L'éphémère département du Rhône-et-Loire

- temps de lecture approximatif de 14 minutes 14 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

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Le 13 janvier 1790, il y a 221 ans jour pour jour, un décret officialisait la naissance du département de Rhône-et-Loire. La vie du département sera brève mais les conditions particulières de son existence vont beaucoup influer sur les rapports entre ses deux rejetons, les départements de la Loire et du Rhône.



Sommaire

1. La naissance du département de Rhône-et-Loire

- La situation à la veille de la Révolution française
- La création de l’échelon administratif départemental
- Présentation du nouveau département de Rhône-et-Loire

2. La vie brève et mouvementée du Rhône-et-Loire

- Le refus d’un pouvoir politique local basé à Lyon
- Les revendications territoriales
- La tragédie lyonnaise marque le début de la fin

3. La fin du Rhône-et-Loire et la naissance de deux nouveaux départements

- Lyon n’est plus
- Le Rhône-et-Loire n’est plus

4. Rhône et Loire entres querelles de famille et rapprochements

Bibliographie

21. La naissance du département de Rhône-et-Loire2

[actu]La situation à la veille de la Révolution française[actu]

En 1789, la région est classiquement organisée en provinces. Trois provinces : le Lyonnais, le Beaujolais et le Forez, regroupées dans la généralité de Lyon, crée en 1542 par l’édit de Cognac. C’est l’une des plus petites généralités du royaume.

Au sens strict, le mot « généralité » désignait une des premières circonscriptions administratives de type moderne que le souci du contrôle fiscal avait imposées à la France. L’édit de 1542 peut, à cet égard, être considéré comme le véritable acte de naissance de cette institution : il établissait pour les impositions directes seize recettes générales, dirigées par des receveurs généraux qu’assistaient des bureaux des finances. (Encyclopaedia Universalis)

Lyon se trouve géographiquement à la frontière Est de la généralité (la rive gauche du Rhône étant en Dauphiné). De plus, malgré son rayonnement national et international, la ville de Lyon ne représente que 5 % des habitants de la région : une ville comme Montbrison capitale locale du Forez avant Saint-Etienne, voit déjà d’un mauvais œil le rôle prééminent donné à Lyon dans sa généralité. Et les cahiers de doléances du Beaujolais du printemps 1789 contiennent entre autres des récriminations vis-à-vis de Lyon.

[actu]La création de l’échelon administratif départemental[actu]

Fin 1789, l’Assemblée nationale propose la division de la France en 80 départements sous l’impulsion du député Jacques-Guillaume Thouret. Ce dernier présente son rapport le 8 janvier 1790. On y lit ceci concernant la généralité de Lyon :

Le Lyonnais, le Beaujolais et le Forez présentent ensemble une superficie suffisante pour faire un beau département. Le Forez, dont la superficie n’est que d’environ 230 lieues [environ 2700 km²], a demandé avec insistance à n’être point réuni à Lyon sous une même administration, il aurait volontiers consenti à rejoindre le Beaujolais, mais il devenait impossible de faire un département avec le seul Lyonnais, et le comité a jugé convenable que les trois provinces fussent réunies, et que leur étendue, qui est d’environ 360 lieues [environ 5800 km²], n’était pas excessive, eu égard à la ville de Lyon, dont il était nécessaire de balancer l’influence.



Malgré les protestations de certains députés du Forez et du Beaujolais exprimées à l’Assemblée le 9 janvier 1790, le verdict tombe par le décret du 13 janvier 1790 :

L’Assemblée nationale […] a décrété que le Forez, le Beaujolais et le Lyonnais ne formeraient qu’un département.

[actu]Présentation du nouveau département de Rhône-et-Loire[actu]

Le département reprend à peu près les anciennes frontières intérieures et extérieures de la généralité de Lyon,

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Le Rhône-et-Loire
Document BM-Lyon

avec cependant des discussions territoriales sur certaines marges : le Pays de Bourg-Argental rattaché au Rhône-et-Loire et non à l’Ardèche, et le bourg de La Guillotière reste dans le giron lyonnais et n’intégre pas l’Isère malgré sa préférence pour le Dauphiné.
Le département de Rhône-et-Loire est administrativement divisé en six districts : Lyon [Lyon-ville] ; Campagne lyonnaise ; Montbrison ; Saint-Étienne, Roanne, Villefranche.

