Prendre le temps ?
2003-2023 : 20 ans de politiques temporelles à la Métropole de Lyon.
Publié le 19/04/2023 à 07:52 - 9 min - Modifié le 29/04/2023 par dcizeron
La Métropole de Lyon s’est engagée dès 2003 dans une réflexion sur une meilleure prise en compte des temps individuels et collectifs : temps de travail, temps de transports, accès aux services… ce que l’on appelle les politiques temporelles. Que reste-t-il de toutes ces réflexions 20 ans après la création de l’Espace des temps ? Et quel avenir pour ces politiques temporelles à Lyon ?
Aux origines des politiques du temps
Tous les chemins mènent à Rome
« Nous sommes des femmes communistes » C’est par ces premiers mots que débute la Charte des femmes, à la fois manifeste écrit en 1986 et base d’échanges lors de rencontres itinérantes menées par des militantes communistes italienne rassemblées autour de personnalités du PCI comme Livia Turco et d’intellectuelles. Pour la première fois, elles abordent de manière explicite la question de la conciliation des différents temps : le temps du travail, le temps dédié à la vie familiale, et celui qui reste pour les loisirs. Un chapitre entier de la charte, intitulé « le temps des femmes, temps de vie et de travail » est consacré au sujet.
De ces rencontres itinérantes, naîtra, en 1990, un document du bureau du programme de la Section des femmes du PCI “Le donne cambiano i tempi” et un projet de loi d’initiative populaire « les femmes changent les temps » promouvant une réduction du temps de travail, la reconnaissance du temps des soins, du temps pour soi, la réorganisation des temps des villes. Si la direction du PCI essentiellement masculine a des difficultés à prendre en compte pleinement ces demandes, elles seront abondamment relayées par les syndicats et par quelques figures politiques locales telles Alfonsina Rinaldi à Modène ou Paola Manacorda, adjointe à l’organisation des services, qui fonde à Milan le premier service “Temps et ville”, dès 1990.
La loi du 8 mars 2000, portée par Livia Turco, marque, non pas un aboutissement, mais une étape importante d’un combat de quinze ans. Dans la lignée de l’initiative populaire “Le donne cambiano i tempi”, elle promeut notamment “la coordination des horaires de fonctionnement des villes et la promotion de l’utilisation du temps à des fins de solidarité sociale”. Pour la première fois, la notion de politique temporelle est entrée dans une loi. En même temps, elle promet la mise en place de « Bureaux des temps » dans les territoires de plus de 30 000 habitants, en s’appuyant aussi sur des lois régionales (en Lombardie, Toscane) qui ont chacune définis les axes principaux des politiques à déployer dans les communes.
Le modèle rennais
En France, à ce moment-là, la réforme des 35 heures est en cours de discussion ; l’expérience italienne des politiques temporelles commence à intéresser les élus français. Comme en Italie, les questions d’égalité sont mises en avant, mais elles ne sont plus seulement liées aux luttes féministes : comment éviter le creusement des inégalités sociales, de genres, de génération, de localisation dans les usages du temps et de l’espace.
Edmond Hervé, le maire de Rennes ouvre le débat avec un rapport “Temps des ville” écrit à la demande de Nicole Péry, secrétaire d’Etat aux droits des femmes et de Claude Bartolone, ministre délégué à la ville. Il fait suite au colloque intitulé « Temps des femmes, temps des villes » organisé en mai 2000 à Poitiers. Le journal Libération fait d’ailleurs de ce premier rapport ses gros titres “Le temps des villes”. La DATAR lance également un groupe de prospective Temps et Territoires.
Edmond Hervé expérimente dans sa commune un premier “Bureau des temps”. En articulant mieux différents temps (entreprises, services, transports, loisirs), le Bureau des temps se propose de rendre plus utile le temps libre. Le temps devient pour les élus un enjeu du développement durable des territoires, centré sur la qualité de vie.
Premières réalisations lyonnaises
La Création de l’Espace des temps
Le développement des politiques temporelles suit de près la conquête des grandes métropoles, par les socialistes lors des élections municipales de 2001. Dès 2003, un Espace des temps est créé par le Grand Lyon. Il est placé sous la responsabilité de Lucie Verchère, qui travaillait déjà sur ces questions au sein du CERTU, le Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques. L’Espace des Temps est piloté par une élue, Thérèse Rabatel. Au menu : prospective et concertation.
Il s’agit d’abord de sensibiliser les communes aux questions de temps à la fois dans leurs aspects fonctionnels (avoir une meilleure organisation des services et du territoire) et sur des aspects plus culturels comme la mise en valeur d’un bien être temporel.
2003-2007
Le rapport du Sénat intitulé “Rapport sur les politiques temporelles des collectivités territoriales”, réalisé en 2014, permet un premier bilan de l’action de l’Espace des temps, dix ans après sa constitution.
