Bibliothèques de guerre

- temps de lecture approximatif de 16 minutes 16 min - Modifié le 17/06/2016 par Silo moderne

2014 a été l'année de la commémoration, celle de la Grande Guerre. Évènement d'envergure international, il a été l'occasion de découvrir et redécouvrir les richesses du patrimoine de la Première Guerre mondiale.

Verdun, Douaumont… sont des hauts lieux de mémoire qui ont gardé les traces de ce conflit. Mais ces traces nous les trouvons ailleurs, elles sont de nature différente et renseignent tout autant sur la vie au front comme à l’arrière. Elles se trouvent dans les silos de conservation des bibliothèques où ont été amassés, collectés l’immensité des publications de la Grande Guerre.
La bibliothèque de Lyon est un de ces lieux de mémoire puisqu’elle conserve un fonds 14-18 très riche et assez rare en France. A la suite de petites expositions, de conférences sur l’histoire et la mémoire de la Grande Guerre, il est temps de revenir sur ces collections de guerre.

La Première Guerre mondiale est une guerre totale, le terme n’est pas anodin. Ce conflit diffère de ce que les pays belligérants ont connu jusqu’alors et c’est sans doute ce qui a marqué les contemporains. Par le jeu des alliances, il s’étend à un bon nombre de pays européens. Car si le front français est bien connu, on oublie parfois que d’autres se sont formés à l’est, aux Balkans, en Grèce, aux Dardanelles…
L’ampleur du conflit est donc caractéristique mais ce qui interpelle également c’est la multiplicité d’autres fronts. Car la guerre se joue aussi sur l’opinion, sur le moral, à l’arrière. La propagande établie par les Etats entraine un flot d’écrits, de publications. Elle permet d’encourager ses troupes et l’arrière, de miner l’ennemi mais également de convaincre les pays neutres de la justesse de sa cause. Et l’Etat n’est pas le seul producteur d’écrit. La presse se développe largement avec des organes spécialisés pour les mobilisés, les réfugiés, les prisonniers et les journaux du front. De même, la prise de conscience de vivre un évènement unique induit la volonté de témoigner, de conserver, en somme de construire une mémoire. C’est ce qui pousse nombre de personnes à écrire sur cette guerre. Cela prend différentes formes : des lettres, des témoignages, des poèmes…
Cette production inédite de document suscite dès lors la curiosité, l’incrédulité. Certains prennent alors conscience de la nécessité de conserver des traces de cette guerre d’un genre nouveau. Traces qui sont multiples mais qu’il faut garder comme témoignage d’un temps, d’une époque à transmettre aux générations futures.
Ces initiatives sont d’ordre privée ou publique et prennent diverses forme selon les pays. Elles constituent les « fonds de la guerre » de différents établissements dont nous vous offrons un panorama.

A ce titre, l’ouvrage de Nicolas Beaupré, Ecrire en guerre, écrire la guerre : France-Allemagne 1914-1920, CNRS Editions établit un panorama des collections de guerre, des maisons d’éditions et des formes prises par les écritures de la Guerre.

 

 

I-Les collections de guerre dans les bibliothèques françaises

En France, quatre grandes institutions possèdent des collections de guerre. En premier lieu, la Bibliothèque nationale de France conserve un large éventail des publications de guerre. Servie prioritairement par un dépôt légal et par de vastes souscriptions, on y retrouve nombre de documents, toutes langues confondues. Bibliothèque de référence en France, elle reçoit ainsi de nombreux dons de la part de ministres, ambassadeurs, de divers administrations comme le ministère de la guerre qui lui remet les journaux provenant de pays ennemis ou le ministère des finances qui lui donne les affiches, tracts pour les emprunts et souscriptions. Mais l’action la plus remarquable menée par la Bnf est celle qui concerne les journaux du front. Sous l’impulsion du conservateur Jacques de la Roncière, elle se charge de collecter ces feuilles produites par les poilus et circulant sur le front. Après un appel officiel dans le Petit Journal, elle devient le centre de collecte de ces journaux d’un genre nouveau.
Pour en savoir plus sur l’histoire des bibliothèques françaises, BARNETT Graham Keith, Histoire des bibliothèques publiques en France de la Révolution à 1939

