Rentrée littéraire
Inspiré de faits réels
Publié le 20/01/2016 à 12:00 - 11 min - Modifié le 06/07/2016 par Boxer
589. Ce fut le nombre de romans français ou traduits de la rentrée littéraire 2015. Bien entendu on considéra très vite la rentrée comme une brassée de livres exaltants, fort de titres plus captivants les uns que les autres. Avec son lot de révélations, de confirmations. Et de déceptions aussi.
En décortiquant tous ces romans arrivés dans nos rayons, on voudrait attirer votre attention (merci de détacher le regard de votre page Facebook, juste quelques minutes, oh oui merci) sur un point, pas si anodin que ça : la présence ou plutôt devrait-on dire la permanence du Réel parmi tous les titres de cette rentrée. La majuscule est de mise : il s’agit bien ici du Réel dans son acception la plus large qui interroge la littérature dans ses retranchements plus ou moins authentiques : diantre, le Réel serait-il plus inventif que la fiction ?
Biographies romancées, romans vrais, autobiographies fictionnelles, autofictions, écriture spéculaire, affabulations de soi … autant de pistes exploratoires qui titillent en tout cas notre curiosité.
Mais que cela soit bien clair, chères lectrices et tendres lecteurs : nous ce que l’on veut surtout, c’est de la littérature bon sang ! Car nous l’aimons par-dessus bord, n’en déplaisent aux RONCHONS !
Voici donc de quoi garnir votre bol alimentaire de Réel pour ce début d’année : copieux mais diablement équilibré ! Si avec ça vous ne gardez pas la ligne littéraire, juré promis, nous rendrons notre pèse-lecteur.
Romans
Parmi les romans français récompensés et plébiscités par le public, nous retiendrons notamment ceux-ci :
Profession du père, S. Chalandon
Ou le portrait halluciné d’un père : « Un jour, mon père m’a dit que le Général l’avait trahi. Son meilleur ami était devenu son pire ennemi. Alors mon père m’a annoncé qu’il allait tuer de Gaulle. Et il m’a demandé de l’aider ».
La cache, C. Boltanski
Un récit familial marqué par la peur et le déracinement, l’exil puis la clandestinité : un très beau premier texte, un roman-vrai sur une famille et une éducation insolites
Un amour impossible, Christine Angot
Le portrait d’une mère, d’une femme et la relation mère-fille étudiée au scalpel.
Angot, à prendre ou à laisser
Eva, S. Liberati
Le portrait amoureux d’Eva Ionesco par Simon Liberati : ou comment un romancier dévoile deux femmes en une.
D’après une histoire vraie, Delphine de Vigan
Un thriller psychologique entre fiction et réalité : le roman (vrai ?) d’une mystification
Et pour poursuivre dans cette veine :
Liz T. autobiographie /
Jean-Paul Manganaro
Un voyage vampirique au coeur de la psyché d’Elizabeth Taylor. Ou ce qu’elle aurait pu être. Fascinant. Jean- Paul Manganaro mène une expérience littéraire, se glisse dans la peau de « la plus belle femme du monde » et restitue par associations d’idées le film en plusieurs dimensions qui raconte en même temps toutes les vies de Liz. Sans chronologie, sans dates, cette « autobiographie » est simplement la plus convaincante des fictions de la plus ensorcelante des stars.
Camille, mon envolée / Sophie Daull
“Nous n’avons pas de nom. Nous ne sommes ni veufs, ni orphelins. Il n’existe pas de mot pour désigner celui ou celle qui a perdu son enfant”.
Dans les semaines qui ont suivi la mort de sa fille Camille, 16 ans, emportée une veille de Noël après quatre jours d’une fièvre sidérante, Sophie Daull a commencé à écrire. Écrire pour rester debout, pour vivre quelques heures chaque jour en compagnie de l’enfant disparue, pour endiguer le raz de marée des pensées menaçantes.
Quand le diable sortit de la salle de bain : roman improvisé, interruptif et pas sérieux / Sophie Divry
Sophie la narratrice a bien des malheurs. Personnage jumeau de l’auteure, elle est écrivaine à Lyon. Chômeuse et victime de « précariat chronique », elle vivote au gré des allocations. Dès les premières pages, une vague culpabilité, autant qu’une solide résignation, infusent dans le texte. Car vivre aux crochets des services sociaux signifie se soumettre au règne du « non-faire », à la dictature de la « réalité stomacale », « l’unique réalité qui ne sera pas suspendue par une révolution, un changement de saison ou un bisou magique ». Ne lui restent, pour tenir le coup, que sa force ironique, sa verve, et l’échappatoire qu’offre l’écriture d’un récit, modulable à l’envi.
Entre les deux il n’y a rien / M. Riboulet
L’usage de la violence politique dans les années 1970, l’éveil à soi-même : le corps est au centre de ce récit majeur dans l’oeuvre de Mathieu Riboulet. « Ce roman aigu et lucide raconte dans le même mouvement l’éveil d’un jeune homme à la conscience sexuelle et politique » (Télérama). Tiens on est d’accord !
La dernière nuit du raïs
La dernière nuit du raïs / Yasmina Khadra
Avec cette plongée vertigineuse dans la tête d’un tyran sanguinaire et mégalomane (on aura reconnu Kadhafi), Yasmina Khadra dresse le portrait universel de tous les dictateurs déchus et dévoile les ressorts les plus secrets de la barbarie humaine.
