La Ville la nuit… Quelle métropole nocturne pour les Lyonnais ? 1/2
Entretien avec Nicolas Chausson
Publié le 30/06/2023 à 10:20 - 6 min - Modifié le 23/11/2023 par dcizeron
Nicolas Chausson, chargé d’étude Urbanisme à l’Agence d’urbanisme de l’aire métropolitaine lyonnaise nous parle de Lyon la nuit, une temporalité qui nous fait appréhender si différemment la ville.
Certaines représentations de la nuit sont largement partagées, d’autres sont plus personnelles ou limitées à des groupes. Dans votre thèse “Penser la “métropole nocturne” : entre tensions, risques et opportunités : une première approche des nuits de la métropole lyonnaise à travers le concept de qualité de vie“ vous avez essayé de rassembler ces représentations de la nuit lyonnaise.
Nicolas Chausson : La nuit urbaine contemporaine est empreinte d’une double représentation entre animation et apaisement de la ville. Si de tout temps, la nuit est attachée au sommeil et à l’obscurité c’est aussi aujourd’hui une temporalité associée à la fête, une temporalité plus animée. Aujourd’hui tout territoire doit composer entre ces deux versions de la ville.
La nuit symbolise aussi une forme de lâcher prise avec la routine et la surabondance du quotidien. On a des journées de plus en plus denses, où l’on doit faire un maximum de choses en un minimum de temps. Comme le dit l’expression consacrée : le temps c’est de l’argent. On assiste à une densification des activités au sein du quotidien. La nuit je vais pouvoir lâcher prise d’avec le travail, d’avec les impératifs familiaux. Je vais pouvoir retrouver du temps pour moi pour me ressourcer, pour me reposer, que ce soit dans des activités ludiques ou festives ou dans le cadre du silence d’un logement réconfortant.
Durant mes années de recherches, j’ai interrogé plusieurs personnes que j’aime bien citer. Une de ces personnes m’a dit : « la nuit c’est la deuxième partie de ma vie ». « Le jour les rapports sociaux sont basés sur ta profession, sur ce que tu fais dans la vie. La nuit on s’en fout un peu, on est plutôt dans le contact humain. C’est quelque chose de plus fort ».
Ces rapports à la nuit, en particulier urbaine, ne s’observent pas qu’à Lyon. Il s’observe aussi dans d’autres territoires. La nuit est vraiment une forme d’envers de la ville ; elle porte d’autres symboliques.
Qu’est-ce que la nuit ? Comment la borne-t-on ? Et est-ce un temps homogène ?
Nicolas Chausson : Souvent on me pose cette question. Ma réponse est soit : « ça dépend », soit : « je ne sais pas ». Historiquement, la nuit est associée à un temps lié à l’obscurité et à l’arrêt des activités. Mais au final, aujourd’hui, les activités économiques grignotent de plus en plus des heures tardives. Avant les commerces fermaient à 18h30-19h mais maintenant, c’est 21h-22h-23h. Certains commerces sont même ouverts 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Vous voyez cela change la relation au temps.
La nuit est devenue un véritable espace urbain où des activités se développent de plus en plus. Alors, forcément la définition de la nuit n’est plus si évidente. Tout d’abord, parce que la nuit à Lyon n’est peut-être pas la même que celle que l’on va décrire par exemple à Stockholm ou dans le nord de l’Europe, où l’on n’a pas la même relation à la nuit. On n’aura pas, non plus, la même relation à la nuit à Lyon que dans des villes du Sud comme à Barcelone ou Séville où il fait plus chaud et où les activités sociales en soirée se font de manière plus tardive qu’en France.
Le rapport au temps est vraiment très important pour définir la nuit. La nuit va aussi dépendre des saisons. La nuit en hiver ou la nuit en été, on ne va pas faire les mêmes choses. Enfin, cette définition va dépendre aussi des jours de la semaine. Une nuit du lundi ne va pas être la même qu’une nuit du samedi soir par exemple.
