Rock’n Rhône [3/4]

Une bataille pour les salles rock, 1976-1995.

- temps de lecture approximatif de 10 minutes 10 min - Modifié le 03/04/2021 par prassaert

De Louis Pradel à Michel Noir, retour sur deux décennies de luttes et de débats autour des salles rock de l'agglomération lyonnaise. Une mesure à quatre temps à suivre en 2018...

Concert de U2 à la Halle Tony-Garnier / M. Quinones, 11 mai 1992. BML, FIGRP05234.

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Lyon, capitale du rock ? Au milieu des années 1980, ce temps semble définitivement révolu. La plupart des groupes régionaux encensés par la génération de 1976-1978, ceux qui furent à l’avant-garde de la production et de la New Wave hexagonales, ont flirté avec la notoriété avant de se dissoudre dans les méandres du show business. Véritables météores de la période post punk, leur succès a été aussi soudain qu’éphémère et ils ont quasiment tous disparus de la scène rock à l’aube de la nouvelle décennie : Marie Girard, de Marie et les garçons, après un passage éclair du groupe aux États-Unis entre les mains expertes de John Cale, ex-tête pensante du Velvet Underground et enfant chéri de la Factory d’Andy Warhol, échoue comme animatrice sur les ondes hertziennes avant de se tourner vers la production de concerts au sein de la société Realistic ; le groupe Starshooter s’est quant à lui séparé, son leader Kent continuant de son côté une carrière solo partagée entre la musique et la bande-dessinée ; le chanteur de Ganafoul, Jack Bon, est parti retrouver une seconde jeunesse en compagnie des Jets ; le groupe Electric Callas a pour sa part perdu sa voix, de même que Killdozer ou Factory. Qu’à cela ne tienne, d’autres formations prendront le relais et connaîtront quelque fois un succès fulgurant sur la scène nationale, à commencer par L’Affaire Louis Trio (victoire de la musique en 1987) ou Carte de séjour menés par leur chanteur respectif, Hubert Mounier et Rachid Taha.

 

Marie Girard, ex-batteuse de “Marie et les garçons” / J.-M.Huron, 28 juillet 1987. BML, FIGRPTP2402.

Jack Bon et Les Jets / J.-M. Huron, 1er avril 1987. BML, P0759 FIGRPTP0576 01.

Pour en revenir au problème des salles de concert, la Ville de Lyon se retrouve donc, au mitan des années 1980, dans une situation proche de celle qui a été vécue une décennie plus tôt. La deuxième ville de France souffre toujours du même mal : son incapacité chronique à accueillir correctement entre deux et six mille spectateurs. À la fin de l’année 1986, après le fiasco politique et financier de l’Espace Tony-Garnier et la fermeture du Palais d’hiver, les salles susceptibles de recevoir un groupe de rock sont quasiment inexistantes. L’état des lieux n’est en tous les cas guère reluisant dans une cité qui revendique haut et fort son statut de ville internationale. Le décompte se fait donc rapidement : un Palais d’hiver tout juste fermé, un espace Tony-Garnier démonté, un Palais des Sports où le son « claque des dents », une Bourse du travail inadaptée et une salle Molière devenue bien trop petite. Pour l’Opéra… c’est l’Opéra ! Quant à l’Auditorium, il s’ouvre à peine aux musiques autres que classique – du moment qu’elles soient « soft » – et c’est tout juste si la chanteuse Sade a pu s’y produire le 2 mars 1986. De ce triste inventaire, il reste deux mastodontes : d’une part, le grand hall d’Eurexpo, bien qu’éloigné du centre de Lyon, s’ouvre rapidement au rock et accueille plus de 10.000 personnes lors du premier concert qui y est programmé (Dire Straits, 14 novembre 1985) ; d’autre part, le Stade de Gerland, réservé comme il se doit aux concerts-mammouth, et qui réussit quelques tours de force en drainant par exemple 50.000 spectateurs pour le concert des Rolling Stones (16 juin 1982) et près de 30.000 personnes pour celui de David Bowie (28 juin 1987), au désespoir des adjoints aux Sports successifs en charge de la préservation des fragiles infrastructures et des précieuses pelouses.