L’imposteur /Javier Cercas
L’Imposteur est en effet une remarquable réflexion sur le héros, sur l’histoire récente de l’Espagne et son amnésie collective, sur le business de la “mémoire historique”, sur le mensonge (forcément répréhensible, parfois nécessaire, voire salutaire ?), sur la fonction de la littérature et son inhérent narcissisme, sur la fiction qui sauve et la réalité qui tue.
La disparition de Philip S / U. Eldschmid
Une histoire d’amour émouvante ayant pour cadre les insurrections allemandes de la fin des années 1960. Ulrike Eldschmid retrace l’histoire émouvante de la disparition inexorable de l’homme qu’elle aima et son lent et implacable processus de radicalisation politique, depuis les simples manifestations artistiques du début jusqu’à l’action clandestine et terroriste.
Troublant et juste.
Lettres pour le monde sauvage / W. Stegner
Écrivain majeur de l’Ouest américain, Wallace Stegner a grandi au début du XXe siècle dans la région des Prairies, au nord du Montana et du Dakota. Mêlant récits autobiographiques et réflexions sur l’environnement, l’auteur livre ici un témoignage sur un monde qui n’est plus. Un monde qui lui a fourni la matière essentielle à son oeuvre et à l’engagement politique pour la préservation d’une nature vierge.
Papi Wallace , on t’aime.
Théâtre
Patrice Chéreau : figurer le réel / Anne-Françoise Benhamou
Les essais réunis dans ce livre envisagent l’uvre de Patrice Chéreau comme un univers artistique en constante réinvention, depuis ses débuts dans les années 1960 jusqu’à ses dernières créations. Qu’ils évoquent sa relation à l’acteur, à l’image, au texte, au spectateur, ou la dimension politique de son geste, ils lient l’art de Chéreau à son désir jamais démenti de « raconter des histoires » – c’est-à-dire de mettre en partage l’expérience du réel.
L’air de rien, Chéreau manque déjà beaucoup.
Bettencourt boulevard / M. Vinaver
Cette pièce dont le sujet est tiré de l’actualité la plus brûlante rassemble, chemin faisant, les éternels composants des légendes et des mythes. Dans le cas de l’affaire dite Bettencourt, l’issue, incertaine, est dans les mains de l’appareil de justice auquel s’adjoignent les ressources de l’expertise médicale. Ce qui intéresse Michel Vinaver, c’est le présent mais aussi le passé de cette vaste affaire, ses racines dans l’histoire de France des cent dernières années et ses prolongements où l’intime, le politique et l’économique se mêlent indissolublement.
Chute d’une nation / Y. Reuzeau
Vampel, député de l’Union de gauche resté jusque-là en retrait, est amené à se présenter aux élections présidentielles primaires, alors même que ses chances de l’emporter sont quasi nulles. C’est sans compter les aléas de la vie politique et de la Fortune. Le candidat et son équipe, Weider, son directeur de campagne, Hélène Porémon, sa porte-parole, Elsa Speranza, sa directrice de la communication, viennent de mettre le doigt dans un engrenage dont l’issue est bien plus grave qu’ils n’auraient pu l’imaginer. Chute d’une nation est une série passionnante, mais une série théâtrale, qui fait l’apologie du spectacle vivant et invite les spectateurs à mesurer la fragilité de notre démocratie.
Bande dessinée
Glenn Gould, une vie à contre-temps, Sandrine Revel
Cette biographie très personnelle retrace la vie du célèbre pianiste canadien pour tenter de comprendre sa personnalité cachée et en percer le mystère… Pourquoi a-t-il arrêté si brutalement sa carrière de concertiste ? Pourquoi est-il devenu une des premières figures de l’ère médiatique à vouloir disparaître ? Sandrine Revel met tout son talent au service de cette peinture magnifique d’un génie au mal-être tangible.
On retrouve dans le dessin la richesse et la sensibilité particulière de Jung, qui avaient déjà fait le succès de sa trilogie autobiographique : ici il nous livre un récit en forme de puzzle d’une grande émotion qui mêle avec brio la grande histoire et les secrets de famille
La cavale du docteur Destouches, Gaëtan Brizzi, Paul Brizzi, Christophe Malavoy
Alors que Paris est bombardée, le docteur Destouches, Lucette et leur chat Bébert quittent le pays. Une adaptation surréaliste et passionnante de la trilogie de l’écrivain Céline hautement autobiographique.
Peau neuve, Elise Griffon
La rudesse des rapports sociaux au collège qui bouscule un mode de vie atypique, le tout en pleine poussée d’adolescence : Élise Griffon a choisi un terrain sensible pour cette première fiction (autobiographique ?) autour des affres de l’adolescence.
Matsumoto, L-F Bollée, P. Nicloux
Après Terra Australis, Laurent-Frédéric Bollée et Philippe Nicloux livrent un nouveau roman graphique passionnant et en couleurs. Un récit vrai de l’attentat de Matsumoto et des agissements de la tristement célèbre secte Aum, pour se souvenir et surtout tenter de comprendre l’incompréhensible.
…Cet article est modestement dédié à David Bowie (oui, il est mort), qui fictionna sa vie avec génie et sublima avec une élégance folle le Réel.
David Bowie
Partager cet article