Lyon est nommé chef-lieu de département.

22. La vie brève et mouvementée du Rhône-et-Loire2

[actu]Le refus d’un pouvoir politique local basé à Lyon[actu]

L’unité du nouveau département est malmenée dès sa naissance : les députés du Forez réclament que la première assemblée électorale départementale n’ait pas lieu à Lyon, mais le décret du 10 février 1790 les déboute de leur demande. Cependant, un décret précédent (3 février) précise que Lyon n’est nommé que provisoirement chef lieu de département.
Le député Antoine Delandine réclame pour le Forez une administration indépendante de la ville de Lyon. Certains représentants du Beaujolais souhaitent que la ville de Lyon forme un département distinct. On assiste donc schématiquement à une lutte entre la campagne et les villes moyennes (Montbrison, Villefranche) et Lyon, la grande ville crainte.

[actu]Les revendications territoriales[actu]

Le département de Saône-et-Loire revendique les communes de Vivans et Arçon intégrées en Rhône-et-Loire. L’intégration du bourg dauphinois de la Guillotière au district de Lyon n’est pas acceptée par ses habitants.

A l’intérieur du département, la ville de Panissières réclame la création d’un district composé de communes à détacher à la fois du district de Feurs et du district de la Campagne de Lyon.

[actu]La tragédie lyonnaise marque le début de la fin[actu]

En 1792, les élections à la Convention débouchent sur une majorité modérée (girondine) au niveau départemental. Dans le même temps, la municipalité de Lyon est en prise avec le jacobin Marie-Joseph Chalier, élu président du tribunal de district en décembre 1792. Le département suspend Chalier de ses fonctions de membre de la commission de commerce de la municipalité.

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Marie-Joseph Chalier02
Image BM-Lyon

Chalier et ses partisans déclenchent l’émeute et promettent en mars 1793 des mesures répressives. Après une féroce bataille, Chalier et ses partisans sont arrêtés le 29 mai 1793 par un véritable contre-pouvoir de comités de surveillances modérés. Ce coup de main contre les « Chalier » est jugé contre-révolutionnaire et d’inspiration royaliste par le pouvoir central parisien d’autant que Lyon reçoit l’appui des troupes royalistes de Précy et Virieu et que des troubles contre-révolutionnaires ont lieu à Montbrison.
Craignant la contagion au niveau départemental, Paris envoie 25 000 hommes et de l’artillerie pour mater la rébellion

lyonnaise.
Lyon recherche des appuis dans le département, à Saint-Etienne et dans le Forez alors que le Lyonnais ne fait pas corps avec Lyon.
L’armée républicaine attaque et bombarde la ville à partir du 8 août 1793. Le 9 octobre, l’insurrection de Lyon est définitivement écrasée. La répression est terrible et accompagnée de décisions politiques graves pour Lyon comme pour le département.

23. La fin du Rhône-et-Loire et la naissance de deux nouveaux départements2

[actu]Lyon n’est plus[actu]

Extrait du décret du 12 octobre de la Convention concernant Lyon :

Art. III : La ville de Lyon sera détruite, tout ce qui fut habité par le riche sera démoli…
Art. IV : Le nom de Lyon sera effacé du tableau des villes de la République. La réunion des maisons conservées portera désormais le nom de Ville-affranchie.
Art. V : Il sera élevé sur les ruines de Lyon une colonne qui attestera à la postérité les crimes et la punition des royalistes de cette ville avec cette inscription : Lyon fit la guerre à la liberté, Lyon n’est plus.



Mais Lyon ne subit pas le sort de Carthage, retrouve son nom dès 1794 et son lustre rapidement. Ce n’est pas le cas du département du Rhône-et-Loire.

