Sélection hivernale (4/4)

Episode 4 - Bande dessinée

- temps de lecture approximatif de 8 minutes 8 min - Modifié le 04/01/2018 par Yôzô-san

Le département Langues et Littératures vous propose la quatrième partie de sa sélection de lectures hivernales, consacrée à la bande dessinée.

Sélection hivernale
Sélection hivernale

 

La malédiction de Gustave Babel, Gess

Ce roman graphique dense et fascinant est le premier récit des Contes de la Pieuvre. Gess, le dessinateur des Brigades chimériques, délaisse ici le scénariste Serge Lehman pour se lancer seul dans ce nouveau cycle, qui approfondit l’univers de l’œuvre mère.
Sur la base d’une uchronie steampunk située entre la fin du 19e siècle et les années 1920, l’histoire prend la tournure d’un thriller doublé d’une quête identitaire,  à la fois haletant et poétique.
«La Pieuvre» est une discrète mais puissante mafia parisienne distribuant des contrats à un panel de tueurs bénéficiant de pouvoirs particuliers. C’est le cas de Gustave Babel, amnésique polyglotte, assailli par des cauchemars récurrents et passionné par la poésie de Baudelaire. Dans cet épisode, on le suit à la poursuite de cibles qui lui échappent, à l’image de son propre passé, entre les bas-fonds parisiens et l’Angleterre, l’Egypte et l’Argentine,  au fil d’un album constellé de surprises et de révélations. Les personnages sont riches et hauts en couleurs, le graphisme et la mise en scène époustouflants, et le tout est  nourri de multiples références liées à la culture populaire. Du grand art ! C’est avec impatience que l’on attend de rencontrer les autres tueurs de «la Pieuvre».

 

Le premier homme, Jacques Ferrandez

Voici une très belle adaptation de l’œuvre de Camus qui part à la recherche de ses origines, un voyage qui emmène au cœur même de son enfance algérienne.
Exhaustif mais sans jamais tomber dans l’écueil du pédagogisme, cet album est une véritable odyssée temporelle et émotionnelle à travers les souvenirs de l’écrivain. Différents lieux et moments historiques scandent la narration, ce qui permet de saisir en filigrane la formation intellectuelle et le vécu de Camus ainsi que son ressenti (le rôle de sa mère taiseuse, effacée, l’Algérie et le poids de l’Histoire, son père fauché par la Grande guerre, l’apprentissage scolaire et le rôle de l‘instituteur, etc).
Du très bel ouvrage !

 

Opération Copperhead, Jean Harambat

En mai 1944, un sosie du maréchal Montgomery, le chef d’état-major britannique, s’envole pour Gibraltar et l’Afrique du Nord à bord de l’avion privé de Winston Churchill. Sa mission : faire croire aux Allemands que le débarquement aura lieu dans le sud de la France. Cette doublure engalonnée est un comédien australien de second plan, Clifton James. Celui-ci écrira plus tard un livre sur son expérience, qui donnera lieu ensuite à un long-métrage. Ce sera son seul titre de gloire cinématographique. Pour restaurer sa mémoire, Jean Harambat n’a pas lésiné sur les moyens en convoquant deux monstres sacrés du ciné : David Niven et Peter Ustinov.
Opération Copperhead relate la mise en œuvre du subterfuge imaginé par l’Intelligence Service en s’appuyant sur des dialogues pince-sans-rire et un traitement graphique très réussi. Inattendu, rocambolesque à souhait, et avec ce charme désuet qui rappelle les belles heures du cinéma anglais. Coup de cœur total !

 

Panama Al Brown, Alex W. Inker

« Panama Al Brown est une figure oubliée du Paris des années 30 qui a subi les pires attaques parce qu’il était noir et homosexuel. Rapidement tombé dans l’oubli, j’ai donc créé sa biographie à partir des éléments que j’ai pu trouver mais il y a des éléments restés dans l’ombre comme sa relation amoureuse avec Cocteau. » Alex W. Inker
Pari réussi pour l’auteur de cette bande dessinée qui restitue toute une époque dans un noir et blanc splendide : en faisant la lumière sur le parcours de Panama Al Brown, Alex W. Inker montre, sans jamais tomber dans un pathos facile, les affres de la vie d’un boxer qui connut la lumière puis le chagrin.
Documenté et subtil, Panama Al Brown est un cri du cœur qui ne laissera pas indifférent.

