Soupe de plastique
Publié le 27/08/2018 à 14:20
- 7 min -
Modifié le 08/10/2018
par
Edith
Au cœur des océans tourbillonnent des milliards de déchets plastiques dont la quantité augmente de façon exponentielle. Comment sont-ils arrivés là ? Quelles sont les conséquences sur l’écosystème marin ? Sur l’homme ? Y a-t-il des moyens de nettoyer ce « 7e continent de plastique » ?
Tout commence en 1997 lorsque le navigateur Charles Moore découvre dans le Pacifique nord une vaste zone de déchets plastiques. Les dénominations trompeuses « île de plastique » et « continent de plastique » employées pour sensibiliser le public suggèrent que cet amas forme une plaque ou un « tas » visible, or ce phénomène est essentiellement invisible. En effet une grande partie de ces déchets sont minuscules, d’une taille inférieure à 5mm, en suspension dans l’eau jusqu’à 30m de profondeur sur des millions de kilomètres carrés. Et ces micro-déchets ne sont pas moins dangereux que les macro-déchets qui piègent et étouffent mortellement les animaux marins… Bien au contraire. Chargés de polluants et vecteurs de maladies, ils menacent l’ensemble de la chaîne alimentaire marine, jusqu’au poisson qui se retrouve dans notre assiette.
Un véritable périple
Cinq zones seraient touchées par ce phénomène, au cœur des océans Pacifique, Indien et Atlantique. Les déchets plastiques rejetés par l’activité humaine mettent des centaines, voire des milliers d’années à se dégrader. Un déchet plastique jeté dans la nature ou rejeté par l’activité industrielle emprunte le chemin des égouts, des rivières, et finit par déboucher sur la côte. 70% de ces déchets finit dans les profondeurs. Le reste suit les courants marins sur des milliers de kilomètres avant d’être pris au piège d’un gyre océanique, immense tourbillon formé sous l’action de la force de Coriolis, dont il ne sortira plus jamais. Microbilles de savons exfoliants, microfibres de vêtements passés à la machine à laver, bouchons de bouteilles, bidons, filets de pêche… Tous ces objets, provenant des terres ou, dans le cas des objets liés aux activités de pêche, perdus directement en mer, se retrouvent au cœur des océans, où l’action du soleil et des vagues les fragilisent et les transforment peu à peu en confettis.
A elle seule, la zone du Pacifique nord comprise entre Hawaii et la Californie occuperait 1,6 million de km² d’après une étude récente, où flottent 80 000 tonnes de déchets.

Source de l’image : lemonde.fr
Comment ces déchets plastiques affectent-ils l’écosystème marin ?
De par leur nature et leur localisation isolée, loin des routes commerciales et hors des eaux territoriales, les gyres sont difficiles d’accès et les connaissances à leur sujet sont encore assez floues. Ce que l’on sait en revanche, c’est que tous ces déchets, gros ou petits, interagissent avec le milieu marin, au point de voir se former de nouveaux écosystèmes organisés entièrement autour d’eux : la plastisphère.

Les polypes de méduses colonisent volontiers les morceaux de plastique – Wikimedia Commons
Les macro-déchets fonctionnent comme des récifs sous lesquels s’agglutine la faune marine. Certaines espèces s’en servent pour pondre leurs œufs et les coloniser, entraînant une prolifération de ces espèces au détriment des autres. C’est ainsi qu’on observe une surpopulation d’halobates dans le gyre du pacifique nord, et une raréfaction des poissons : les halobates mangent leurs œufs et le plancton. Les polypes de méduses, dont on soupçonne aussi une prolifération dans la plastisphère, sont également des prédateurs pour les poissons.

colonie de vibrio cholerae, bactérie du choléra – Wikimedia Commons
Quant aux micro-déchets, ils sont assimilés au plancton, premier maillon de la chaîne alimentaire marine. Le plastique de ces micro-déchets n’est, en lui-même, pas dangereux pour les organismes qui les avalent : matière inerte, inassimilable, il est évacué par le système digestif. En revanche les déchets plastiques, en se dégradant, deviennent poreux et se transforment en véritables éponges à polluants, qui eux peuvent intoxiquer les animaux marins et se répandre dans la chaîne alimentaire. Par ailleurs, un seul micro-déchet d’une taille inférieure à un millimètre peut abriter plus d’un millier d’espèces de microbes différentes. Parmi ces microbes, les analyses d’échantillons révèlent la présence d’espèces appartenant au genre Vibrio, famille qui comprend les bactéries du choléra et d’autres bactéries vectrices de maladies gastro-intestinales.
Les moyens de lutte
Face à l’ampleur du phénomène, on peut se sentir quelque peu dépassés, d’autant qu’aucun pays ne veut en assumer la responsabilité.
Plusieurs initiatives ont vu le jour dans le but de réduire la progression de la soupe de plastique, qui ne cesse de s’épaissir et dont la masse pourrait dépasser celle des poissons d’ici 2050.
Ramasser les déchets en mer
Deux projets, The Ocean Cleanup et le projet Manta, ont vocation à récupérer et recycler les déchets situés dans les gyres. Le premier, imaginé par le jeune hollandais Boyan Slat, implique l’installation d’une soixantaine de barrages flottants constitués chacun par une immense bouée en forme de U s’étendant sur 600 m de longueur, doublée d’une « jupe » de 3m sous la surface de l’eau. Portés par les vents et les courants, ces barrages viendraient naturellement capturer les déchets flottant près de la surface, et seraient visités plusieurs fois par an pour la collecte. Ce projet financé par de nombreux dons a beaucoup évolué depuis ses débuts, et un premier prototype devrait être mis en place très prochainement. Une fois installé à grande échelle, The Ocean Cleanup ambitionne de nettoyer 50% des déchets plastiques flottant entre Hawaï et la Californie en cinq ans… et 90% d’ici 2040.

