Allen Ginsberg : inclassable beatnik

- temps de lecture approximatif de 8 minutes 8 min - Modifié le 16/03/2017 par gjoly

Poète majeur du XXème siècle, figure incontournable de la contre-culture américaine et du mouvement de la Beat Generation, bouddhiste pratiquant et photographe amateur, Allen Ginsberg (1926-1997) est d’un éclectisme sans limite. Alors qu’on s’apprête à célébrer, le 05 avril prochain, les vingt ans de sa mort, retour sur un phénomène des lettres américaines.

Allen Ginsberg
Allen Ginsberg

Ginsberg, l’atypique

Allen Ginsberg occupe une place prépondérante dans la culture américaine d’après-guerre : poète acclamé de sa génération, il est aussi l’un des membres fondateurs du mouvement littéraire et artistique de la Beat Generation, aux côtés notamment de Jack Kerouac et William S. Burroughs.

Fils cadet de Louis Ginsberg, poète et professeur d’anglais, et de Naomi Levy Ginsberg, militante communiste, il passe son enfance dans la petite ville de Paterson dans le New Jersey.

Encouragé par son père, il se lance dans des études de Droit à l’Université Columbia de New-York. C’est là qu’il se liera d’amitié avec Jack Kerouac, William S. Burroughs et Neal Cassady et que se dessineront les prémisses de la Beat Generation.

Ginsberg à l’époque de l’université

Mouvement de contre-culture américaine, la Beat Generation revendique une nouvelle forme d’expression artistique libertaire et révolutionnaire, où l’homme serait partie intégrante du cosmos. Les artistes Beatniks prônent un attachement particulier à la nature et aux grands espaces américains, ainsi qu’à la musique underground Jazz et Pop de l’époque, en passant par l’expérimentation des drogues et du spirituel chamanique. Ces aspirations leur permettent d’acquérir un rôle majeur dans la culture américaine des années 1950 à 1970, et favorisent pour chacun d’eux un travail artistique d’une créativité débordante. Ainsi, Ginsberg et ses pairs sont les instigateurs de la libération sexuelle et du nouveau mode de vie de la jeunesse des années 1960. Ils inspirent notamment le mouvement de Mai 68 et la protestation contre la guerre du Vietnam.

Paru en 1956, Howl le premier recueil de Ginsberg, attise les passions au sein de l’Amérique puritaine : Howl, long poème en prose à la tonalité ironique et au langage cru, est considéré comme le manifeste du mouvement beatnik. Condamné par les autorités lors de sa parution, Ginsberg est attaqué en procès pour obscénité et le recueil emblématique est alors interdit de publication. Aujourd’hui, Howl demeure l’une des œuvres les plus étudiées en Amérique, et unanimement acclamée.

Encouragé par ce premier succès, Allen Ginsberg publiera par la suite bon nombre de recueils jusqu’à sa mort en 1997. Parmi les plus célèbres, on retient Kaddish (1961), qu’il écrit en mémoire de sa mère Naomi décédée cinq ans plus tôt, et les Souffles d’esprit (1978) qui seront rassemblés avec l’Ôde plutonienne (1982) dans leur édition française parue en 1994.

La mort de sa mère Naomi bouleverse sa vision du monde : internée dans des hôpitaux psychiatriques, elle subit de lourds traitements, notamment une lobotomie qui était encore considérée à l’époque comme un moyen de « soigner » les patients. Suite à ce drame, Allen Ginsberg s’insurgera contre cette société qui rejette toute différence, et décide d’embrasser cette marginalité dans sa vie quotidienne en se moquant du conformisme occidental : cette vision ouverte sur le monde se répercutera sur son œuvre, tout en veillant à cultiver une ouverture d’esprit atypique pour son époque.

Ginsberg, l’actuel

Mais outre son appartenance au mouvement de la Beat Generation et son œuvre poétique foisonnante, le personnage de Ginsberg lui-même est intéressant à reconsidérer aujourd’hui, tant il incarne le visage d’une « autre Amérique », comme le décrit très justement Jean Portante dans sa biographie parue en 2007.

En effet, Allen Ginsberg cherchait à se libérer du carcan des conventions d’une Amérique encore très pudibonde mais qui n’allait pas tarder à être secouée par la libération culturelle et sexuelle amorcée dans les années soixante.

Ginsberg incarne à lui-même toute une époque, dans ses doutes, ses révoltes et ses revendications. Il se pose en figure de la contre-culture américaine et inspire le mouvement hippie, en revendiquant le principe de protestation non-violente connue sous le nom de Flower Power.

Deux grandes figures beatniks : Ginsberg et Kerouac.

Issu de l’immigration juive, homosexuel affirmé, il se fait porte-parole de ces minorités opprimées dans l’austère Amérique d’après-guerre, revendiquant pour ces dernières une véritable liberté d’expression.

Un anticonformiste dont les positions demeurent toujours d’actualité dans l’Amérique d’aujourd’hui.

Ginsberg, le pluriel

Ce qui nous frappe dans l’œuvre de Ginsberg, c’est sa pluralité : durant cinquante ans il n’a cessé d’enrichir une poésie qui, si elle se lit, et surtout faite pour l’oral.

Ginsberg revendiquait une poésie spontanée et déclamée, multipliant les occasions de la réciter lui-même, lors de grands rassemblements artistiques et littéraires, ou plus opportuns, lors des protestations contre la guerre du Vietnam et autres manifestations.

