Sciences du passé
Vous avez dit paléopathologie ?
Publié le 15/03/2019 à 09:30 - 4 min - Modifié le 14/03/2019 par Silo moderne
Les recherches historiques et archéologiques nous permettent aujourd'hui de bien connaître les sociétés et les modes de vie du passé. Mais que sait-on de la situation des personnes atteintes de lésions invalidantes dans les temps anciens ? Comment connaît-on l'organisation des sociétés ou des communautés dans lesquelles vivaient les personnes atteintes de maladies ou des individus avec des corps différents, des corps "hors normes" ?
L’état de la recherche nous permet de connaître et de comprendre de nombreuses pratiques ayant eu cours dans le passé pour accueillir, réparer, représenter et défendre le handicap et d’en comprendre la lecture. Ainsi, en 2009, l’Unesco organisait un colloque auquel participaient des archéologues, des historiens, des médecins afin de « Décrypter la différence ».
Parmi les sujets abordés dans ce colloque : accueillir un enfant différent dans l’Antiquité ; la trisomie 21 en Grèce et à Rome ; Amputer à la fin du Moyen-Age : une opération barbare ? ; La prothèse : du palliatif à la plus-value, de l’Antiquité à la Renaissance. Les différentes contributions ont donné lieu à un ouvrage : Décrypter la différence : Lecture archéologique et historique de la place des personnes handicapées dans les communautés du passé, par Valérie Delattre
Les sources nous donnent les clés pour comprendre que les individus et les corps dans les sociétés anciennes étaient parfaitement considérés et acceptés : les trépanations effectuées il y a plus de 10 000 ans, dont des traces archéologiques ont été retrouvées dans le Bassin parisien et en Lozère, font figure de prémices de la neurochirurgie, laissant penser que les personnes à qui l’on tenait n’étaient pas nécessairement mises à l’écart.
Aujourd’hui, une discipline méconnue se développe avec les technologies : la paléopathologie.
La paléopathologie est une branche de la médecine spécialisée dans l’étude des maladies et des évolutions dégénératives observées chez les populations du passé. Cette discipline n’est pas encore enseignée spécifiquement : les paléopathologues se forment dans le cadre d’un enseignement médical d’anatomie pathologique ou de médecine légale, soit dans celui d’un enseignement de biologie spécialisée (anthropologie préhistorique ou paléoanthropologie, bioarchéologie)
Elle est donc la discipline scientifique qui consiste en l’étude médicale des restes humains exhumés lors de fouilles archéologiques ou conservés dans des collections. Elle apporte une contribution importante à la connaissance de l’histoire des maladies. En tant que fille de l’archéologie et de l’anthropologie, cette discipline reste confidentielle mais n’est pas récente, comme l’indique cet ouvrage : L’invention de la paléopathologie : une anthologie de langue française (1820-1930)
Un ouvrage récent présente la paléopathologie en axant le propos sur le handicap et l’archéologie : Handicap : quand l’archéologie nous éclaire / Valérie Delattre
Quel était le quotidien d’un individu handicapé ? Était-il pris en charge par les siens ? Rejeté ? Soigné ? Accompagné ? Appareillé ? Aujourd’hui, les progrès de l’archéologie permettent une lecture de plus en plus précise de cette prise en charge des infirmes, des « corps différents », des estropiés, des faibles ou des malades. Et une réflexion collective sur l’accueil de la différence dans les sociétés qui nous ont précédés… qui peut nourrir les débats actuels sur la place du handicap dans nos sociétés contemporaines.
Ces recherches nous donnent l’occasion de mieux comprendre la place de ces corps différents, “hors normes”, vulnérables et nous interroger sur leur statut hier et aujourd’hui : ont-ils été bannis, stigmatisés ou tout simplement acceptés et intégrés dans les sociétés anciennes. Un sujet qui mérite une attention particulière pour ne pas tomber dans le voyeurisme ou la discrimination, sans pour autant verser dans l’empathie exagérée.
Comment approfondir le sujet ?
Corps infirmes et sociétés / Henri-Jacques Stiker
Une histoire raisonnée de l’infirmité et du rapport des sociétés au corps déviant ou diminué, dévoilant les peurs, les rejets, les acceptations selon les cultures. La problématique de l’intégration des personnes handicapées est aussi abordée.
Médecin des morts : récits de paléopathologie / Philippe Charlier
Ce livre nous invite à un voyage dans le temps. Au travers d’une vingtaine d’exemples originaux, il tente de dresser un panorama de la paléopathologie. Parmi les exemples cités, on y trouve l’empoisonnement d’Agnès Sorel et le supplice de Jeanne d’Arc, on étudie une relique médiévale, on apprend de quelle manière les individus anormaux étaient éliminés en Grèce et à Rome… Ainsi, l’étude des cadavres rend les populations du passé bien plus vivantes et plus proches de nous.
Qu’est-ce que la paléopathologie ? Olivier Dutour aborde ici en dix questions simples cette discipline originale, née dans le berceau de la préhistoire et de la paléontologie, fruit de la rencontre des sciences médicales et archéologiques. Destiné aux étudiants de master désireux d’approfondir leurs connaissances dans les cursus en sciences humaines, biologiques, médicales ou de l’environnement, ou simplement curieux de découvrir cette discipline particulière, cet ouvrage est également ouvert à tous ceux qui s’intéressent aux sciences du passé et de la santé.
Corps infirmes et sociétés / Henri-Jacques Stiker
Une histoire raisonnée de l’infirmité et du rapport des sociétés au corps déviant ou diminué, dévoilant les peurs, les rejets, les acceptations selon les cultures. La problématique de l’intégration des personnes handicapées est aussi abordée. D’autres branches de l’archéologie sont aussi peu connues : l’archéologie, l’anthracologie, l’archéozoologie, la céramologie, la géomorphologie, la palynologie, la topographie, la tracéologie, ou encore la xylologie. A découvrir dans le DVD Les sciences de l’archéologie : 19 portaits de spécialistes édité par l’Institut national de recherches archéologiques préventives.
Enfin, ce même institut a organisé un colloque consacré à l’archéologie du soin, « Guérir quelquefois, soulager souvent », dont quelques extraits sont en ligne.
Partager cet article