POULAIN Martine (dir),Histoire des bibliothèques françaises,2009

Outre la Bibliothèque nationale de France, un autre établissement présente un fonds de la guerre considérable. Connue aujourd’hui sous le nom de Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaineà Nanterre, elle émane de collections amassées pendant la Guerre. A l’origine de cette institution se trouve un couple de riches industriels français, les Le Blanc. Ils commencent par collecter tout ce qui est publié sur la guerre à Paris, puis en France et à l’étranger. En plus d’une bibliothèque de guerre se constitue également un musée et c’est sous ses termes que le couple fait don de sa collection à l’Etat. En effet, elle devient Bibliothèque et musée de la guerre en août 1917. Camille Bloch, directeur de 1920 à 1934, en fait l’état des lieux en 1920.
Les documents étaient jusque là conservés dans leurs appartements parisiens, qu’ils ouvraient de temps à autre au public. Ils avaient employés des personnes chargés de la collecte mais aussi du tri et du classement des écrits et objets qu’ils acquéraient.
La BDIC a donc l’avantage d’offrir une liste exhaustive de documents concernant la guerre mais surtout de proposer une collection inédite d’imprimés et de divers supports artistiques comme les estampes, images, photos, tableaux. Ce rassemblement d’objets est difficilement possible dans une bibliothèque ou aux archives et c’est là tout l’intérêt d’une initiative privée.
La constitution d’une collection hors d’un cadre institutionnel est à l’origine de la diversité de ce fonds qui s’affranchit ainsi des contraintes budgétaires et réglementaires inhérentes à une collectivité publique.

Pour mieux connaître ce fonds : BATTAGLIA Aldo, Archives de la Grande Guerre. Inventaire des sources de la première guerre mondiale conservées à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, 2010

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Salle de lecture de la BDIC, issue d’un article de Valérie Tesniére « La BDIC dans le « moment documentaire »
qui analyse l’évolution de cette bibliothèque et musée de la guerre des années 1920 devenue BDIC.

A côté de ce monde parisien, l’émulation était aussi grande à Lyon. Sous l’impulsion du maire Edouard Herriot, la bibliothèque municipale se dote également d’un fonds de la guerre. Si les Leblanc ont commencé leur collecte dès 1914, la commission chargée de la constitution du fonds de la guerre à Lyon se met en place en avril 1915. Le maître d’œuvre de ce projet est le bibliothécaire en chef de la Ville, Mr Cantinelli. Des juristes, universitaires, hommes de lettres, médecins et autres sommités lyonnaises se joignent au groupe de travail. La commission se divise en groupe de langue dans lesquels chacun est chargé de rassembler le plus grand nombre de document possible. Ce fonds vise en effet à l’exhaustivité, objectif difficilement atteignable en cette période de troubles durant laquelle les circuits classiques d’approvisionnement et les échanges sont brouillés.

Différents réseaux se sont mis en place pour permettre la circulation des documents. D’abord le mode d’acquisition classique, se fait par le travail traditionnel entre les librairies et les bibliothèques. C’est auprès d’elles que les bibliothécaires ont pu se fournir des collections de certains éditeurs s’étant spécialisés dans les publications sur la guerre . De plus, les bibliothèques multipliaient les abonnements aux différents périodiques qui ont été crées pendant le conflit et notamment à l’étranger.
Plusieurs librairies sont mises à contribution : la librairie Georg transmet la documentation relative à l’Allemagne et aux empires centraux ; les librairies Buckardt et Jullien celle de la Suisse, la maison Sotheran la littérature anglaise, et Ulrico Hoepli à Milan fournit quant à lui ce qui parait en Italie. On retrouve également dans le fonds, des documents issus des librairies Sandberg (Stockholm, Suède), Martinus Nijhoff (Pays-Bas), Meulenhoff (Pays-Bas), New-York medical book and Co. (Etats-Unis).

