Le métavers Second Lab : un outil pour projeter la ville de demain

Entretien avec Anthony Angelot dans le cadre des rencontres du cycle "Où va la ville ?"

- temps de lecture approximatif de 15 minutes 15 min - Modifié le 28/03/2024 par ygodde

Anthony Angelot, directeur de projets innovation à Erasme - laboratoire d'innovation de la Métropole de Lyon, nous parle de la démarche de l’Urban Lab et de son métavers Second Lab. Derrière l'expression "ville intelligente" se cachent des lieux d’expérimentation du futur urbain qui proposent une voie complémentaire et participative à la planification urbaine. L’enjeu c’est représenter le futur à l’aide des données d’aujourd’hui pour expérimenter la ville de demain et permettre aux citoyens d'anticiper sur les nuisances inhérentes à la concentration urbaine, de rationaliser l'occupation du sol et de tester des projets.

Fly through SecondLab
Fly through SecondLab
Anthony Angelot, vous êtes directeur de projet innovation à Erasme. Pouvez-vous nous présenter votre organisation, ses missions et son positionnement dans le domaine des smartcities et de l’open data ?

Anthony Angelot : Je suis directeur de projet à Erasme, laboratoire d’innovation ouverte de la métropole de Lyon. Tout d’abord, je dois préciser les missions de la Métropole de Lyon avant de parler des missions spécifiques d’Erasme.

La métropole de Lyon, créée en 2015, regroupe 24 grandes compétences de la communauté urbaine et du département du Rhône. Parmi ces missions figurent l’éducation, la santé, les solidarités, la voirie, la gestion des déchets, l’aménagement de l’espace public, etc.
Cette collectivité territoriale regroupe 9500 agents. C’est une des plus importantes collectivités territoriales françaises.

Que fait la Métropole de Lyon ?
Pourquoi faire de l’innovation dans une collectivité ? Dans quel but créer un laboratoire d’innovation ?

Anthony Angelot : Le premier enjeu est d’assurer la continuité du service public face aux crises de plus en plus fréquentes. Le service public doit pouvoir s’adapter face aux crises (sanitaire, réchauffement climatique, érosion de la biodiversité). Cette adaptation doit être possible quelque soient les conditions extérieures.
Le deuxième enjeu est l’adaptation aux nouveaux besoins des usagers sans accroître la fracture numérique. Ces nouveaux usagers ont besoin de plus de réactivité. Ils sont habitués aux services numériques privés qui offrent des niveaux de personnalisation et de réactivité très forts.
En général, notre travail consiste à mobiliser les avancées technologiques mises en œuvre dans le secteur privé pour l’intérêt général.

Deux définitions pour restituer le cadre de l’innovation :

Smartcity : capacité d’une ville à utiliser les technologies de l’information et de la communication (TIC) pour améliorer la qualité des services urbains ou réduire leurs coûts. Une ville intelligente est une zone urbaine qui utilise différents capteurs électroniques de collecte de données pour fournir des informations permettant de gérer efficacement les ressources et les actifs.
Exemple : application de covoiturage

Smartcity est un terme récent, galvaudé et tombé en désuétude en Europe car il incarne une conception très techno centrée. Cette conception part de la technologie et non pas des besoins. L’imaginaire collectif perçoit la smart city comme un dispositif technique qui consiste à installer des capteurs partout.
L’optique s’est inversée aujourd’hui au nom de la sobriété numérique et pour l’optimisation des services mis à la disposition réelle des habitants. Désormais, il est question de territoires intelligents qui placent les besoins des usagers en priorité. Les territoires intelligents utilisent les données pour répondre à ces besoins.

Open Data : données numériques dont l’accès et l’usage sont laissés libres aux usagers, qui peuvent être d’origine privée mais surtout publique. Elles sont diffusées de manière structurée selon une méthode et une licence ouverte garantissant leur libre accès et leur réutilisation par tous, sans restriction technique, juridique ou financière.
Exemple : historique des disponibilités des stations Vélovs

Il est possible d’utiliser de la donnée capitalisée par des capteurs mais on ne va pas le faire par défaut. Ce sera fait dans une optique d’amélioration des services avec la définition préalable de besoins très qualifiants. Pour ce faire, l’open data, est utilisée  (voir le portail open data de la métropole http://data.grandlyon.com). Il donne accès à des jeux de données produits par la Métropole, les communes du territoire et des partenaires. Cela assure la transparence des actions de la Métropole et permet des réutilisations. Des acteurs associatifs ou privés peuvent les utiliser pour créer de nouveaux services sur le territoire.

