La Ville la nuit… Quelle métropole nocturne pour les Lyonnais ? 2/2

Entretien avec Julie Troff-Poulard

- temps de lecture approximatif de 6 minutes 6 min - Modifié le 23/11/2023 par dcizeron

Julie Troff-Poulard, chargée d’étude Patrimoines et Qualité à l’Agence d’urbanisme de l’aire métropolitaine lyonnaise nous parle des plans Lumière et plus particulièrement du "3e plan Lumière" qui vient d'être voté en conseil municipal.

Marcos Quinones, Lyon Figaro, Bibliothèque municipale de Lyon / P0741 FIGRP11579 002
Marcos Quinones, Lyon Figaro, Bibliothèque municipale de Lyon / P0741 FIGRP11579 002
La nuit urbaine ne peut se passer de lumière. Pourriez-vous nous parler du dernier plan Lumière, et plus généralement de ce qu’est un plan Lumière ?

Julie Troff-Poulard : Oui, une des conditions premières à l’activité de la nuit c’est quand même la lumière. Elle doit permettre à la fois de reconstituer un jour artificiel mais aussi de prendre soin des habitants et du vivant. 

La qualité de cette lumière va résulter de la diversité des sources lumineuses qui vont être utilisées : l’éclairage urbain mais aussi l’éclairage lié aux usages, et notamment aux automobiles, aux véhicules, les éclairages liés à la publicité, liés au privé, aux habitations. Nous sommes tous acteurs de cette lumière. L’addition de toutes ces sources lumineuses est importante. Elle est un objet à maîtriser, à organiser. C’est l’objet du plan lumière car, si l’on n’est pas dans une certaine maîtrise de ces sources lumineuses, on arrive à des sortes de phénomènes que l’on appelle : cacolumie.

Les dernières décennies ont vu des évolutions assez importantes dans la relation que l’on a à cette lumière nocturne. Pendant longtemps la relation était assez fonctionnelle. La lumière servait à voir et à être vu. Elle servait à baliser l’espace. Depuis les années 1980, les choses ont largement évolué. Les politiques d’aménagement urbain et le rapport à la ville nocturne ont changé. On est allé sur des concepts de rapport aux représentations, avec la volonté de susciter des représentations, de construire un récit autour de la lumière. C’est la question de l’écriture de la lumière qui sert à raconter des choses. Et puis on est allé sur des conceptions plus émotionnelles, plus sensibles pour faire entrer les questions de poésie, d’émotion dans la ville la nuit. Ces concepts ont permis de sculpter l’image que l’on voulait donner de la ville la nuit et notamment un paysage urbain nocturne. 

Enfin, aujourd’hui, la question de la biodiversité est davantage prise en compte dans le 3e plan lumière. Comme la question de la trame noire, un concept très récent. Mettre ou ne pas mettre en lumière est une vraie question, c’est un choix. Car l’obscurité est aussi un outil pour dessiner le paysage.

Le nouveau plan Lumière (3eme du nom) s’inscrit dans une continuité. Pouvez-vous rappeler les grandes étapes de la mise en lumière de la ville, en revenant sur les deux premiers plans ?

Julie Troff-Poulard : Le plan lumière est un outil qui a été mis en place en 1989. Il est notamment lié à la politique mise en œuvre à la fin des années 80-début des années 90 sur les grands aménagements urbains. Le plan lumière est décidé en même temps que le plan couleur, le plan bleu. C’est un renouveau de la ville qui s’opère, qui va donner une nouvelle image de Lyon. Il s’inscrit dans un nouveau contexte de compétitivité entre les villes notamment entre les villes européennes qui conduit toujours plus à une recherche d’attractivité, à une chasse aux touristes… 

Le premier plan lumière est un document majeur pour la ville de Lyon. Plus qu’un plan réglementaire, ce sont de grandes orientations qui vont être données pour essayer de mettre en avant une singularité de Lyon. La question de la beauté de la ville, de l’esthétique est une question importante dans ce premier plan lumière. Pour cette première révélation du paysage nocturne, il y a plus de 250 sites emblématiques qui vont être éclairés. On les remarque tous la nuit et notamment ces derniers temps où il y a eu des extinctions nocturnes. C’est presque par leur absence, ou du moins leur absence d’éclairage qu’on les redécouvre. 

Le premier plan lumière s’attache aussi à mettre en évidence une géographie particulière avec l’éclairage des balmes et par le négatif, les fleuves qui ressortent largement. La mise en lumière des grandes perspectives, des grands axes dessine aussi tout le plan de la ville de Lyon. C’est l’idée d’avoir une ville à la fois belle et attractive. Mais aussi, le troisième élément, c’est l’idée d’avoir une ville plus sûre ; d’être une ville dont la sécurité est assurée par la mise en lumière. 