pollution plastique à Douala – Wikimedia Commons
Quant au Manta, projet porté par Yvan Bourgnon, il s’agit d’un navire hauturier capable de collecter en grande quantité les macro-déchets plastiques qui flottent sur les océans. Produisant sa propre énergie, il se déplace vers les zones les plus fortement polluées, en haute mer mais aussi le long des côtes et dans les estuaires des fleuves. Il peut stocker jusqu’à 250 tonnes de déchets qui sont ensuite acheminés vers des usines de recyclage. Un système d’émission sonore permet d’éloigner la faune marine pendant les phases de collecte, pour éviter la capture accidentelle de cétacés et de poissons. Pour l’instant ce navire n’existe qu’à l’état de maquette, au terme d’un an et demi d’études de faisabilité et de recherche de financements. Sa construction sera financée par des dons.
Bactéries mangeuses de plastique
En 2016, des chercheurs japonais ont découvert une bactérie capable de décomposer le PET (polytéréphtalate d’éthylène), un type de plastique présent dans de nombreux emballages et notamment les bouteilles de soda. Baptisée Ideonella sakaiensis, elle sécrète deux enzymes ciblant spécifiquement les liaisons moléculaires du PET.

larve de Galleria mellonella (fausse teigne) – Wikimedia Commons
Son rendement est toutefois limité : dans des conditions optimales, il faut six semaines à une colonie pour venir à bout d’un morceau de plastique de la taille d’un ongle de pouce. Mais l’étude de son enzyme, la PETase, a permis d’en créer une nouvelle, plus efficace, de manière fortuite. Même si ce progrès est modeste, il suggère que la voie peut être explorée pour créer des enzymes avec un rendement intéressant à large échelle.
D’autres organismes présents dans la nature se nourrissent de plastique : le record de rapidité du « recyclage enzymatique » est détenu par une larve d’insecte, Galleria Mellonella, capable de dévorer 92mg d’un sac plastique en 12 heures.
En amont : favoriser des contenants biodégradables

D’après un récent rapport de l’ONU, sur les 9 milliards de tonnes de plastique produits jusqu’ici dans le monde, moins de 20% ont été recyclés ou incinérés. – Pixabay, licence CC0
Pour réduire la production de déchets plastique… Nous pourrions aussi réduire notre consommation de plastique. Une gageure, quand on sait que chaque année l’humanité produit 320 millions de tonnes de plastique !
Malgré tout, l’idée fait son chemin, et certaines entreprises tentent de trouver des alternatives éco-responsables. Ainsi une startup britannique, Choose Water, a créé une bouteille d’eau 100% biodégradable.
Autre exemple, Tipa, un plastique biodégradable ou bioplastique, se désagrège en 6 mois une fois jeté et se transforme en compost. Conçu à l’origine comme emballage alimentaire, Tipa peut être utilisé dans d’autres domaines : packaging de vêtements, emballage de presse papier… Son coût, 2 à 3 fois supérieur au plastique classique, est un frein à son développement, mais l’entreprise s’efforce de baisser les prix progressivement.
Pour finir, Scoby, conçu par la designer polonaise Roza Janusz, est une membrane organique comestible, pouvant être consommée ou transformée en compost. Composée de bactéries et de levure, elle protège les aliments de la décomposition en formant une barrière contre l’oxygène.
Si vous souhaitez en savoir plus
Nous vous proposons d’explorer le site de l’Expédition 7e continent, association dont l’objectif est de sensibiliser le public et étudier les effets de la pollution de plastique sur l’équilibre des écosystèmes marins.
En complément, l’émission Le Dessous des cartes : Des îles de déchets, de Jean-Christophe Victor, explique tout sur les zones de concentration de plastique, symbole du dérèglement de notre monde.
Enfin, vous pouvez continuer à vous faire peur avec l’ouvrage d’Andrew Blackwell, Bienvenue à Tchernobyl : un tour du monde des lieux les plus pollués de la planète.
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One thought on “Soupe de plastique”
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En lien avec votre article, plasticienne engagée, j’ai sur la table à dessin une série sur la pollution des océans intitulé “Le Nouvel Ordre Mondial” réalisée à partir de photographies de particules de plastiques trouvées sur des plages et des rivières aux quatre coins du monde ! Un bol d’air en plein déconfinement … ou pas !?
Prenez le temps de découvrir ces dessins ⬇️
https://1011-art.blogspot.com/p/ordre-du-monde.html