C’est dans ce même esprit d’innovation qu’on a créée Erasme en 1998 au sein du département du Rhône. Il a reçu pour mission de connecter les collèges de la Métropole à internet. Il était également en charge de définir ce qui devait être fait de cette connexion :
Erasme a d’abord créé le service laclasse.com qui a mis à disposition le numérique au service de l’éducation.
Dans un deuxième temps, on a étendu le numérique aux musées avec la création de Museolab. Le projet consistait à transformer le musée en laboratoire d’innovation. L’ambition était de créer une nouvelle façon de faire de la médiation muséographique.
Suite à l’intégration à la Métropole en 2015, on l’a ouvert à toutes les missions de la Métropole. Désormais, il étudie comment l’innovation peut améliorer ou transformer la pratique professionnelle des différentes directions métiers.

Historique d'Erasme

Erasme, c’est un lieu, des méthodes et une équipe pour conduire et accompagner l’innovation d’intérêt général pour coproduire des usages et des communs dans le cadre des politiques publiques de la Métropole de Lyon.

L’équipe d’Erasme est constituée d’une dizaine de personnes avec des compétences en gestion de projets, des méthodes agiles, des compétences en design et des compétences en développement pour prototyper des solutions au service des habitants.

Que fait le Directeur de projets en innovation ?

Anthony Angelot : Le directeur de projets en innovation mène des projets courts et peu coûteux  pour tester  rapidement leur impact. Dans le cas où une idée, jugée initialement pertinente, n’est pas validée au contact du terrain, le budget dépensé reste faible et ainsi les risques limités pour le déploiement peu coûteux d’une solution. A l’inverse, dans le cas où un test est positif, la valeur d’usage d’un nouveau service numérique a été évaluée à moindre coût avant d’accompagner son déploiement à la Métropole.

Il y a aussi des formats pour faire émerger de nouveaux projets, de nouvelles réponses à des besoins, des formats collaboratifs, créatifs qui associent, en pluridisciplinarité. Ces formats font intervenir des acteurs locaux, des créatifs, des artistes, des experts de la médiation scientifique au sein de sprints pour produire de nouvelles solutions à des besoins. Pour aller plus loin, nous essaimons nos pratiques  par la formation des 9500 agents de la Métropole pour qu’ils puissent adapter leur métier aux nouvelles contraintes et aux nouvelles technologies.

Pouvez-vous illustrer ce que vous venez de nous dire avec un exemple de projet ?

Anthony Angelot : On nous a demandé d’accompagner un conseil de quartier sur un projet de végétalisation ? Derrière ce projet, se cachaient ces enjeux :

  • Où peut-on planter sur un quartier ?
  • Comment faire pour prendre une décision collective et éclairée et comment transmettre l’information de la manière la plus simple possible aux habitants ?

Une expérimentation de 8 mois a permis de traiter ces questions :

On a d’abord travaillé, avec des experts, sur l’identification d’une quarantaine de facteurs de contraintes à la plantation.  

    • Les réseaux sous-terrain de gaz, électricité, fibre, réseaux d’assainissement, etc.
    • En surface, les passages piétons, accès pompier, etc.

    On élimine l’emprise de l’ensemble de ces contraintes et l’espace restant permet de choisir les endroits où l’on peut planter le plus facilement, ce qui définit le cadre de plantabilité.

    Une fois les contraintes identifiées, on a cherché les données :

    • En open data, par exemple  les données produites par le SDNIS, le centre des pompiers de la métropole, qui produit des données sur des zones interdites de planter.
    • Les données non-ouvertes comme les réseaux de gaz.

    On croise ces données sur un calque qui reprend toutes les informations représentées par des zones vertes où il est possible de planter et des zones rouges où il n’est pas possible de planter.

    Comment rendre l’information accessible et faciliter la prise de décision par un conseil de quartier ?

    Le dispositif créé a pour fonction de s’immerger collectivement dans la donnée. Il s’agit d’une maquette en legos. C’est économique et facilement évolutif, contrairement à une maquette réalisée avec une imprimante 3d qui coûte cher et qu’on ne pourra pas faire évoluer facilement. Avec les legos, on peut démonter un bâtiment, le détruire ou le construire. On peut réutiliser les legos pour modéliser facilement n’importe quel quartier. Par exemple, il est possible de travailler sur la Confluence, aujourd’hui et demain, de réutiliser les legos pour travailler sur Caluire. Le lego présente l’avantage d’être familier à tout public et de casser l’image de l’expert. Sur cette maquette en legos sont projetées certaines données comme les noms de rues, pour se repérer, et le calque de plantabilité.

    Maquette de quartier en legos sur laquelle sont projetées des couches de données pour déterminer les zones de plantabilité
    Pouvez–nous expliquer en quoi votre activité est innovante et quels sont les dispositifs de cette innovation ?

    Pour ce projet, nous nous inscrivons dans une démarche de recherche en collaborant avec le Laboratoire de recherches LIRIS qui travaille sur la représentation des quartiers en 3d à l’aide de legos.  C’est un moyen de mettre la recherche au service des habitants.