 

Concert des Rolling Stones à Gerland / M. Quinones, 16 juin 1982. BML, FIGRPT2320.

 

Installations pour le concert de David Bowie à Gerland / M. Quinones, 26 juin 1987. BML, FIGRPTL0234.

 

Face à ce constat, les regards se portent alors au nord de la ville, plus précisément le long de la rive gauche du Rhône où subsistent encore quelques terrains partiellement libres. Depuis la fin des années 1970, les édiles lyonnais ont en effet évoqué à plusieurs reprises une mise à disposition du quai Achille-Lignon (actuel quai Charles-de-Gaulle) et ses immenses halls d’exposition ponctuellement occupés depuis décembre 1967 par la grande vogue d’hiver de Luna Park et chaque printemps par la Foire de Lyon. En juin 1978, une première proposition a été faite en ce sens par l’adjoint Joannès Ambre à la suite de la fermeture du Rock’n Roll Mops. Hors période de foire, elle concerne surtout la location de certains des bâtiments, notamment du plus grand d’entre eux, le Palais de la Mécanique (hall 29), pour qu’y soient organisés des concerts de rock. Si la ville souhaite en effet prêter ses locaux, leur aménagement intérieur et acoustique (installations électriques, sièges, scène, etc.) est par contre laissé à la charge des organisateurs de concerts. Ceci explique sans doute qu’à cette époque la proposition soit restée lettre-morte ; seuls sont occasionnellement utilisés les terre-pleins adossés aux bâtiments où Scorpio Production organise par exemple un audacieux concert sous chapiteau de Ganafoul (12 janvier 1979).

 

Vue générale du Palais de la Foire et ses annexes / P. Clavel, [197.]. BML, CRDP R02889.

Disposition générale des bâtiments sur le site de la Foire de Lyon en 1977. Avec, gauche à droite ou du Sud au Nord : le Petit Palais, le Palais des Congrès, le Grand Palais, les Halls 25 et 27, et, complètement au Nord, le Hall de la Mécanique. BML.

 

La situation va rapidement évoluer en 1986. Longtemps envisagé, le déménagement de la Foire de Lyon dans le nouveau Parc des expositions d’Eurexpo, conçu spécialement pour elle sur la commune de Chassieu, a en effet libéré les bâtiments historiques du quai Achille-Lignon. Alors que se dessinent d’autres projets de salles en divers lieux de l’agglomération lyonnaise, portés notamment par les municipalités de Villeurbanne et de Vénissieux où l’on se prend à rêver d’un Zénith lyonnais (nous y reviendrons), le nouvel adjoint à la Culture de la Ville de Lyon, André Mure, envoie une lettre de mission à Victor Bosch en septembre 1986 pour le charger d’un nouveau défi. Ce dernier, ancien batteur du groupe de rock progressif Pulsar actif à la fin des années 1970 et personnalité reconnue du monde du spectacle, est un homme de terrain qui s’est reconverti dans la régie de spectacles et la direction de tournées (Francis Cabrel, Jacques Higelin, Renaud, etc). Suite à l’organisation d’un défilé de la chorégraphe Régine Chopinot, il s’est forgé ces dernières années une solide réputation sur la place de Lyon, notamment depuis qu’il a pris la direction technique de la Biennale de la danse et du Festival Berlioz.

 

Victor Bosch en studio (à gauche), lors de la reformation de Pulsar / M. Quinones, 30 octobre 1989. BML, FIGRP00827.

Hall 27 de la Foire de Lyon / M. Quinones, 5 octobre 1987. BML, FIGRPTL0048.