[actu]Le Rhône-et-Loire n’est plus[actu]

La fin de l’insurrection lyonnaise va permettre de mettre en application le décret rendu par la Convention le 12 août 1793 pour remettre l’ordre républicain dans la région. Extrait :

Considérant que l’administration du Rhône-et-Loire n’existe plus d’une manière légale […], que le Forez compose une partie très importante de ce département, que les circonstances actuelles exigent séparation et division du département du Rhône-et-Loire, [les représentants du peuple] ont arrêté :
Art. I : il y aura provisoirement un département composé des districts de Saint-Etienne, Montbrison et Roanne.
Art. II : ce département portera le nom de Loire, chef-lieu dans la ville de Feurs.
Art. VI : les représentants du peuples s’occuperont incessamment des autres parties du département de Rhône-et-Loire.

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La guillotine de Feurs
Paris,exposition, 1909

Les villes foréziennes ayant eu des sympathies pour la contre-révolution lyonnaise subissent les foudres du pouvoir central et sont rebaptisées : Montbrison en Mont-brisé et Saint-Etienne en Armeville. La guillotine départementale est installée à Feurs, petite ville restée fidèle à la République et nouveau chef-lieu de département. Feurs redevient pour un temps le centre régional qu’elle était en Gaule romaine sous le nom de Forum segusiavorum (le marché des Ségusiaves).
Les administrations locales du Rhône-et-Loire sont supprimées. La création des départements de la Loire et du Rhône (ce dernier englobant la partie orientale du Beaujolais) est approuvée par la Convention nationale le 19 novembre 1793. Les conseils généraux du Rhône sont supprimés par la loi du 4 décembre 1793. L’administration du département est alors confiée à un Directoire de 5 membres élus pour 5 ans.
Le Rhône-et-Loire n’existe plus. Il n’aura pas duré trois ans.

24. Rhône et Loire entre querelles de famille et rapprochements2

Au cours du XIXe siècle, il y aura des appels à la réunification du côté des rhodaniens, mais sans écho du côté ligérien (ligérien signifie : de la Loire). Mais ce n’est plus tant Montbrison que Saint-Etienne et ses édiles qui refusent d’entendre ces appels pour préserver leur indépendance.

D’autre part, le soulèvement de 1793 a renforcé l’image de Lyon comme ville bourgeoise et conservatrice, à l’opposé d’une cité stéphanoise ouvrière se développant grâce à l’exploitation des mines de charbon.
Après la Première Guerre mondiale l’État décide l’instauration de régions économiques dépassant les limites administratives départementales. La 11e région économique devant rassembler les agglomérations lyonnaises et stéphanoises provoque l’opposition de la Chambre de Commerce de Saint-Etienne qui déclare que la ville « reproche à Lyon ce que cette dernière reproche à Paris ».

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Le Derby
Rivalités OL-ASSE

Ce sentiment de rivalité et de défiance se retrouve catalysé dans des domaines comme le football, sport le plus populaire en France. Dans les années 1960 et 1970, la rivalité des deux clubs étendards de la Loire et du Rhône est à son paroxysme et s’expose à travers des derbys souvent très « chauds » et de petites phrases assassines de dirigeants ou joueurs des clubs de l’ASSE et de L’Olympique Lyonnais. Une des plus célèbres, de Pierre Faurand (ASSE) : « En matière de football, Lyon sera toujours la banlieue de Saint-Étienne ». Une phrase à retrouver avec d’autres plus méchantes dans l’ouvrage Le derby : ASSE-OL histoire d’une rivalité.

Mais la réalité économique régionale est tout autre. Lyon, Saint-Étienne (sans oublier Grenoble) sont des métropoles régionales d’une région dynamique et si Lyon est le centre régional, toutes sont complémentaires dans le tissu économique local.
Le premier signe est donné par l’ouverture dès 1832 de la première liaison ferroviaire de villes en France, entre Saint-Etienne et Lyon.