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L’autre voie d’acquisition est moins traditionnelle, il s’agit d’échanges, de dons par le biais de consulat, d’ambassade. En effet, les français expatriés étaient sollicités afin de faire parvenir une documentation étrangère concernant le conflit. Un apport essentiel au fonds de la guerre à Lyon a été le contrôle postal. En effet, le maire de Lyon avait obtenu que les documents destinés à la destruction soient envoyés à la bibliothèque afin d’être collecté. C’est ce qui a permis de rassembler de nombreux documents de propagande alliés et d’autres appartenant à la Triple Entente. Enfin, le public, était mis à contribution, des appels étaient relayés par la presse.
Lire l’article d’hervé FAURE , Le livre et l’image mobilisés, Gryphe, 2005

La Bibliothèque Nationale Universitaire de Strasbourg occupe une place particulière. En effet, lors du conflit, elle fait partie des territoires prussiens et est donc régi par l’administration impériale sous le nom de Kaiserliche Universitäts- und Landesbibliothek zu Strassburg. Elle commence sa collection dès le 4 août 1914. Elle rassemble donc de nombreux écrits en langue allemande, notamment de propagande, qui avait du mal à traverser la frontière. Elle devient ensuite la Bibliothèque nationale et Universitaire de Strasbourg après la guerre. Cette collection reste cependant difficile à appréhender dans la mesure où les documents assemblés pendant la période ont été dispersés au sein des collections, ils ne forment pas un fonds uniforme. Il n’a jamais été inventorié ni catalogué : les documents ont ainsi été rassemblés sans avoir été traités. Seule la collecte importait, reportant le traitement du fonds à plus tard. Contrairement à ses consœurs françaises, la bibliothèque de Strasbourg n’a pas fait l’objet d’une politique d’acquisition postérieure au premier conflit mondial.

Vue de la salle de lecture de la BNU entre 1900 et 1925

Orages de papier : 1914-1918 : les collections de guerre des bibliothèques : exposition
Découvrez le catalogue de l’exposition présentant les collections de guerre de quatre bibliothèques : la Bibliothèque Universitaire de Strasbourg, la Bibliothèque nationale de France, la Bibliothek für Zeitgeschichte / Württembergische Landesbibliothek de Stuttgart, et la Bibliothèque de Documentation contemporaine internationale de Nanterre. Elle s’est tenue dans ces différents établissements de 2008 à 2010 et visait à montrer le « déluge médiatique » propre à la Première Guerre mondiale.

