reprises en version drone de tubes de Rihanna, Adèle, Justin Bieber, LMFAO, One Direction, Katy Perry…

Pour aller plus loin, découvrir et écouter encore plus de drone :

A écouter sans hésitation, The roots of drone (même si le drone y est traité de façon beaucoup plus “libre”), compilation dans laquelle on découvre par exemple que Wagner utilisa le drone dans le prélude de “L’or du Rhin“….

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