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Une maquette virtuelle de la Vallée du Gier

Entretien avec Clémentine Périnaud et Lorenzo Marnat dans le cadre des rencontres du cycle « Où va la ville ? »

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 13/10/2025 par ygodde

Clémentine Périnaud, géographe, spécialiste de la géographie historique et sociale des territoires industrialisés en France et Lorenzo Marnat, ingénieur en informatique, membre du laboratoire LIRIS, nous présentent un projet de recherche pluridisciplinaire sur lequel ils ont collaboré dans le cadre du Labex IMU. Leur collaboration s’est notamment matérialisée dans le jumeau numérique de la vallée du Gier. L’enjeu principal de ce projet est de modéliser l’évolution urbaine des territoires industriels de la région de Lyon-Saint-Etienne. Il s’agit de restituer en 3d l’état actuel des villes mais également leurs états passés dans une vision dynamique, en plan et en maquette.

Site internet jumeau numérique de la Vallée du Gier
Site internet jumeau numérique de la Vallée du Gier

Sommaire

Contexte et utilité d’un jumeau numérique

Un jumeau numérique est la représentation en 3D d’un territoire. Bien que Google Earth ait été le premier outil 3D grand public, souvent délaissé par les institutions, la généralisation des « jumeaux numériques » et la facilité d’obtenir des vues 3D ont depuis changé la donne. Cela concerne non seulement les collectivités, mais aussi la recherche en archéologie et en histoire, qui sont devenues des sciences humaines numériques.

Le LIRIS est un laboratoire d’informatique spécialisé dans les données et leur visualisation. Face à la grande quantité de données urbaines produites par les collectivités et les entreprises, le rôle du LIRIS est de proposer des solutions pour transformer ces données brutes en une base de connaissances. Cette base sert ensuite à créer des représentations numériques et 3D de la ville, des bâtiments et des phénomènes urbains.

D’un point de vue informatique, un jumeau numérique est une « copie » du territoire. Il existe plusieurs types de copies, dépendant fortement de l’usage souhaité, avec des textures et des propriétés variées selon la technique utilisée. Il peut servir à la simulation, par exemple pour étudier des flux urbains (circulation) ou l’impact de catastrophes (inondations, incendies). Les services d’incendie peuvent l’utiliser comme simulateur pour répéter leurs procédures d’intervention.

Le jumeau numérique sert également à la médiation, agissant comme un support pour présenter la ville et ses projets urbains à la population. Il permet aussi d’utiliser les données pour produire de la connaissance et comprendre divers aspects de la ville (évolution urbaine, ensoleillement, espaces verts, etc.).

Génération d’un jumeau numérique

Pour générer un jumeau numérique, la donnée géométrique est la plus importante (bâtiments, reliefs, cours d’eau, ponts, etc.), souvent levée par laser.

Lorsque la ville est située sur un relief accidenté, comme les 4e, 5e et 9e arrondissements de Lyon, la principale difficulté est la perte d’information dans les zones escarpées. Les capteurs laser n’arrivent pas à atteindre certaines surfaces car elles sont dissimulées par la végétation ou des bâtiments, ou sont tout simplement inatteignables par le faisceau laser.

Les zones escarpées ont plus de détail
Exemple de modélisation du terrain

Notion de 2,5D pour les élévations

Pour remédier à ces pertes d’information, une solution existante est de faire retravailler les données « à la main » par des experts. Concernant les élévations, la 2,5D est une donnée 2D qui possède une métadonnée de hauteur. Utilisée dans un contexte 3D, elle permet de donner du volume à une surface plane par étirement.

Clémentine Périnaud indique que la 2,5 D est souvent la technique utilisée pour la reconstitution historique, car les bâtiments anciens n’existent plus, comme ce fut le cas pour la Vallée du Gier. Pour alimenter les jumeaux numériques, on peut représenter des réseaux en ligne (routes, fleuves), des données à l’aide de polygones, et utiliser des photos aériennes.

Types de données utilisées

Les données peuvent être diversement représentées : en lignes (pour des réseaux routiers ou hydrographiques), en polygones (pour les zones de construction) ou via l’exploitation de photos aériennes très précises.

La période actuelle est favorable à la généralisation de la 3D grâce à la disponibilité de données et d’outils libres.

La région lyonnaise, un pôle de recherche 3D

Lorenzo Marnat ajoute que la Métropole de Lyon est précurseur, car elle propose en open data un modèle 3D de ses communes depuis 2009, faisant d’elle un terrain privilégié d’expérimentation.