Mais Allen Ginsberg fût aussi photographe à ses heures perdues. En cela il s’inscrit en témoin de son temps, n’hésitant pas à immortaliser ses compagnons de route, comme Jack Kerouac, William S. Burroughs, Neal Cassady ou encore le poète Gregory Corso. Des tirages devenus de grands classiques, nous faisant entrer dans l’intimité de ce groupe naissant qu’était alors la Beat Generation, aujourd’hui symbole de toute une philosophie de vie.

Le bel ouvrage Souvenirs de la Beat Generation : photographies d’Allen Ginsberg publié chez Hoëbeke, regroupe toutes ces photos complétées de notes manuscrites du poète.

A écouter : une lecture de Howl par Allen Ginsberg lui-même.

Ginsberg… et les autres

Lire Allen Ginsberg c’est prendre le risque de partir à la découverte des auteurs de la Beat Generation et des maîtres qui les ont inspirés.

Si vous voulez tenter l’aventure voici quelques suggestions de lecture :

Parmi les poètes qui ont inspirés Ginsberg on retiendra Walt Whitman et William Blake, ainsi que ses contemporains William Carlos Williams et Franck O’Hara.

Du côté des écrivains, il se revendique héritier de la philosophie d’Henry David Thoreau et de la prose de d’Herman Melville.

Enfin comment ne pas évoquer les figures de Jack Kerouac et de William S. Burroughs, qui sont au roman ce que Ginsberg est à la poésie : des rebelles incontournables, des classiques ‘So beat’.

 

William Blake, Chants d’innocence et d’expérience, 1789-94.

Herman Melville, Moby Dick, 1851.

Henry david Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, 1854.

Walt Whitman, Feuilles d’Herbe, 1855.

Jack Kerouac, Sur la route, 1957.

Franck O’Hara, Méditations dans l’urgence, 1957.

William S Burroughs, Le festin nu, 1959.

William Carlos Williams, Paterson, 1963.

 

Ginsberg… et ses doubles

Un tel personnage ne pouvait être qu’une source d’inspiration pour la fiction. On dénombre plusieurs apparitions de Ginsberg en tant que protagoniste dans la production artistique et littéraire :

Dans les romans de Jack Kerouac on le retrouve ainsi sous les traits de Carlo Marx dans Sur la Route, et sous ceux d’Alvha Goldbook dans Les Clochards Célestes.

Dans son autobiographie Just Kids, la chanteuse et poète Patti Smith raconte avec beaucoup d’humour sa première rencontre avec Allen Ginsberg. Croyant aborder un jeune homme séduisant, Ginsberg lui avait offert, alors qu’elle était sans le sou, un petit-déjeuner. Avant de se rendre compte de sa méprise… Pour l’anecdote Patti Smith s’inspirera de Howl,  pour écrire son poème – devenu chanson- Spell.

 

Allen Ginsberg entouré de Patti Smith et du poète Carl Solomon à gauche et de Burroughs à droite.

Plus récemment Ginsberg apparaissait sous les traits d’un bison dans la bande-dessinée Blacksad. Dans les tomes 3 et 5 de la somptueuse BD animalière, il endosse le rôle d’un bison aussi hirsute que rebelle. A noter que Kerouac et Burroughs sont également de l’aventure, l’un déguisé en lion tourmenté, l’autre en flamant rose dandy.

Sur les écrans, James Franco lui prête ses traits dans le film télévisé Howl (2012) qui revient sur la période sulfureuse de la vie de Ginsberg à l’époque de la publication de son fameux poème.

James Franco dans Howl

Deux ans plus tard au cinéma, Tom Sturridge endossera le rôle de Carlo Marx – alter-ego de Ginsberg – dans l’adaptation de Sur la route par Walter Salles.

Enfin comment ne pas évoquer Paterson, le film de Jim Jarmusch sorti sur les écrans en décembre 2016, qui se déroule dans la ville natale d’Allen Ginsberg et de William Carlos Williams, dont les figures surgissent au détour d’une conversation.

 

Découvrir l’œuvre d’Allen Ginsberg :

 

Iron Horse, Le livre à venir, 1985.

Souffles d’esprit, Christian Bourgeois, 1994.

Linceul blanc, Christian Bourgeois, 1994.

Cosmopolitan Greetings, Christian Bourgeois, 1996.

Howl and other poems, Christian Bourgeois, 2005.

Kaddish, Christian Bourgeois, 2005.

Lettres choisies : Allen Ginsberg, Gallimard, 2013.

Correspondance : Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Gallimard, 2014.

 

 

Bibliographie

Sur Allen Ginsberg :

Allen Ginsberg : l’autre Amérique, Jean Portante, Le Castor astral, 1999.

Hurler de joie : la vie d’Allen Ginsberg, Graham Caveney, Editions mille et une nuits, 1999.

Allen Ginsberg : poète et bodhisattva beat, Gilles Farcet, Editions du Relié, 2004.

 

Sur la Beat Generation :

La Beat Generation : la revolution hallucinée, Alain Dister, Gallimard, 1997.

The Beat Generation, collectif, Flammarion, 2005.

Beat Generation : New-York, San-Francisco, Paris, sous la dir. de Philippe-Alain Michaud, Centre-Pompidou, 2016.

Souvenirs de la Beat Generation : les photographies d’Allen Ginsberg, Sarah Greenough, Höebeke, 2016.

 

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