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Croix des mariniers, péniche Quai Rambaud

photographe : Jean-Pierre Boursier, 8 novembre 2016

- temps de lecture approximatif de 5 minutes 5 min - par B. Yon

En parcourant les quais lyonnais, côté Rhône et côté Saône, on se rend compte que l’habitat fluvial est bien présent dans notre ville. Ce type de logement séduit pour le mode de vie atypique qu’il offre : habiter en plein centre-ville tout en ayant cette sensation d’en être extrait et proche de la nature, bénéficier d’une grande terrasse et vivre au rythme des saisons, ne pas avoir de voisins mis à part les cygnes qui viennent cogner de bon matin pour réclamer leur quignon de pain...

Croix des mariniers, quai Rambaud, 2e arrondissement
Croix des mariniers, quai Rambaud, 2e arrondissement

En France, on compte quelques 1800 péniches habitations en 2017. Bien sûr, ce type de logement comporte son lot de contraintes : les places sont rares et chères, l’entretien d’une péniche est très contraignant, il ne faudra compter que sur vous-même et vos petites mains pour déloger un tronc qui se sera coincé entre le quai et le bastingage, vous devrez également subir les odeurs des algues qui fermentent en plein été… Bref, loger sur une péniche n’est pas de tout repos, mais chaque luxe à son prix.

Un petit retour historique peut être nécessaire pour comprendre comment en est-on arrivé à transformer des péniches destinées au transport de marchandises en résidences principales.

 

L’HOMME ET LE FLEUVE

Depuis la fin du moyen-âge, l’homme utilise les fleuves et rivières pour transporter des marchandises. En effet, les voies terrestres étaient encore très peu praticables et peu développées, surtout pour y transporter des charges lourdes. Certaines régions ont pu ainsi développer leur économie, le transport fluvial leur permettant de commercer avec le reste du pays.

 

Selon la région, ses bateaux portaient des noms différents, et dans le Rhône on les appelait des « sisselandes ».

Une explication de la provenance du mot « péniche », à prendre au conditionnel car non référencée, nous est proposée de cette manière : «L’appellation « péniche » est impropre pour désigner ces bateaux. Le mot viendrait de « pinasse » (bateau fabriqué en pin) qui aurait transité par l’Angleterre en devenant alors « pinace » dont la prononciation aurait donné « péniche ». Le conditionnel est de rigueur.» (Source Wikipédia)

On ne faisait naviguer les bateaux que quelques mois par an, quand le niveau des fleuves le permettait. Le reste de l’année, les bateliers travaillaient à terre et menaient une vie sédentaire. Lorsque le courant était favorable, il n’y avait pas de difficultés à mener le bateau à bon port. En revanche, quand il s’agissait de remonter le fleuve à contre-courant, c’était une autre paire de manche. C’est pourquoi, parfois, le bateau ne faisait qu’un seul et unique voyage. Une fois la marchandise livrée, il était démonté et le bois était revendu comme combustible ou bois de charpente.

Une autre solution était celle de tracter à la force des bras et des jambes le bateau pour remonter le courant, en empruntant les chemins de halage, munis d’un harnais.

 

L’OUTIL DE TRAVAIL DEVIENT LE FOYER

Le tractage du bateau est fait par les hommes, mais à partir du 18ème siècle, les mariniers installent leur famille sur l’embarcation, et se sont bien souvent les femmes et les enfants qui s’attèlent à cette lourde tâche. Et qui aident également au travail sur le bateau. Plus tard, les hommes, femmes et enfants seront remplacés par les animaux, et enfin, grâce aux progrès de la mécanisation, la loco-traction verra le jour, et se seront des petites locomotives avançant sur des rails longeant les chemins de halage qui tireront les bateaux.

 

Les bateliers forment une communauté très soudée, qui se transmet le métier de génération en génération. Ce sont  des familles très anciennes qui se sont passé le flambeau depuis cinq, voire six générations. Les jeunes gens se marient entre eux, car les sédentaires peuvent difficilement comprendre et accepter le mode de vie des bateliers.

 

Un bateau-église est monté en 1922 afin que les jeunes amoureux ne vivent pas trop longtemps dans le pêché. En effet, il est difficile de se marier  comme les sédentaires, car il faut attester d’un domicile fixe pendant au moins plusieurs mois. Or, les bateliers n’ont pas d’adresse fixe. Dans le nord, l’abbé Plateau propose aux bateliers de se faire domicilier chez lui. Mais les autorités interdisent cette pratique qu’elles jugent comme un détournement des règles établies. L’abbé Plateau achète alors un bateau et ouvre une église flottante pour bénir les unions.

 

 

LE RENOUVELLEMENT DE LA FLOTTE

Au cours de la Seconde Guerre Mondiale, une grosse partie de la flotte est endommagée ou détruite. La profession va en profiter pour renouveler ses équipements et construire des péniches en structure métallique et dotées d’un moteur à propulsion et d’une hélice.

Aujourd’hui, on accole le nom de péniche à toute sorte de bateaux. Mais en réalité, le seul bateau que l’on peut appeler péniche est celui qui correspond aux normes fixées par Freycinet en 1879, c’est-à-dire un gabarit bien précis : 38,50m de long, 5,05m de large et 2,60m à 2,80m de haut, avec les extrémités légèrement relevées.

Mais au cours des années 60, le transport fluvial est supplanté par le fret ferroviaire et le transport routier.

Les péniches sont de plus en plus délaissées, et vont finir leur vie rongées par la rouille dans des ports hollandais.

Parallèlement à ses évolutions technologiques, qui laissent sur le bord de la route toute une profession, les jeunesses occidentales ont depuis quelques temps entamées également leur (r)évolution. Le mouvement hippie voit le jour, et avec lui une envie de liberté et de changement de société. Les modes de vie alternatifs et anti-conventionnels attirent beaucoup de monde, et vivre sur des péniches est une manière d’échapper à la hausse des prix de l’immobilier dans les grandes villes, d’avoir le sentiment de liberté que procure un habitat mobile, de savoir que l’on peut partir à tout moment vers d’autres horizons, et également de se rapprocher de la nature.

Avant eux, d’autres s’y était essayés, comme Georges Simenon par exemple, qui se fit construire l’  « Ostrogoth », péniche sur laquelle il vécut de 1928 à 1931.

Ces jeunes gens vont donc partir en Hollande racheter ses vieilles péniches et leur donner une seconde vie.

Si certains d’entre vous sont tentés par l’aventure, sachez qu’il vous faudra vous armer de patience. Le turnover étant très faible, il faut attendre entre 10 à 15 ans pour obtenir une place à quai.

 

Pour aller plus loin :

Petite définition

Mariniers : Histoire et mémoire de la batellerie artisanale

Pour tout savoir si vous souhaitez sauter le pas !

 

 

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