La Vallée du Gier : territoire d’enjeux industriels et urbains

L’intérêt pour la Vallée du Gier tient à ce qu’elle est un terrain à enjeux pour la question industrielle, largement étudiée par des géographes. Ce corridor de 40 kilomètres, encore industriel et très habité, relie le bassin de Saint-Étienne à la vallée du Rhône, s’organisant autour de Rive-de-Gier et Saint-Chamond. La Vallée du Gier est intégrée aux dynamiques métropolitaines de Saint-Étienne et de Lyon.

Le jumeau numérique est pertinent pour comprendre le devenir des espaces productifs intégrés en milieu urbain. Il aide à maintenir l’industrie dans les territoires urbains et à envisager sa participation à la transition écologique et énergétique.

Histoire industrielle, patrimoine et enjeux actuels

Il fallait rendre compte de cette histoire industrielle relativement méconnue et de ses enjeux, en proposant une médiation via le site internet.

Ce territoire est un pôle historique de l’exploitation du charbon et le lieu de développement des premières lignes de chemin de fer en France. Jusqu’au début du XIXe siècle, la vallée était rurale, mais elle fut bouleversée vers 1810 lorsque l’État reconnut un intérêt national à l’exploitation du minerai de charbon stéphanois. L’inauguration de la ligne Saint-Étienne à Lyon en 1832, première ligne accueillant des locomotives à vapeur (Seguin), accéléra l’industrialisation et l’urbanisation du territoire.

Le berceau de l’industrialisation est anglais. Le projet de ligne de train à vapeur des Seguin succéda à une ligne tractée par des chevaux. L’ingénieur des mines Louis de Gallois s’est rendu à Newcastle en Angleterre, berceau du chemin de fer anglais, où il a passé six mois pour observer et répliquer ce modèle en France.

Au début du XXe siècle, le bassin stéphanois s’imposait comme l’un des plus grands centres industriels d’Europe (fondé sur le charbon, la métallurgie, les armes et les tissages). La Vallée du Gier se distinguait par la grande industrie métallurgique, comptant une quarantaine d’établissements. Les usines principales étaient situées à Saint-Chamond (Forges et Aciéries de la Marine), à L’Horme, et à Rive-de-Gier-Châteauneuf (Marrel Frères, puis Industeel).

La géographie industrielle est restée similaire à celle des années 1930, avec une concentration dans les grands groupes (GIAT et Creusot-Loire) dans les années 1970. La liquidation de Creusot-Loire (1984) et la fermeture du GIAT (2006) ont causé une rupture locale et une désindustrialisation brutale dans les années 1980-1990, avec l’apparition de friches et destructions. Malgré cela, un tissu de PME-TPE perdure, comprenant 250 établissements dans la transformation des métaux, la mécanique et les textiles techniques.

Le bilan cartographique montre que deux tiers des surfaces bâties industrielles des années 1980 sont restées en activité, prouvant le maintien de l’industrie. Cependant, un tiers du bâti industriel des années 1980 a été détruit. Simultanément, de nouvelles surfaces industrielles, comme la zone de Stelytec, ont été construites, représentant environ la moitié des surfaces détruites.

La destruction la plus récente et importante est due aux grands projets urbains de Saint-Étienne Métropole qui, ces quinze dernières années, organisent le recyclage patrimonial des paysages industriels historiques au prix d’une destruction massive des bâtiments. Ces destructions ont eu lieu notamment à L’Horme, Saint-Chamond et Rive-de-Gier (ancienne verrerie Duralex).

Recette pour valoriser les données industrielles

Les environnements 3D et les cartes sont des supports cruciaux pour la discussion sur la place de l’industrie et pour le dépôt de connaissance sur ce patrimoine.

La valorisation des données poursuit un double objectif. D’une part, il s’agit de valoriser les données en créant une vue numérique en cartes 3D de l’urbanisation et de l’industrialisation de la Vallée du Gier. D’autre part, le jumeau numérique est utilisé pour raconter l’histoire de la vallée à l’aide de cartes, de données et d’images d’archives.

Pour produire des cartes historiques, on suit souvent une méthode régressive. Cela consiste à partir d’un modèle actuel (plan ou 3D) pour remonter le temps en reconstituant les bâtiments disparus. Ce travail nécessite la mobilisation d’un grand nombre de cartes et plans d’archives. Pour la Vallée du Gier, des référentiels historiques ont été produits pour quatre périodes chronologiques clés : milieu XIXe, années 1930, années 1980 et aujourd’hui.