II- Petit tour du monde des bibliothèques de guerre

La France n’est pas la seule à conserver des fonds de la guerre 14-18. Le mouvement de collecte en Allemagne est beaucoup plus vaste et concerne l’ensemble du pays. Nombre de bibliothèques constituent leur propre « kriegssammlungen », s’institutionnalisant donc avec du personnel, un tri, un catalogue dédié. Déjà en 1870, Guillaume Ier avait chargé un de ses conseillers de collecter la documentation relative au conflit, l’Allemagne avait donc une longueur d’avance. Louis Schneider s’en occupa : il eut le moyen de ses ambitions car l’empereur finança même l’envoi d’agent en France tant que les communications n’étaient pas rompues. Cette bibliothèque privée de l’empereur fut ensuite donné par celui-ci à la bibliothèque royale de Berlin en décembre 1873. Le conflit de 1914 devait alors naturellement suscité la continuité d’une collection de guerre au sein de la bibliothèque de Berlin (lien vers la collection guerre 1914 du catalogue de la bibliothèque de Berlin).
Dès août 1914 cette institution annonce la création de ce fonds et les autres villes prennent sa suite : la bibliothèque d’Etat de Bavière en novembre 1914, Liepzig lance un appel à contribution en octobre 1914 et en Autriche Vienne annonce elle aussi l’apparition d’une collection de guerre depuis 1914. En 1916, un institut de recherche pour l’histoire de la guerre est créé à Iéna. On voit ici l’attachement allemand à cette collecte et à la constitution d’une mémoire des évènements qui trouve son pendant scientifique dans la création de cet institut.
Outre ce mouvement général relevant des institutions publiques, il est à noter la constitution d’un fonds à l’image de celui des Le Blanc rassemblé par l’industriel wurtembergeois Richard Franck dès 1915. Il est ensuite donné à la bibliothèque de Berlin puis celle de Stuttgart où on le trouve encore aujourd’hui. Dans les pays de langue allemande, une association de collectionneur de la première guerre mondiale se constitue (Vereinigung der weltkriegssammler) pour les échanges de doubles entre particuliers. La multiplicité de ces acteurs pose d’ailleurs problèmes aux institutions qui ont du mal à se fournir en documents imprimés. En effet, cela entraîne la création d’un véritable marché où érudits, industriels, bibliothécaires et simples collectionneurs entrent en compétition, provoquant ainsi une dispersion des documents.

Voici un article de Pierre Renouvin, historien, conservateur à la BDIC qui donne un aperçu de la documentation de guerre à l’étranger

En poursuivant le tour d’horizon des bibliothèques de Guerre, l’institution qui rassemble un fonds de la guerre important en Angleterre est l’Impérial War Museum

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Il est créé en 1917 et rassemble aujourd’hui cinq sites dont trois à Londres. On y trouve essentiellement des documents concernant l’empire britannique c’est-à-dire la Grande-Bretagne et l’ensemble de ses colonies. Il est fondé par le ministère de la Guerre à l’appel de Sir Alfred Mond de collecter tout ce qui concerne la guerre du point de vue des soldats et des civils. Ce musée ouvre vraiment dans le Crystal palace en juin 1920 puis le musée est déplacé dans le sud de Londres au Bethlem Royal Hospital. Il intègre désormais dans ses collections les deux guerres mondiales.

Parmi les dominions de l’Empire britannique, deux d’entre eux ont rassemblés des collections pendant la Guerre. Il convient d’abord de parler du Canada puisque plus de 600 000 hommes et femmes se sont enrôlés dans le Corps expéditionnaire canadien (CEC) pendant la Première Guerre mondiale (1914-1918). Les archives personnelles, journaux de guerre et autres documents sur la Première guerre mondiale sont ainsi rassemblés au Canada. On les retrouve sur le site de Bibliothèque et archives du Canada. On trouve sur leur site une exposition virtuelle sur le Canada pendant la première guerre mondiale

A l’image du site Bibliothèque et archives du Canada, l’ouvrage de Michel LITALIEN Ecrire sa guerre. Témoignages de soldats canadiens français 1914-1919 collecte les lettres, journaux des soldats canadiens envoyés en Europe pour combattre aux côtés des Alliés.

De même, les australiens gardent une mémoire très vive de leur participation à la Première Guerre Mondiale. Malgré la distance qui sépare le pays d’origine et le théâtre des opérations militaires, on retrouve des collections de guerre en Australie.
Celle-ci est le fait de deux hommes Charles Bean et John Treloar, tous deux envoyés à Galipolli puis sur les fronts de l’Ouest . Charles Bean , historien australien débute en tant que journaliste et est envoyé comme correspondant de guerre. Il suit alors les soldats qui débarquent à Galipolli puis en France, notamment à Pozières en juillet 1916 où de terribles combats ont eu lieu. Avec son ami John Treloar, capitaine nommé à la tête de l’Australian War records section en 1917. Il est alors chargé de la collecte des reliques pour un futur musée de la guerre et afin d’aider les historiens dans leur travail. Nommé directeur du Mémorial de la Guerre à Camberra en 1920, il le reste jusqu’à sa mort en 1952. On trouve dans ce fonds des documents relatifs à l’ANZAC (corps des troupes australiennes) et à sa participation à la Première guerre mondiale.

