Dans la tête des chercheurs
Yann Brunet, l’historien qui fouille les déchets pour comprendre l’évolution des villes
Publié le 16/01/2023 à 09:00 - 6 min - Modifié le 12/01/2023 par SAMI
Nous sommes souvent fasciné.es ou intrigué.es par les découvertes scientifiques, mais que savons-nous du travail concret des chercheurs ? Quelles questions se posent-ils ? Quels problèmes rencontrent-ils ? Avec quels outils travaillent-ils ? Rencontre avec Yann Brunet doctorant à l'Université Lumière - Lyon 2 et lauréat d'un contrat doctoral attribué par l'École Urbaine de Lyon.
Quel métier rêviez-vous de faire quand vous étiez petit ?
Pour être tout à fait honnête, je ne crois pas avoir rêvé d’exercer un métier particulier étant petit si ce n’est peut être très ponctuellement vétérinaire de par mon intérêt – toujours vivace- pour les animaux. Je n’ai donc pas eu de déclic enfant qui m’aurait conduit « naturellement » vers mon activité actuelle, bien au contraire.
Comment en êtes-vous arrivé à devenir historien ? Qu’est-ce qui vous a motivé à prendre cette orientation ?
Pour prolonger la question précédente, enfant, je n’étais absolument pas tourné vers les études mais plutôt vers le sport. On y trouverait par conséquent peu d’éléments explicatifs. En revanche, j’ai souvenir, en effet, d’avoir été intéressé relativement tôt par l’histoire sans imaginer -avant longtemps- que cela puisse devenir un débouché professionnel. Certains professeurs m’ont particulièrement marqué au cours de ma scolarité, au collège et au lycée (en 1ère en particulier à Lyon).
Mon parcours d’études ne me destinait pas à réaliser une thèse en histoire. Après un bac S, et une absence de projet professionnel précis, j’ai poursuivi mes études en classe préparatoire scientifique « Maths sup’ ». Cette étape n’a duré qu’une demi année après quoi j’ai pu reprendre un apprentissage en décalé à Lyon 1 en Génie Electrique et Informatique Industrielle (DUT GEII). Après avoir obtenu ce diplôme, conclu par un stage sur les batteries de voitures électriques à l’IFSTTAR (Institut Français des Sciences et Technologies des Transports, de l’Aménagement et des réseaux), j’ai travaillé quelques mois dans une entreprise d’électronique. J’ai alors énormément réfléchi à mon avenir professionnel car cela ne me convenait pas… Le hasard a aussi fait que des rencontres m’ont rapproché des livres et à aimer la lecture. Ce n’était pas du tout le cas alors.J’ai donc, après réflexions, décidé de reprendre des études d’histoire en licence 1, avec la volonté de poursuivre spécifiquement dans ce domaine. J’ai eu la chance ensuite de rencontrer des encadrants impliqués, et je pense en particulier à Stéphane Frioux, qui m’ont accompagné et m’accompagnent jusqu’à présent dans mon travail de thèse. L’opportunité offerte par l’Ecole Urbaine de Lyon ne peut pas non plus être passée sous silence. Il est probable que mon parcours de recherche se serait arrêté au master sans ce soutien. Au vu de mon parcours « erratique », je ne peux qu’être très reconnaissant envers ces personnes.
Et concrètement, au quotidien, c’est quoi être historien ?
En tant qu’historien-doctorant, ma pratique et mon emploi du temps a fortement évolué au fil des années. Les premiers temps ont été consacrés à un important travail en archives à Lyon et à Montréal (plus récemment). Il s’agissait aussi de constituer l’historiographie, de réaliser un « état de l’art »- afin de situer mon travail dans la production existante. Cette phase s’appuie sur de très nombreuses lectures d’articles et d’ouvrages. En revanche, ces derniers mois ont été et sont consacrés essentiellement à l’élaboration du plan final et à la rédaction. Cette phase est donc plus « statique ». Je travaille soit chez moi, soit à la bibliothèque etc.
