Label lyonnais
Mosquito un label qui pique notre curiosité
Publié le 14/04/2023 à 12:20 - 8 min - par Alfons Col
Il y a un peu plus de 40 ans à Lyon naissait un des labels les plus avant-gardistes de l’époque proposant à la jeunesse française toute une panoplie d’entrechocs musicaux allant de la new wave au funk du rock indus au jazz.
Mars 1982, Bernard Meyet alors manager du groupe Carte de Séjour décide de fonder un label pour sortir leur premier single « Halouf nar ». Il s’associe avec un acteur de marque dans l’univers musical lyonnais, Serge Boissat propriétaire du premier disquaire lyonnais Boul’dingue (1974) et surtout « Commandant en chef » des animateurs de Radio Bellevue. Ce dernier déménage son énorme discothèque personnelle dans les bâtiments de la radio, ce qui permettra une programmation des plus éclectiques de la bande FM.
Carte de Séjour est alors l’un des groupes les plus atypiques du rock français. Dix ans avant la déferlante raï en France le groupe défend un rock multiculturel et métissé influencé autant par les Clash, James Brown, Iggy Pop que par les musiques du Maghreb.
Mais mise à part quelques défricheurs français (Jean François Bizot dans le magazine Actuel ou Alain Maneval dans l’émission télé Megahertz) qui le défendent dans leurs médias respectifs, le disque ne se vend pas autant qu’espérer. Certains disquaires refusent même de le distribuer craignant les hordes de jeunes de banlieues dans leurs magasins ! Pourtant le titre trouve un écho en Grande Bretagne, où le célèbre animateur John Peel le passe sur BBC Radio one.
Rhorhomanie deuxième 45 tours du groupe, produit par Steve Hillage est encore défendu par Mosquito même si CBS en assure déjà la distribution. Le succès viendra quelques années plus tard, avec la reprise de « Douce France » et en signant chez Barclay, mais dans les mémoires Bernard Meyet reste le découvreur du groupe.
Des productions hétéroclites et jouissives
Si au début le label signe beaucoup d’artistes lyonnais ce n’est pas une finalité en soi, le duo de producteurs essaie par la suite de créer des ponts avec des scènes européennes et même internationales qui les passionnent. Ils ne se donnent aucune direction musicale pourvu que la musique leurs plaise.
Ainsi il sort l’unique 45 tours de Marie Girard. Après la séparation douloureuse à New York de Marie et les Garçons, Marie rentre à Lyon et entame une carrière solo avec d’anciens membres d’Electric Callas. Mosquito est là pour sortir ce premier single « Les Indiens », synth-pop dans la veine d’une Lizzy Mercier Descloux ; la face B étant produite par William Sheller.
Toujours dans les amis, Mosquito fait enregistrer en 1983 les bandes de ce qui deviendra le premier album de Lapassenkoff, « Shing A Ling! » (1985). Lapassenkoff c’est un duo fondé par l’ancien leader de Killdozer, Robert Lapassade au chant et Jacky Yantchenkoff aux claviers. Ils produisent un funk synthétique enrobé de jazz et de hip-hop ou de rythmes africains. Trop en avance pour l’époque le concept ne marchera pas. Le label Décalé a réédité en 2019 une compilation des deux albums du groupe.
Mosquito sera aussi au côté de Robert Lapassade lorsqu’il reprendra en mains le groupe viennois Snapping Boys et sortira en 1986, “Latin Hustle” le premier album des renommés Snappin’ Boys.
Dès 1983 ils obtiennent aussi les licences pour la France de groupes internationaux.
Ainsi ils s’occupent d’éditer le premier maxi du groupe suisse de new wave Blue China. Le duo américain de rock industriel Chrome rejoint aussi l’écurie Mosquito et le label produira deux de leurs albums « Raining Milk » (1983) et « Into the eyes at the Zombie king » (1984).
On trouve aussi dans les premières productions du label, un 45 tours très étonnant du poète et performeur américano-canadien Brion Gysin. Ce dernier fut proche de la Beat generation et expérimenta le cut-up. Les deux titres qui composent ce 45 tours nous amènent à entendre un génial mélange de spoken-world, de new wave de jazz et de funk, témoignage de la porosité des styles musicaux au début des années 1980.
Les Nuits Bleues
Dans le sillage des Transmusicales de Rennes, Bernard Meyet -avec l’aide de Radio Bellevue- met sur pieds un festival, pendant deux jours au Théâtre du 8ème. Les 1er et 2 octobre 1982 a lieu la première édition des Nuits bleues qui attire quelque 2000 personnes mettant surtout en avant la scène régionale. On y voit dans le désordre outre les stéphanois de Facel Vega et les « I », une mouture finissante d’Electric Callas (sous le nom d’Ultramarine) mais toujours étonnant sur scène, Petersen et les Tales ainsi que les Swing Diplomates qui n’ont eux laissés aucune trace discographique.
Sa deuxième édition plus ambitieuse a lieu les 29, 30 septembre et 1 octobre 1983. Trois jours pour découvrir des têtes d’affiches internationales (Decorators, Polyphonic Size ou encore les débuts d’un jeune suisse Stephan Eicher) et surtout une belle vitrine pour le label (Lapassenkoff, Marie, Blue China et Chrome).
Et voilà que ça jazze
Fort de leur immense culture musicale notre duo de producteurs produisent aussi plusieurs albums de jazz. Une section « Mosquito jazz » est créée en 1985 avec deux albums qui se répondent : ceux du Bill Dobbins trio et de l’Equinox jazz quintet.
Le contrebassiste lyonnais Jean-Louis Billoud et le pianiste américain Bill Dobbins se sont connus pendant leurs études à l’Eastman school of Music de Rochester (Etats Unis) et vont collaborer à plusieurs reprises. L’album “Solar energy” du Bill Dobbins trio sera enregistré au Centre Musical Bosendorfer (85, rue d’Inkerman Lyon 6ème) tandis que le “Five aces” de l’Equinox jazz quintet (mené par Billoud) sera lui enregistré à l’ Eastman school of music.
Enfin Mosquito produira l’un des derniers albums du trompettiste américain Don Cherry. “Home boy (sister out)” sur lequel le trompettiste chante et rap, allie une multitude de styles : funk, hip-hop, reggae, new-wave et musiques latines. Enregistré à Paris au studio Caroline, on retrouve sur l’album des artistes aussi divers que le bassiste Jannick Top, son fidèle ami Ramuntcho Matta (guitare, production), Elli Meideros et Brion Gysin au chant et bien sûr Bernard Meyet à la direction artistique.
Trop hétéroclite pour le marché américain, l’album soutenu pourtant par Barclay tombera dans l’oubli jusqu’à sa réédition en 2018 par le label parisien “We want sounds”. On redécouvre un monument de la Sono mondiale défendue à l’époque part l’avant-garde médiatique (Actuel, Radio Nova…).
Comme souvent en musique l’audace ne paie pas et Mosquito fermera ses portes quatre ans après son ouverture. Le label nous laisse un patrimoine d’une vingtaine de productions rarement rééditées et introuvables sur le marché du disque vinyle d’occasion. Vous pouvez écouter une partie d’entre elles sur les postes d’écoute Numelyo à la Bibliothèque municipale de Lyon.
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