En croisant les données que j’ai pu trouver à l’échelle locale, j’ai tout de même essayé de dégager une première représentation de ce que pourrait être la nuit lyonnaise. On pourrait dire qu’à Lyon, la soirée commencerait vers 19 heures et se terminerait vers 23h. A 23 heures, on commence à passer de la fin de soirée au début de la nuit, avec un cœur de nuit qui serait plutôt vers 2-3h du matin. Vers 4-5h, on sortirait progressivement de la nuit pour rentrer dans un premier cycle de jour, celui des lève-tôts.
Vous décrivez une temporalité propre à la nuit lyonnaise. Est-ce que vous pourriez revenir sur ses autres particularités, en particulier une appropriation du territoire qui est très différente du jour ?
Nicolas Chausson : J’aime souvent dire qu’une ville de nuit est une autre ville. Vous avez le côté pile : le jour, et face : la nuit. On l’a dit, la nuit, c’est une autre symbolique mais c’est aussi une géographie complètement reconfigurée. Les territoires de la ville la nuit ne sont pas les mêmes que les territoires de la ville le jour. Plus on avance dans la nuit, plus on a cette impression que le centre-ville se rétracte autour de son noyau historique. Des quartiers que l’on connaît tous : le quartier du Vieux Lyon, le quartier autour de Bellecour et des Terreaux, les pentes de la Croix-Rousse demeurent même au cœur de la nuit, les territoires les plus actifs de Lyon… même si cette animation est concentrée autour de quelques établissements.
En matière d’activités, la nuit ne propose qu’une offre segmentée et spécialisée, vous ne trouvez pas, la nuit, la même offre que le jour. Que reste-t-il comme offre ? La culture et puis la fête qui représentent de plus en plus des secteurs économiques structurés. Mais la majorité des commerces sont fermés. On est dans une ville qui est quelque part amputé de ses fonctions traditionnelles du jour. Vous ne trouvez pas dans la nuit la même densité ni la même diversité de population que le jour. En général, plus vous allez avancer dans les heures de la nuit, plus la population est jeune et plus la part des femmes diminue dans l’espace public.
La nuit est devenue un objet politique pour les villes. Comment et à partir de quand les ville se sont-elles emparées de la nuit pour améliorer leur image, donner une image de villes festives et animées ?
Nicolas Chausson : Cela a commencé il y a 20 ou 30 ans, au moment où il s’est passé quelque chose de très important : le processus de décentralisation. Les collectivités sont devenues en quelque sorte maîtresses de leur destin et compétentes pour élaborer leur propre stratégie de développement. Cette décentralisation intervient parallèlement à la construction européenne et à la mondialisation, dans un climat de concurrence croissante entre les villes.
La nuit est alors apparue comme un des éléments, un des ingrédients sur lequel certaines villes ont essayé de miser pour se différencier et pour montrer qu’elles étaient des villes rayonnantes, des villes attractives, des villes culturelles. Le développement de la Fête des Lumières, le développement des Nuits Sonores ou les grands événements culturels participent par exemple au rayonnement de Lyon. D’une manière générale, aujourd’hui, une ville qui se veut internationale, attractive, dynamique – c’est presque des mots anciens maintenant puisque l’on est plutôt dans la ville résiliente et sobre mais tous ces mots qualifiait bien la ville dans les années 2000-2010 – une ville qui se veut attractive et dynamique aujourd’hui peut difficilement dire : « je ne veux pas proposer une certaine forme de dynamisme nocturne ».
La suite de l’entretien à suivre ici : La Ville la nuit… Quelle métropole nocturne pour les Lyonnais ? 2/2
Pour aller plus loin
Jean-Michel Deleuil, Lyon, la nuit : lieux, pratiques et images, Presses universitaires de Lyon, Lyon, 1994
Luc Gwiazdzinsk, Penser la nuit : les nouvelles frontières de la ville, Ed. de l’Aube, La Tour-d’Aigues, 2005.
s. dir. Luc Gwiazdzinski, La ville 24 heures sur 24 : regards croisés sur la société en continu, Ed. de l’Aube, La Tour-d’Aigues, 2003.
La nuit en question(s), colloque du Centre culturel international de Cerisy-la-Salle, Ed. de l’Aube, La Tour-d’Aigues, 2005.
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