    Nous sommes également innovants par notre méthode agile que je vais illustrer à l’aide de l’exemple suivant : si quelqu’un s’adresse à nous pour un besoin de mobilité, nous n’allons  pas lui proposer une solution parfaite que serait un objet complexe comme une voiture mais qui prendrait 2 ans à réaliser. Nous allons utiliser une méthode innovante qui consiste à proposer une solution simple bien qu’imparfaite, un skateboard, par exemple, pour tester si ça répond au besoin. L’avantage est d’investir peu d’argent dans le projet et de rester en contact avec le demandeur qui va demander des améliorations tout au long du processus projet. C’est ce processus qui va nous conduire dans des boucles itératives avec le demandeur qui va tester chaque version de la solution livrée et nous faire des retours. Nous collerons ainsi au plus près du besoin.

    Démarche de projet agile
    Quelles définitions de métavers pouvez-vous proposer ? Pouvez-vous nous présenter votre métavers Second Lab ?

    Anthony Angelot : Les méthodes innovantes marchent très bien sur des besoins auxquels il n’est pas possible d’imaginer des solutions a priori. Ce sont des besoins qui demandent de l’innovation. Pour y répondre c’est mieux de le faire ensemble et en pluridisciplinarité. On a donc besoin d’un lieu pour ce faire mais ce n’est pas toujours possible, en particulier quand on a des confinements ou quand on veut travailler avec des gens localisés à grande distance.
    Pour faire ensemble à distance, il y a des outils connus comme la visioconférence mais, si on veut aller plus loin, il y a les métavers.
    Ce sont des espaces virtuels persistants et partagés, accessibles 24h sur 24, 7 jours sur 7, dans lesquels plusieurs personnes vont interagir. Ces lieux vont pouvoir évoluer en fonction des usages. Il sera possible d’y laisser des traces comme des documents par exemple, pour revenir et retravailler plusieurs fois par la suite.
    Le Second Lab est le métavers d’Erasme pour tous nos projets d’innovation. C’est un lieu conçu pour prototyper des solutions pour la Métropole de Lyon en impliquant les acteurs des politiques publiques. Le métavers permet de construire en 3d et de tester des solutions à peu près en situation réelle, sinon en situation immersive.

    Quels sont les exemples d’expériences de 3D immersive que vous avez menés ? Pourquoi faire ?

    Anthony Angelot : Je vous propose un tour du monde d’exemples qui fonctionnent.

    Le casque de réalité virtuelle est le dispositif privilégié pour exploiter les applications de 3D immersives.

    Les cas d’usage les plus connus sont les jeux en réalité virtuelle. Ils servent à se distraire, visiter et se cultiver.

    Les casques de réalité virtuelle sont également de plus en plus utilisés dans les hôpitaux à l’usage des patients qui subissent certaines opérations pour mobiliser leur attention et leur apporter de la détente.
    Ces applications peuvent également servir à visiter des musées. Le British Museum a fait une application de VR (réalité virtuelle) qui permet d’accéder à plus de contenu que ce qu’on a dans la réalité.
    On a constaté que notre cerveau va enregistrer la réalité virtuelle avec la même intensité qu’une expérience équivalente dans le monde réel.

    La NASA a prototypé dans le métavers un espace pour simuler la vie sur Mars dans lequel les astronautes se projettent dans des capsules comme s’ils étaient réellement sur Mars. Grâce à tous les gestes qu’ils ont répétés dans le métavers martien, on peut imaginer qu’ils seront déjà bien entrainés, le jour où ils iront réellement sur Mars.

    Métavers de simulation d'une colonie humaine sur mars


    Les métavers servent également à la formation aux gestes chirurgicaux rares qu’on ne pourrait pas réaliser sur des cobayes ou à s’entrainer à réaliser des travaux dangereux comme des interventions sur des lignes à haute tension. Ils remplacent des formations classiquement très théoriques. Grâce au métavers, on va marquer la mémoire de ceux qui auront pratiqué les gestes dans le monde virtuel et ainsi leur permettre de répéter ces gestes en situation réelle. L’avantage est que leur entrainement ne présente aucun risque dans le monde virtuel.

    L’échange entre personnes est un autre cas d’usage.
    Le Québec a mis en place un métavers pour permettre aux citoyens de débattre au sujet des élections.
    La Finlande a fait un métavers de sa capitale Helsinki dans lequel on peut se promener, rencontrer des habitants, faire du shopping comme si on se promenait dans les rues commerçantes. Pendant le confinement, on y a organisé le festival national traditionnel qui a attiré 10% des finlandais.
    La ville de Séoul propose un métavers des services publics à la place d’un guichet physique ou d’un numéro vert. Même si cette expérience virtuelle immersive n’implique pas autant qu’une expérience dans le monde réel, le passage par le métavers et un avatar permet au visiteur de s’investir d’avantage qu’en visioconférence.

