En résonance avec Quais du Polar

Enquêtes entêtantes

- temps de lecture approximatif de 5 minutes 5 min - Modifié le 31/03/2018 par Boxer

Au regard de la production pléthorique de polars, nous vous proposons de découvrir une autre façon d’aborder l’enquête policière, à travers le prisme du fait divers considéré ici comme un reflet des préoccupations dominantes d’une société. Comme l'analysait Roland Barthes dans ses Essais critiques, le fait divers porte en effet sur des problèmes universels : la vie, la mort, l’amour, la haine, la nature humaine, voire la destinée. Voici une sélection d’auteurs qui se sont emparés du fait divers pour mieux en percer ses mystères et révéler du coup des aspects souvent inattendus.

 

De sang froid, Truman Capote

Portraits des deux tueurs

Avec ce roman, Truman Capote crée un genre à lui tout seul : le nonfiction novel, autrement dit le roman tiré de faits réels. Basé sur une enquête de longue haleine autour d’un quadruple assassinat, habité par une écriture au scalpel, De sang-froid sera un énorme succès à sa sortie en 1966 mais Capote sera prisonnier à jamais de ce roman-monstre et sa carrière de “grantécrivain” comme arrêtée en plein vol.

A noter : Richard Brooks adaptera le roman en 1967 et deux films seront inspirés de l’histoire de l’écriture du livre : le très bon Truman Capote de Bennett Miller et Scandaleusement célèbre de Douglas Mac Grath. Où l’on découvre un Truman Capote fasciné et absolument englouti par cette enquête littéraire hors-norme.

 

Le chant du bourreau, Norman Mailer
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Publié en 1979, et inspiré de la vie et des témoignages de proches de Gary Gilmore, reconnu coupable de deux meurtres et condamné à mort, Le chant du bourreau sera récompensé en 1980 par le Prix Pulitzer.

Le roman de Mailer s’inscrit dans le courant du nouveau journalisme, dit New Journalism, appliquant au récit journalistique des techniques de la fiction littéraire. Très documenté, d’une écriture clinique et froide, il retrace toute l’affaire, depuis la sortie de prison de Gilmore, après divers menus larcins, jusqu’au double meurtre qui lui vaudra le peloton d’exécution. En suivant la trajectoire de ce criminel hors du commun,  Norman Mailer offre une étude sociale de l’Amérique profonde et une réflexion sur le système répressif américain. Un roman très contemporain, en somme.

 

Un singulier garçon, Kate Summerscale

Première de couverture

Absolument irrésistible. On ne peut que complimenter cette enquête signée Kate Summerscale qui raconte le parcours singulier d’un enfant matricide : « Cette affaire est une des plus affreuses, des plus cruelles et des plus contre-nature jamais soumises à un jury », déclara le ­coroner en s’adressant aux douze membres du procès.

Si cette enquête historique est à ce point réussie, c’est qu’elle dépasse largement le cadre restreint d’un procès criminel. En effet, grâce à un travail de recherche subtil et exigeant, son auteure parvient à dresser un tableau à la fois historique, social et politique de l’Angleterre victorienne et produit du coup un savoir scientifique des plus éclairants.

Si vous aimez cette enquête de Kate Summerscale, vous aimerez également découvrir ses deux autres petits bijoux que sont L’affaire de Road Hill House et La déchéance de Mrs Robinson.

 

Laetitia, Yvan Jablonka

 

Laëtitia - Ou la fin des hommes

Quel est donc cet objet intellectuel qui fascine autant qu’il dérange ? Ce n’est pas un polar, ce n’est pas un récit historique, ce n’est pas non plus une analyse sociologique au sens strict. Mais c’est peut-être tout cela à la fois. « Je me suis dit que raconter la vie d’une fille du peuple massacrée à l’âge de 18 ans était un projet d’intérêt général, comme une mission de service public », écrit l’historien Ivan Jablonka pour éclairer sa démarche.

C’est un livre essentiel mais dont la lecture peut heurter car, ainsi que le rappelle Fabienne Pascaud dans un article de Télérama, Jablonka tire ici un roman vrai d’un monstrueux fait divers en choisissant de suivre non pas le prédateur mais la proie. Le livre, souvent éprouvant, a reçu le Prix Médicis en 2016. Largement mérité.

 

 

Le motel du voyeur, Gay Talese

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Voici un OVNI littéraire signé Gay Talese, grande plume du nouveau journalisme américain : on ne voudrait pas trop vous dévoiler ce qui se passe au Manor House Hotel mais autant vous dire qu’il se passe de drôles de choses, pas si drôles que ça non plus du reste. Sachez qu’il y sera beaucoup question de scopophilie, de rapports sexuels, de mélanges de couleurs et de grille d’aération. Et le fait divers s’invite ici en guest-star, habillé de façon glauque et provoquant le malaise.

Factuel, précis, bourré de notations et de remarques plus ou moins éclairées sur l’échangisme, la révolution sexuelle ou la vie en général, ce Motel du voyeur bien nommé peut aussi se lire comme une étude suggestive voire scientifique de la sexualité humaine. Mais tout cela en loucedé.

 

 

Une partie rouge, Maggie Nelson

 

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Jane Mixer est assassinée en 1969 dans le Michigan. Trente-cinq ans plus tard, l’affaire n’est toujours pas résolue. Maggie Nelson cherche à comprendre : Jane Mixer est sa tante, la soeur de sa mère.

Difficile alors de rester de marbre quand la romancière et poétesse apprend que la police a trouvé un nouveau suspect, un certain Leiterman, sexagénaire et infirmier à la retraite. Un procès aura lieu. Nelson va y assister avec sa mère et son grand-père, contraints de se confronter à nouveau aux images choquantes du meurtre et à un passé enfoui dans la mémoire familiale.

Oeuvre âpre, oui, mais qui ne tombe jamais jans le pathos facile. Bien au contraire, Maggie Neslon tente de circonscrire ici ses démons en essayant de comprendre les enjeux d’un tel procès pour elle et pour sa famille. Son récit est un témoignage sans fard et prend  la forme d’une enquête (auto)biographique tout à fait originale.

 

Pour aller plus loin dans vos enquêtes :

*Dictionnaire amoureux des fais divers

*Les écrivains et le fait divers

*Le fait divers dans la littérature

 

Une citation, enfin :

« On doit des égards aux vivants ; on ne doit aux morts que la vérité ».

C’est Voltaire qui le dit.

 

 

 

 

 

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