Ce premier plan va être un marqueur important dans l’histoire lyonnaise car c’est tout un savoir-faire qui va se constituer à partir de ces travaux-là, et qui va s’exporter à l’échelle internationale. Lyon va devenir précurseur de l’urbanisme lumière, avec des savoir-faire reconnus partout en Europe et dans le monde entier.

En 2004 un nouveau plan lumière va succéder ou, en tout cas, prolonger le premier en allant un peu plus loin sur certains champs, notamment la mise en lumière d’éléments du quotidien. Ce plan lumière est moins majestueux. Ce sera une déclinaison qui va se répandre dans beaucoup plus de territoires et non plus seulement sur les territoires les plus patrimoniaux. On va pouvoir mettre en lumière tous les quartiers de la ville. On s’interroge aussi sur la mise en ambiance de la ville. 

Le second plan lumière va plus que jamais mettre en avant la création et l’innovation car c’est aussi ça la lumière à Lyon. C’est beaucoup d’innovation en termes de technique, de méthode, de créativité artistique.

Vous me disiez, en préparant l’entretien, qu’au cœur du 3ème plan lumière il y a avait une volonté de « prendre soin de la ville la nuit ». Est-ce que vous pourriez mieux nous expliquer cette idée-force ?

Julie Troff-Poulard : Depuis le 11 mai 2023, le troisième plan lumière a été approuvé par la Ville de Lyon. Il s’inscrit dans la continuité des deux premiers, en s’inspirant des enjeux sociaux et environnementaux du moment. Un des objectifs de ce troisième plan lumière est de pouvoir perpétuer la singularité lyonnaise d’écriture de la lumière. Il affirme la volonté de prendre soin de la ville la nuit. Cela signifie prendre soin des paysages du quotidien. Quand on pense à Lyon la nuit, on pense souvent à des moments exceptionnels comme la fête des Lumières mais à travers ce plan lumière on valorise d’abord le quotidien, l’ordinaire : la nuit ordinaire et la lumière ordinaire. 

Une autre valeur importante : la sobriété. Prendre soin des ressources et du vivant par une meilleure prise en compte de la santé, ce sont des aspects que l’on prend en compte de façon beaucoup plus récente. Cela se traduit par une plus grande préoccupation pour la biodiversité, le ciel étoilé, les réserves naturelles et pour le confort car l’objectif de cette mise en lumière est bien de rendre praticable la ville la nuit et confortable pour tout une chacun. 

Avec les questions de genre d’accessibilité d’âge, la troisième valeur fondamentale de ce plan lumière est la citoyenneté. Prendre soin des relations entre les acteurs à la fois les habitants, les commerçants, les acteurs privés ou publics. Cette question se corrèle à celle de la sécurité parce qu’il faut aussi répondre à ce besoin là des usagers. 

Enfin, le troisième plan lumière pose la question du paysage comme bien commun en explorant d’autres notions comme l’identité, car la lumière est un outil fort pour valoriser les identités locales.

Ce plan Lumière a été construit en partie avec les habitants. Est-ce que vous pourriez-nous donner quelques exemples de cette approche participative ?

Julie Troff-Poulard : Le 3ème plan lumière est en chantier depuis 2019. Dans le cadre de son élaboration, un premier diagnostic a été élaboré pour analyser ce qui s’était passé avec les deux premiers plans lumière. Puis, en 2021, nous avons réalisé ce que l’on appelle des marches nocturnes avec l’idée de pouvoir mieux comprendre la ville de la nuit. Ces marches ont rassemblé les habitants, des élus, des acteurs d’association de quartier, des techniciens qui, sur place, pouvaient aussi expliquer certaines mises en lumière qui n’étaient pas toujours bien comprises ou pouvaient poser question. 5 parcours ont été déterminés dans la ville : 4 se sont déroulés dans la première temporalité de la nuit vers 19h-20h et un parcours entre 21h et minuit pour appréhender aussi une autre temporalité plus tardive, et croiser les résultats. Il y a eu plus de 50 participants, 250 km parcourus. Ces marches ont permis de mener des enquêtes. Nous sommes partis à la rencontre des gens que l’on pouvait croiser durant ces parcours. L’objectif était d’éprouver la ville en marchant. Cela a permis de mieux prendre en compte les ressentis des différents acteurs.

Une seconde soirée de marche nocturne a permis à tous les participants de se retrouver et de réaliser collectivement les premiers éléments d’un diagnostic. 

Pour aller plus loin

Ville de Lyon, Direction de l’éclairage public, Un plan lumière pour la ville de Lyon, Ville de Lyon, 1985.

Ville de Lyon, Groupe technique Lumière, Lyon, le nouveau plan lumière, Ville de Lyon, 2004.

Eclairer la ville autrement : innovations et expérimentations en éclairage public, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009.

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