    La compagnie aérienne du Qatar propose un métavers pour choisir son siège d’avion. Cet usage a une faible valeur ajoutée par rapport à un plan d’avion sur un site web. Il s’agit d’une forme de market place qui est le cas d’usage le plus courant des métavers.

    Il faut être vigilant pour ne pas créer de fracture numérique supplémentaire en mettant en œuvre un service exclusif dans le métavers dont l’accès est limité par des équipements techniques comme un casque de VR. Ce type de service doit être doublé d’un service physique pour ne pas exclure une partie des usagers.

    Dans cet esprit d’inclusion, Erasme a créé un simulateur d’exclusion de services numériques à l’usage des créateurs de site web pour qu’ils « se mettent à la place des » déficients visuels. Ils peuvent ainsi tester leur site en simulant une déficience visuelle. C’est plus efficace que l’application de simples recommandations.

    Simulateur d’exclusion numérique : 
objectif : se mettre à la place des personnes avec déficiences visuelles
    Dans le cas d’une application mobile peut-on également parler des Métavers ou s’agit-il plutôt d’une autre médiation technique qui permet également de se projeter ?

    Anthony Angelot : Il faut différencier les notions de réalité virtuelle et de réalité augmentée.
    La réalité virtuelle c’est la plongée immersive dans un autre univers, totalement autre que la réalité. Créé de toute pièce, le métavers est un exemple de réalité virtuelle.
    La réalité augmentée c’est une superposition sur la réalité d’éléments virtuels. L’exemple le plus connu est le jeu Pokemon Go.
    Sur un appareil mobile, les 2 types d’applications sont possibles.

    Quel musée va faire son application en réalité augmentée ?

    Anthony Angelot : Le musée Gallo-romain de Lyon, Lugdunum a un projet de réalité augmentée à l’horizon 2025 -2026. Lors de balades sur les sites de vestiges, grâce à un smartphone, il sera possible de superposer à la réalité, ce à quoi ressemblait le lieu à l’époque romaine. Le visiteur pourra visualiser un vestige dans son infrastructure antique et se positionner par rapport aux points de repères remarquables de l’époque. C’est extrêmement efficace du point de vue de la pédagogie.

    Tous ces concepts virtuels sont séduisants mais en quoi sont-ils une réalité ? Pouvez-vous nous montrer un exemple de réalisation ?

    Anthony Angelot : Le Second Lab existe réellement. Il a pour objectif de sensibiliser à la question des métavers au sein de la métropole, de présenter nos projets au sein d’environnements virtuels et de les reproduire en 3d.

    Par exemple, nous avons présenté nos projets et réalisations à nos collègues de Québec, ce qui nous a évité des voyages en avion.

    En général les métavers sont très consommateurs d’énergie, tout autant que les vidéos en haute définition. Pour concevoir le Second Lab, nous avons utilisé le mode low polygon de façon à diminuer son impact environnemental, ce qui présente également l’ avantage de pouvoir le charger dans un navigateur sans avoir besoin de casque virtuel et, donc, de le rendre accessible par le plus grand nombre.
    Les gens qui se connectent peuvent découvrir nos activités mais également participer à des sessions créatives collaboratives. On crée, on prototype puis on teste ensemble dans le métavers.
    Nous proposons également à la visite une exposition dans le Second Lab, sur les solutions pour rendre le numérique plus soutenable et plus résilient. Il est possible de s’y balader, de découvrir des panneaux d’information, de consulter le programme, de visualiser les prototypes réalisés et de manipuler des objets.

    Faire ensemble quelques soient les circonstances, avec une vision incarnée de chacun, des échanges plus riches, plus présents…
    Pour en savoir plus sur la Métropole, Erasme et expérimenter le Second Lab, nous vous recommandons les liens suivants :

    Le site de la Métropole de Lyon : https://www.grandlyon.com/
    Le site officiel d’Erasme : https://www.erasme.org/
    Découvrir le Second Lab : https://www.erasme.org/-Second-Lab

    Prochain événement du cycle des rencontres “Où va la ville ?”

    Une maquette Virtuelle de La Vallée Du Gier
    Mercredi 13 décembre 2023 de 12h30 à 13h30
    Nous recevrons :
    Clémentine Périnaud, géographe, membre de l’unité de recherche Environnement, ville et Société (EVS)
    Lorenzo Marnat, ingénieur informatique, membre du Liris et de LabexImu.
    Ils nous présenterons le projet de maquette virtuelle de la vallée du Gier. C’est un dispositif interactif de médiation de la recherche scientifique.

    Partager cet article