 

Cette fois-ci, il lui est demandé de concevoir un avant-projet visant à la reconversion et à l’aménagement du hall 27, non pas en Palais du rock comme certains auraient pu le penser, mais en une salle de concert moderne et accueillante où l’on puisse, enfin, écouter de la musique. Une solution somme toute provisoire, puisque le Palais de la Foire et ses annexes sont promis à la démolition dans les quatre années à venir dans le cadre de la réhabilitation du quai Achille-Lignon. Longtemps débattue, cette démolition est confirmée depuis le 14 février 1985 avec la signature d’un accord officialisant l’installation du siège mondial d’Interpol à Lyon et, à sa suite, par l’implantation de la future Cité internationale. Avec la collaboration de Philippe Hutinet, décorateur et scénographe, et de Paul-Henry Huchard, ingénieur en structure, Victor Bosch se met donc au travail. Dès la fin du mois de septembre, il remet son rapport, incluant plans et estimations. Mais en cours d’étude, un problème important s’est fait jour : le plafond du hall 27 n’étant pas assez élevé pour y faire tenir la scène et les éclairages, il prévoit ainsi d’importants travaux afin d’élever le niveau. Ces transformations, guère défendables pour un bâtiment voué à une destruction prochaine, sont sans grande surprise jugées trop onéreuses et amène donc au rejet du projet. Disposant d’un budget d’investissement limité, André Mure qui avait dans un premier temps écarté le hall 29 – d’autant plus que celui-ci est occupé pour la période hivernale par les forains du Luna Park et ne se libérera qu’en février 1987 – se rabat finalement vers ce second espace, beaucoup plus vaste. Victor Bosch et ses collaborateurs doivent donc tout revoir, des plans d’aménagement intérieur aux estimations financières, mais avec le problème de hauteur sous couverture en moins. Le 3 octobre, il présente une nouvelle étude de faisabilité assortie à la fin du mois d’un budget prévisionnel d’exploitation.

 

Hall 27 de la Foire de Lyon / M. Quinones, 5 octobre 1987. BML, FIGRPTL0048.

 

Sitôt le projet connu, des protestations s’élèvent de l’autre côté du Rhône où le maire de Caluire, Bernard Roger-Dalbert, sans doute échaudé par les mésaventures de l’Espace Tony-Garnier, entend bien marquer son opposition formelle au projet en soulignant les nuisances sonores que cela entrainerait pour ses administrés. Aucune crainte cependant à avoir de ce côté, car tout est sous contrôle. Pour le hall 29, Victor Bosch a en effet pris toutes les précautions, surtout en ce qui concerne l’insonorisation de cette salle tournée vers le parc de la Tête-d’Or, dont la façade ouest en bordure du Rhône est de plus traitée avec une « double peau » afin d’éviter la propagation du son en direction de la commune voisine. Tel que conçu, le projet occupe la moitié des quelques 11.000 mètres carrés de l’édifice qui est séparé en deux espaces distincts par l’intermédiaire de cloisons acoustiques. Cette nouvelle salle est prévue pour une capacité de 6161 spectateurs, se divisant entre un spacieux parterre (4165 places debout) et trois niveaux de gradins amovibles disposés en demi-cercle (1961 places assise) qui ont entre autres avantages celui de pouvoir être déplacés sur le site du théâtre antique de Fourvière en période estivale. À l’autre extrémité, une scène démontable, d’une longueur de 28 mètres par 15 mètres de profondeur et 1,5 mètre de hauteur, est placée dos au Rhône. Bien loin des budgets investis au niveau national dans d’autres salles du même type, la note finale du hall 29 est estimée entre 3 et 4 millions de francs, amortissables sur trois ans à raison de 75 concerts par an. En somme, un projet très réaliste, surtout si l’on prend en compte que cette salle récupèrera tous les spectacles jusqu’alors organisés à la Bourse du travail et au Palais des Sports.

 

Plan pour le projet de réhabilitation du hall 29. BML.