En 1966, pour coller aux réalités économiques d’échange et de coopération locale, l’État crée six OREAM (Organisations d’Etudes d’Aménagement des Aires Métropolitaines) dont l’une a pour ambition de créer une véritable métropole régionale de Saint-Étienne à Lyon.
Les collectivités locales emboitent le pas. En 1989, les municipalités de Lyon et Saint-Etienne signent un acte de coopération entre les deux villes.
Dans les monts du Lyonnais,

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Carte du SIMOLY

le SIMOLY (Syndicat Intercommunautaire des MOnts du LYonnais) créé en 1979 regroupe depuis 2001 les communautés de communes de Chamousset-en-Lyonnais (canton de Saint-Laurent-de-Chamousset, Rhône), Hauts du Lyonnais (canton de Saint-Symphorien-sur-Coise, Rhône), Forez-en-Lyonnais (canton de Chazelles-sur-Lyon, Loire).
L’ouverture fin 2012 du dernier tronçon de l’autoroute A89 entre La-Tour-de-Salvagny (Rhône) et Balbigny (Loire) contribuera à dynamiser les échanges entre le Lyonnais et la plaine du Forez.

On est désormais loin des réticences des édiles locaux du Rhône et de la Loire à rechercher la coopération en dehors de la limite administrative départementale. La régionalisation est aussi passée par là.
Alors que le rapport de la commission Attali propose en 2008 la suppression du département français pour simplifier les échelons administratifs locaux, on peut supposer qu’en cas de refonte territoriale se posera encore la question des rapports entre Loire et Rhône surtout si un échelon intermédiaire entre région et commune (communauté de communes élargie) est fixé par le pouvoir central.

2Bibliographie2

A.-J. BERNARD. Histoire territoriale du département de Rhône-et-Loire. Lyon : A. Vingtrinier, 1865, 180 p. (Ouvrage présent à la BM de Lyon Part-Dieu sous forme de microfiche).

Jacques RIVOIRE. Le département de Rhône-et-Loire, in L’Araire, n° 113, été 2003, pp. 53-59.

André LATREILLE (pub. sous la dir. de). Histoire de Lyon et du Lyonnais. Toulouse, Privat : 1984, 515 p.

Louis TRENARD. La Révolution française dans la Région Rhône-Alpes. Paris : Perrin, 1992, 819 p.

Albert CHAMPDOR. Lyon pendant la Révolution. Lyon : A. Guillot, 1983, 147 p.

Jean BERTHEAS, Colette CANTY, Michel PERONNET. La Révolution dans la Loire : 1789-1799. Le Coteau (Roanne) : Horvath, 1988, 136 p.

Edouard HERRIOT. Lyon n’est plus. Paris : Hachette, 1937-1940, 4 vol.

Le Rhône, naissance d’un département. Lyon : Conseil général du Rhône,1990, 341 p.

Histoire contemporaine et patrimoine : la Loire, un département en quête de son identité. Saint-Étienne : Université de Saint-Étienne, 2008, 371 p.

OREAM. L’avenir de la métropole Lyon-Saint-Étienne, in Les cahiers de l’OREAM, n°3, février 1968.

Lyon, St-Etienne, abécédaire. Lyon : Le Grand Lyon ; Saint-Etienne : Saint-Etienne métropole, 2007, 117 p.

Cyril COLLOT, Sébastien VUAGNAT. Le derby : ASSE-OL histoire d’une rivalité. Châtillon-sur-Chalaronne : la Taillanderie, 2009, 192 p.

Depuis quand le Rhône et la Loire sont ils devenus deux départements distincts ?Voir

J’aimerais connaître les circonstances de la création du département de Rhône-et-Loire regroupant ces deux départements actuelsVoir

A quelle date le département du Rhône a-t-il pris le numéro 69 dans la nomenclature des départements français ?Voir

Où le palais du Gouvernement, résidence du Préfet, a-t-il été établi après le siège de Lyon de 1793 ?Voir

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One thought on “L'éphémère département du Rhône-et-Loire”

  1. Thiry dit :

    Merci pour ces informations !!!

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