Certains choix se sont avérés particulièrement pertinents, notamment dans l’organisation de la mission. L’Espace des temps est immédiatement intégré à la direction de la prospective. A Rennes, par exemple, le Bureau des temps est d’abord rattaché à la direction des finances puis celle de la culture, ce qui restreint trop son champ d’action, avant un rattachement à la direction de la prospective, une thématique beaucoup plus transversale.
L’impact au quotidien de l’Espace des temps est bien mis en évidence. La mission a dû prouver son utilité ; elle l’a fait à travers des actions très concrètes. Une crèche interentreprises est par exemple ouverte dans le quartier de Gerland, il s’agit de la première en France. La question du temps nocturne est aussi largement étudiée avec la publication d’un guide des horaires décalés et d’un plan des transports de nuit qui fait suite à une traversée nocturne de Lyon. La question « temps et mobilité » voit le jour dès 2005, et initie les premiers « plans de déplacements inter-entreprises.
Enfin, l’Espace des temps a favorisé la participation citoyenne à travers une meilleure association des habitants autant à la formalisation des problèmes que des solutions. Des forums grand public sont organisés. Leurs thématiques : « Les enfants sont-ils aux 35 heures ? » ou « Le temps des personnes âgées ». Un blog « temps et services innovants » est également mis en place ; il cible autant ce grand public que les entreprises et les institutions…
Durant ces premières années, les élus ont privilégié un angle d’attaque pour aborder ces questions temporelles : celui des mobilités. L’Espace du temps va œuvrer avec eux sur de nombreux projets : le décalage des horaires de collège pour mieux gérer les flux et les encombrements liés aux transports scolaires, des lignes de bus de nuit…
Dès 2004, le Grand Lyon intègre, en tant que l’un des « membres fondateurs » le réseau Tempo Territorial, réseau national des acteurs des politiques temporelles.
2008-2015
Un premier changement d’importance à lieu en 2008.. Désormais, il n’y aura plus d’élu dédié au temps. L’Espace des temps devient la mission “Temps et services innovants” puis en 2010 intègre le service “Usages et expérimentations” de la Direction de la prospective.
Cette mission “Temps et services innovants” s’investit toujours et en particulier sur les questions de mobilité. Elle contribue à la négociation de plans de déplacement inter-entreprises qui proposent aux salariés une multitude d’offres et de possibilités de transport interconnecté (portail de covoiturage, vélos en libre-service) mais aussi au développement du télétravail afin de limiter les flux et au développement du coworking dans des tiers lieux de proximité.
Par une optimisation du réseau et une meilleure gestion des flux plutôt que la création de nouvelles infrastructures, la mission “Temps et services innovants” affiche, en parallèle de la lutte contre les inégalités, des objectifs plus environnementaux.
Quant à ses objectifs sociaux, elle prend conscience d’un équilibre à trouver pour ne pas contribuer à plus de désynchronisation subie en encourageant les horaires décalés.
Les Suites
Les principaux axes de travail de la mission: plan de déplacement, télétravail, coworking sont approfondis jusqu’en 2020. Une véritable démarche de design de services est mise en œuvre. Parmi ses manifestations :
– l’intervention de la compagnie Acte, lors d’un scéno-gare à la Part-Dieu en marge d’un colloque sur la ville servicielle en 2015.
– un Gare remix organisé à la gare Saint-Paul en 2015 également,
– un sprint “temps et mobilité” dans la vallée de la chimie pour sensibiliser à d’autres moyens de transport que la voiture individuelle.
– les actions menées dans les Maisons de la Métropole.
En 2020, l’épidemie de Covid-19 et l’épisode du confinement, les impératifs de distanciation ont questionnés nos rapports au temps et relancés un certain nombre de questions portées jusque-là par les politiques des temps. L’association Tempo territorial appelle alors à une renaissance des politiques du temps en tirant les leçons de la crise.
Pourtant à Lyon, après 2021, il n’y a plus de « mission » dédiée au temps. La fin d’un cycle ? Si elles deviennent moins visibles, ces questions ne sont pas abandonnées pour autant. Les politiques temporelles irriguent encore la réflexion des élus et l’engagement reste fort. Ainsi, les prochaines journées de Tempo Territorial auront lieu à Lyon, et seront co-organisées par la Métropole le 9-10 novembre 2023 sur le sujet « Les temps du collectif- faire société en 2023 ».
Remerciements à Lucie Verchère pour avoir répondu à nos questions.
Bibliographie
Prenons le temps de vivre… : débat organisé par l’Espace des temps du Grand Lyon, février 2007, Grand Lyon, Direction prospective et stratégie d’agglomération, Espace des temps
Comment synchroniser les temps des projets urbains ?, Communauté urbaine de Lyon.., Direction Prospective et stratégie d’agglomération.., Espace des temps 2007
Sur le site Millénaire 3, plusieurs dossiers relatifs aux questions temporelles, dont :
Sandra Bonfiglioli, La Politique des temps urbains en Italie, Emplois du temps, Numéro 77 Décembre 1997
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