 

En décembre 1986, alors que sur la commune de Vénissieux le maire André Gerin souhaite concurrencer les ambitions lyonnaises en reprenant un projet de salle à grande jauge de type Zénith que son prédécesseur Marcel Houël avait initié au début de l’année 1985, le projet du hall 29 est déposé par André Mure devant le conseil des adjoints de la Ville de Lyon. À la veille de sa présentation, l’adjoint qui en a fait une affaire personnelle se déclare optimiste : « Demain, en conseil des adjoints, tout devrait bien se passer. Si la procédure d’urgence est adoptée, la salle pourra être ouverte en octobre 1987 ». Il ne lui reste donc plus qu’à convaincre la municipalité… Mais le 6 janvier 1987, la réponse tombe sous la forme d’un désaveu : Francisque Collomb refuse catégoriquement le projet du hall 29, mort avant d’être vraiment né. Et son opposition s’exprime violemment dans la presse quotidienne : « Je suis toujours prudent et si c’est pour faire quelque chose d’aussi désastreux que l’Espace Tony-Garnier… De toutes façons, il y a la Bourse du travail, qui peut accueillir 4000 personnes ; et puis ils peuvent allez à Eurexpo, ils auront de la place pour se garer » (Lyon Figaro, 7 janvier 1987). Quelques mois plus tôt, le maire de Lyon avait déjà fait savoir qu’il ne voyait pas l’utilité d’un tel outil, ceci malgré les promesses de campagne lors des municipales de 1983 et une majorité municipale plutôt favorable au projet, ni surtout comment assurer la rentabilité financière de cette nouvelle infrastructure sur une si courte période. Il faut dire qu’après être passé entre les mains des services techniques de la Ville, le montant de l’investissement du projet, toutes options confondues, aura entre-temps doublé pour atteindre une estimation finale entre 8 et 10 millions de francs !

 

Victor Bosch devant le hall 29 / M. Quinones, 2 janvier 1987. BML, FIGRPTP0610.

 

Si Francisque Collomb met son veto sur le hall 29, il a par contre une autre proposition à faire, quelque chose de durable et de solide : « Je vais proposer la création d’un syndicat intercommunal et je vais bien voir les réactions des maires de Villeurbanne, Vénissieux et Vaulx-en-Velin notamment. Ces réactions, je pense les connaître dans le courant du mois qui vient. Si on n’arrive pas à quelque chose, alors je rechercherai un terrain sur Lyon » (Lyon Figaro, 7 janvier 1987). Le maire relance ainsi l’idée d’une salle en dur à Chassieu, site où la Courly est propriétaire de vastes terrains, et demande parallèlement à son premier adjoint André Soulier et à André Mure de prendre contact avec les maires des communes du Rhône de plus de 20.000 habitants afin de réaliser conjointement ce nouveau projet. Une première réunion organisée le 23 février 1987 à l’hôtel de la communauté s’annonce donc comme un événement historique. Même si chacune des douze communes en présence essaye de se débarrasser du problème à bon compte, la réunion conduit à la présentation de trois nouveaux projets : la suggestion villeurbannaise portant sur le terrain de l’ancienne usine des eaux, situé à l’intersection de Lyon-Villeurbanne et à proximité du tennis-club de Lyon ; la proposition lyonnaise avec un terrain communautaire proche d’Eurexpo, sur la commune de Chassieu ; et enfin celle de Vénissieux présentant un projet déjà bien élaboré, avec notamment l’apport de capitaux privés que soutiendraient des fonds d’origine publique sous forme de subventions. Trois nouveaux projet qui relancent la grande saga des salles rock en région lyonnaise…

 

Réunion des communes du Rhône à la Courly / M. Quinones, 23 février 1987. BML, FIGRPTL0111.

Réunion des communes du Rhône à la Courly. Les adjoints Mure et Soulier (Ville de Lyon) / M. Quinones, 23 février 1987. BML, FIGRPTP3600B.

 


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