Mémorial de la Guerre en Australie

 

Aux États-Unis, certaines bibliothèques universitaires ont consacrés une partie de leur collection au premier conflit mondial. C’est le cas notamment de la Princeton University et Clark University. Mais l’institution emblématique pour cette période est la Library of Congress à Washington. Il convient aussi de citer la Hoover War Collection qui appartient à la Stanford University en Californie. La bibliothèque du Congrès rassemble donc essentiellement des imprimés officiels ou non sur la guerre et la reconstruction. Le travail de constitution du fonds reste dans le cadre classique de son système d’acquisition. On retrouve peu d’affiches, tracts et autres feuilles mobiles, instruments de la Propagande. Il est donc à noter que ce fonds ne vise pas à l’exhaustivité puisque l’éloignement du cadre du conflit entraîne des difficultés en termes d’approvisionnement et d’acheminement des documents. Les imprimés issus des pays alliés sont donc les plus nombreux car plus facile à récupérer.

La Hoover War Collection est initié par Mr Hoover en 1919. Sa constitution tardive influe sur la forme et le contenu de ce fonds. Il s’agit alors de rassembler surtout des documents officiels, des tracts et des publications de différentes sociétés savantes. On ne parle alors en rien de musée mais ces bibliothèques doivent servir de base pour des recherches historiques sur le premier conflit mondial et la participation des Etats-Unis. La Fondation Carnegie est aussi à l’origine de ces recherches et encourage la publication de travaux, d’étude sur le premier conflit mondial.

On trouve dans ces actes d’un colloque sur l’histoire culturelle de la Grande Guerre organisé par le centre de recherche de l’Historial de Péronne, un article sur la fondation Carnegie et le financement d’études économiques et sociales sur la guerre.

L’article de Massimo Baioni sur les commémorations et musées permet aussi de mesurer l’implication de L’Italie dans la Grande Guerre, après qu’elle se soit rangé du côté des Alliés suite au pacte de Londres du 26 avril 1915.
Le Comitato nazionale per la storia del Risorgimento entreprend de rassembler les sources sur la Guerre. Une autre entreprise voit également le jour, elle est le fait de l’Ufficio storiografico della mobilitazione civile à Rome. Il s’est donné pour mission d’établir une histoire de l’Italie pendant le conflit à partir de divers matériaux collectés. Divers aspects devaient ainsi être étudiés comme l’économie, l’aspect militaire, politique mais aussi la culture et l’opinion, chose tout à fait nouvelle. Mais ce mouvement n’a pas eu de réelle postérité.

Nombre de ces institutions ont du attendre avant de jouer un rôle effectif. Mais les projets qui en justifiaient l’origine étaient en soi le symptôme d’une prise de conscience plus générale : le caractère nouveau et dramatique de la guerre, première vraie guerre de masse ayant elle-même entrainé la mort de masse. Elle impose une confrontation immédiate avec la mémoire d’un évènement que des millions de personnes vivaient comme une césure existentielle et culturelle.

Outre les multitudes de collections privées parfois encore enfermées dans les caves et greniers poussiéreux, cette multiplication de bibliothèques de guerre montre bien l’engouement, l’avidité envers ses traces d’un temps, d’un évènement inouï. Collecter pour comprendre, pour montrer, se rappeler mais aussi pour transmettre une mémoire. Et il ne s’agit plus seulement d’une mémoire familiale cantonnée au récit d’exploits personnels, de citations au mérite d’un aïeul lointain. Cette mémoire devient collective, celle qu’il faut transmettre aux générations futures qui elles aussi prendront conscience de l’ampleur du conflit. La mémoire devient un devoir, la collecte un acte citoyen. On retrouve cette idée dans nombre de documents sur la première guerre mondiale. Edouard Herriot l’exprimait lui-même et le compte-rendu de la première réunion de la commission présidant le fonds de la guerre n’en est que trop claire : « Cet ensemble, déjà très considérable, formera plus tard un énorme dossier où seront conservés de façon durable les preuves irréfutables de notre droit et le souvenir de nos luttes et de nos sacrifices (…) Le public, les historiens à venir ne pourront se dispenser de recourir à ce fonds où se trouveront, côte à côte les témoignages les plus divers, rassemblés dans un esprit de parfaite impartialité. »