Les sources mobilisées incluent le cadastre napoléonien de 1825 (XIXe siècle), ainsi que les plans cadastraux de Saint-Chamond (1880) et Rive-de-Gier (1840) pour localiser les usines. Pour le XXe siècle, des campagnes aériennes (orthophotos de 1942 et 1981) et des plans d’autorisations sont utilisés. Les élévations sont définies de manière arbitraire par la moyenne des hauteurs du bâti existant à cette époque, en distinguant le bâti industriel de l’indifférencié.

Bien que les plans d’archives soient précis, ils ne sont pas exempts d’erreurs, pouvant contenir des projets envisagés mais non réalisés. La marge d’erreur est cependant maîtrisée et marginale à l’échelle d’une vallée. Le plus difficile est de maîtriser le relief lorsque le terrain a été très transformé (par remblaiement pour l’autoroute, marais asséchés ou crassiers). Le relief de base est donc celui du modèle numérique d’aujourd’hui, ce qui garantit une meilleure précision sur les bâtiments et les infrastructures.

Les monuments figurés sont les industries et fabriques.
Plan monumental de Saint-Chamond (1895)

D’autres sources, comme le plan monumental de Saint-Chamond (1895) où les industries sont les monuments remarquables, sont mobilisées.

LA VALLÉE DU GIER ENTRE LYON ET SAINT-ÉTIENNE,UN HAUT-LIEU DISCRET DE L'INDUSTRIE EN FRANCE : Le territoire raconté
Site du jumeau numérique

Le jumeau numérique final est un site internet qui représente la Vallée du Gier en relief 3D. L’onglet « Carte des industries » contient les données des quatre époques clés, superposables, où les filières industrielles peuvent être affichées par aplat de couleurs. Les parcours guidés permettent de lire des récits de recherche et d’accéder à des contenus documentaires et des images d’archives via des points d’intérêt.

Les jumeaux numériques sont une technologie qui se répand, essentielle à l’étude de la ville. Le Labex IMU et le LIRIS ont mené d’autres projets conjoints, tels que le jumeau numérique d’un site industriel de Vénissieux (étudiant son évolution depuis 1950). Le Flying Campus, un autre jumeau numérique, est utilisé pour échanger sur les projets de la Ville. Un troisième exemple est l’utilisation de maquettes tangibles (en Legos) pour interagir avec la maquette numérique.

Le Labex IMU (Intelligence des Mondes Urbains) rassemble des chercheurs autour des problématiques urbaines, incluant le LIRIS, des géographes et des historiens. Parmi d’autres initiatives lyonnaises, il y a la modélisation en 3D du site antique des arêtes de poisson. Ce projet permet aux chercheurs de comprendre l’usage de ce site et offre au grand public la possibilité de l’explorer.

Questions du public

Articulation entre jumeaux numériques et BIM ?

Le BIM (Building Information Modeling) est une donnée 3D détaillée représentant un bâtiment avec toute sa documentation métier (réseaux, climatisation, etc.). Il serait pertinent pour passer d’une très grande échelle à l’échelle du bâtiment, voire de son intérieur. Cependant, le BIM n’a pas été utilisé pour le jumeau numérique de la Vallée du Gier, car il n’était pas disponible et n’est généralement pas utilisé dans les projets patrimoniaux.

Collaboration avec l’agence EPUR ?

Le projet a été mené sur une temporalité très courte (1 an), ce qui a rendu les mobilisations partenariales difficiles. L’agence EPUR était représentée indirectement par Christelle Morel-Journel pour des entretiens. La collaboration s’est concentrée principalement avec la Délégation de la Recherche de la Métropole de Saint-Étienne, présente pour délivrer de l’information.
Lyon a joué un rôle précurseur en matière de représentation 3D de l’urbanisme. Un projet expérimental mené dès l’an 2000 par le service de l’aménagement urbain de la Ville de Lyon a modélisé le quartier de La Duchère. Ce projet constituait une préfiguration d’un jumeau numérique et d’un SIG 3D, réalisé à une époque où la technologie n’était pas mûre pour un déploiement facile et abordable. Cependant, même si le BIM n’est pas encore d’usage en humanités numériques, l’open data et les applications libres démocratisent aujourd’hui le recours à la 3D.

Revoir l’entretien

Voir aussi les entretiens précédents de la série Où va la ville – Datas

#1 Le métavers Second Lab : un outil pour projeter la ville de demain

Prochain événement du cycle des rencontres Où va la ville – Datas

#3 Le virtuel au secours des arêtes de poisson – Mercredi 3 avril 2024 18h30-20h30

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