J’ai également donné des vacations à l’Université de Grenoble (L2) et à l’Institut d’Urbanisme de Lyon (M1).
J’ai enfin eu l’opportunité durant mon doctorat de rédiger des articles, de participer à la rédaction d’un ouvrage et de participer à divers séminaires et colloques. Avec d’autres jeunes chercheurs de l’Ecole Urbaine de Lyon en particulier, nous avons formé une équipe « Le Studio Métabolisme » sur cette approche.
Je crois en effet que ma jeune pratique de la recherche m’a surtout fait prendre conscience de son caractère intrinsèquement social. La recherche ne s’effectue pas de manière isolée mais constitue une pratique collective.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Pour recouper la question précédente, dans le cadre de mon travail de thèse, je suis précisément en phase d’élaboration du plan et de rédaction. Plus globalement, ce travail traite de la manière dont les acteurs impliqués de deux espaces géographiques – les agglomérations de Lyon et Montréal- ont fait face à leur production de déchets (domestiques et industriels) au cours du second XXe siècle.
D’autres activités sont en préparation concernant les approches métaboliques sur laquelle travaille un certain nombre de chercheurs en sciences humaines et sociales -notamment – depuis plusieurs années (géographie, sciences politiques, histoire etc.). Elles soulignent l’intérêt de ces chercheurs pour la matérialité des objets qu’ils étudient. Elles permettent par exemple de décrire les systèmes techniques urbains (assainissement, déchets etc.), les acteurs impliqués, leurs relations.
Une autre opportunité m’a été offerte de participer à un travail collectif et pluridisciplinaire sur la problématique « sols et santé ». La connaissance et la gestion durable des sols, longtemps « oubliés » et peu protégés, constitue en effet un enjeu critique pour la réalisation raisonnée des politiques actuelles d’aménagement et d’environnement au sein desquelles la santé ne peut être mise de côté.
Vous travaillez aux laboratoires « Environnement, Ville, Société » (EVS) et « Laboratoire d’Etudes Rurales » (LER). Quel est votre rôle au sein de ces structures ?
En tant que doctorant, et membre du « Studio Métabolisme », j’ai pu participer plus ou moins directement à l’organisation de journées d’études, d’un colloque. De manière générale, l’activité du doctorant est relativement libre et dépend très largement de lui, de son calendrier d’écriture, de ses affinités etc. Les laboratoires et leurs membres peuvent soutenir ces initiatives. Je pense justement à l’Ecole Urbaine de Lyon qui a soutenu le projet de formation du « Studio ».
De manière plus « officieuse », des séances d’écriture ou de lectures d’articles ou de parties/chapitres peuvent être organisées à l’initiative des doctorants.
Pour terminer, quels sont les ouvrages, films ou auteurs qui ont été marquants pour vous ou qui vous ont inspiré dans votre parcours ?
Un grand nombre de chercheuses ou chercheurs m’ont inspiré et m’inspirent actuellement dans mon travail de recherche. Je pense en premier lieu à Geneviève Massard-Guilbaud, Jean-Baptiste Fressoz, Martin Melosi, Joel A. Tarr etc. en matière d’histoire environnementale.
D’autres travaux ont été importants en me faisant découvrir par exemple le métabolisme urbain (Sabine Barles), ou l’approche « follow the thing » (Ian Cook) et par conséquent l’intérêt pour la matérialité des objets que j’étudie. Ces travaux permettent de révéler l’extrême complexité des procédés industriels de recyclage, d’épuration ou d’assainissement, et leurs limites (« déchets des déchets »). Ils mettent en lumière les dimensions systémique et territoriale de la pollution.
Enfin, les travaux de la Canadienne Myra J. Hird sur les déchets ont aussi joué un rôle important, à la fois pour les résultats de recherche produits mais aussi relativement à la figure de la chercheuse/chercheur « dans la cité ».
Yann Brunet viendra présenter son travail à la bibliothèque de la Part-Dieu le 2 février prochain dans le cadre du cycle Dans la tête des chercheurs.
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