Avec Entre deuil et mémoire, Jay Winter montre les formes prises par le deuil au sortir de la guerre. La commémoration emprunte alors différentes formes : monuments aux morts, cérémonies…et s’opère également grâce aux arts (cinéma, littérature, peinture, sculpture).

III- Bibliothèques de guerre aujourd’hui : conservation et valorisation des traces de la guerre

Si certaines initiatives sont restées lettres (livres) mort(e)s, nombre d’entre elles sont encore actives aujourd’hui. Près de cent ans après le conflit, ces bibliothèques continuent d’enrichir leur collections grâce aux nombreuses publications sur la Grande Guerre et aux dons de particuliers. « Lieux de mémoire », elles sont aujourd’hui des intermédiaires indispensables aux historiens qui travaillent sur la période. Les différents travaux menés depuis la fin du conflit permettent de faire parler ces feuilles, ces traces de la guerre. Mais ces bibliothèques s’enrichissent également grâce aux publics qui viennent y déposer leur reliques, leurs papiers et photos de familles. Afin de les conserver et de faire partager ce patrimoine au plus grand nombre, des projets de numérisations sont en cours.

L’Université d’Oxford est pionnière en matière de numérisation. En lien notamment avec l’Imperial War Museum et d’autres institutions anglaises, elle forme le projet des Great War Archives
Les citoyens britanniques sont alors sollicités pour faire numériser leurs papiers, photos datant de 1914-1918. Publiées ensuite sur ce site internet, cela permet un partage plus large du patrimoine de la première guerre mondiale. Le but est de collecter des histoires personnelles, des souvenirs de la guerre.
Si cette entreprise s’est essoufflée faute de fonds, le projet a été repris à l’échelle européenne, toujours en lien avec l’université d’Oxford. Cette fois, l’initiative rassemble des bibliothèques nationales et universitaires anglaises, allemandes, belges, danoises afin d’organiser ces journées de collecte. Organisées dans toute l’Europe, elles permettent de confronter les images, les lettres à une histoire personnelle, un vécu de la guerre. Ses histoires continuent d’être rassemblées, avec comme ligne de mire 2014 et la commémoration du centenaire de la Grande Guerre.

Le fruit de ces opérations trouve sa place dans la bibliothèque numérique européenne, Europeana 1914-1918. Celle-ci a été crée à l’origine pour numériser les collections des bibliothèques européennes. Naturellement les fonds de la guerre entrent dans ce projet qui permet de transmettre ce patrimoine. Les fonds de guerre jusqu’alors réservés aux usagers des bibliothèques sont ainsi disponibles via Internet.

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Outre cette coopération européenne, nombre d’établissement dispose de pages internet consacrées à la Première Guerre Mondiale. On retrouve par exemple les collections de la Bnf dans ce blog qui proposent des liens vers Gallica. Un autre projet est en cours permettant la mise en ligne des journaux du front. Les bibliothèques ne sont pas les seules à développer ce genre de projets : les archives participent également à cette transmission des traces de 14-18. Le patrimoine de la Grande guerre devient ainsi accessible au plus grand nombre. Cent ans après, ces programmes permettent de raviver la mémoire du conflit et de la transmettre aux générations futures par le biais des nouveaux médias. Ceci n’est qu’un aperçu du foisonnement d’initiatives en cours pour la commémoration du centenaire de la Grande Guerre.

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