 

Les reflets changeants, Aude Mermilliod

Cette chronique intimiste et sociale suit le parcours croisé de trois personnages ordinaires (Alisa, 22 ans, Jean, 53 ans et Emile, 79 ans). Chacun d’eux est mal dans sa peau et rêve d’échapper à une situation qui  l’entrave. Il leur arrive de se croiser sans se voir jusqu’au jour où un événement les rassemble accidentellement.
Ces individus et leur entourage sont rendus attachants par l’observation fine qu’en fait la jeune auteure soutenue en cela par un dessin clair et délié.
Il est important de préciser que le personnage d’Emile est inspiré du grand-père d’Aude Mermilliod, Pied-noir marqué à vie par la guerre d’Algérie et dont le journal sert de toile de fond au récit.

 

La saga de Grimr, Jérémie Moreau

Ce superbe album s’inscrit dans la tradition islandaise des sagas : récits de la  vie et des exploits de figures illustres et héroïques.
Grimr, le jeune héros, est orphelin. Il ne connaît pas le nom de son père, ce qui est une tare dans la culture islandaise où chacun se définit par sa filiation. Enfant, il est recueilli par un paria qui l’élève comme son fils, lui apprend à se débrouiller pour vivre et l’informe qu’il est nécessaire de mourir avec une bonne réputation, afin d’atteindre une forme d’éternité par le souvenir laissé à la communauté. À la disparition prématurée de son mentor, Grimr, maintenant un colosse, décide de devenir le plus grand héros de saga de l’histoire islandaise…
Sans effets et avec simplicité, la narration des aventures édifiantes, picaresques et tragiques de Grimr exprime avec force la rudesse des habitants et de la vie de cette île nordique à un moment charnière de son histoire et, grâce au dessin au pinceau noyé de couleurs, magnifie la beauté époustouflante et vénéneuse des paysages islandais. La nature et la puissance invincible des éléments, omniprésents, constituent la solide matrice de ce récit.

 

Intempérie, Javi Rey

Cette adaptation du roman éponyme de l’Espagnol Jésus Carrasco (récompensé en 2016 par le Prix de Littératures Européennes de Cognac en 2016) narre le périple d’un jeune garçon fuyant la violence du foyer paternel. Recueilli par un vieux berger ambulant, le jeune protagoniste doit pourtant sans cesse échapper à la perversité de poursuivants sans pitié, aussi arides que la terre qui les porte.
Le dessin, d’une grande lisibilité va à l’essentiel, tout comme la narration dont le rythme lent laisse sourdre, à travers chaleur et poussière, l’angoisse et l’éveil du protagoniste jusqu’au dénouement de ce rude voyage initiatique.

 

Ornithomaniacs, Daria Schmitt

Ce conte au beau graphisme noir et blanc proche de la gravure narre les tribulations d’une jeune fille affublée de deux embryons d’ailes. Souhaitant échapper à la convoitise de sa mère qui cherche à  en faire un objet médiatique, elle souhaite se faire opérer mais elle se retrouve dans la sombre demeure d’un inquiétant docteur, collectionneur de curiosités ornithologiques.
Fable sur la différence et réflexion sur la liberté, l’histoire évolue dans un  univers riche et troublant qui n’est pas sans rappeler, tant par la forme que par l’esprit, les Cités obscures de Schuiten et Peeters ou La fille maudite du capitaine pirate de Jeremy Bastian. Au-delà de ces références, l’auteure parvient à créer un univers très personnel, nourri de la poésie onirique qui tapisse les méandres de l’inconscient.

 

Le voyageur, Koren Shadmi

Ce roman graphique est constitué d’épisodes apparemment indépendants, liés par un élément commun : le personnage du Voyageur. Solitaire, celui-ci se déplace (au hasard ?) dans un pays (l’Amérique ?) en pleine déliquescence. Il est doté de pouvoirs dont le principal semble être l’immortalité, qui lui pèse comme une malédiction dont la cause lui échappe. Chaque chapitre, qui a sa propre dominante chromatique et apparaît dans un ordre chronologique «aléatoire», apporte des éléments pour appréhender le rôle et la personnalité du Voyageur qui, au fil des événements dramatiques auxquels il est mêlé, découvre progressivement, qu’il n’est pas seul de son espèce…
Koren Shadmi, auteur du troublant diptyque Abaddon, poursuit ici avec talent l’exploration de son univers mystérieux et fascinant.

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