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Leoš JANACEK : Oeuvres pour piano (Firkusny, 1972)
Publié le 12/02/2021 à 02:18 - 3 min - Modifié le 07/02/2024 par GLITCH
La musique pour piano de Janáček (1854-1928) est longtemps restée cantonnée à l'est du rideau de fer, en République Tchèque. Jusque vers les années 1960, son oeuvre était surtout connue en Allemagne, principalement pour ses opéras. C'est sous les doigts du pianiste tchèque exilé aux Etats-unis, Rudolf Firkusny que le dégel eut lieu. Concertiste célèbre, il put graver pour les grandes firmes occidentales la musique de son maître et ami.
Un premier enregistrement en 1953 (Columbia) puis un second en 1972 (Deutsche Grammophon) donnèrent à ces pages une interprétation de référence, et qui le demeure. Aujourd’hui l’oeuvre pour clavier de Janáček est largement enregistré. Mais cette version de son élève et compatriote épouse à merveille les voix intérieures du morave enraciné et tourmenté.
Piano sensible
Econome et directe, délicate et terrienne, pleine du chant de la langue parlée, cette musique joue le grave et le tendre. Elle dépouille le piano romantique pour le ramener sur les chemins de terre, les voix paysannes ou le bouillonnement de la rue.
Mais le folklorisme de Janáček ignore absolument le chromo pittoresque ou la citation “clin d’oeil”. Causante et mélancolique, sa musique émane du quotidien et des mouvements intimes. Comme toujours chez Janáček , le solfège se plie naturellement aux reliefs du vécu.
On y sent l’impressionnisme que Janáček goûtait chez Debussy, mais sans l’opulence harmonique et les abstractions chatoyantes du français.
“Quelqu’un dégoisait devant moi que seul le son pur importe. Et moi je dis qu’il ne signifie rien s’il ne se trouve pas dans la vie, dans le sang, dans le milieu environnant. sinon c’est un jouet sans valeur”
(Janáček à Max Brod, 1924)
Les miniatures qui constituent l’essentiel de son piano sont la musique d’un instinct sensible, d’une expression libre et immédiate. Elle sont comme de petites formes de vie, des instantanés basés sur un matériau mélodique simple, passé par des accidents et moments de plénitude.
Sur un sentier herbeux
Le cycle le plus célèbre et le plus représentatif de son art du piano est probablement Sur un sentier herbeux. Les pièces de cet opus en 2 parties forment une collection d’impressions, mêlant scènes de village et paysages intérieurs.
Nos soirées inaugure cet album par une tendre et mélancolique évocation. On passe devant une procession à La Vierge de Friek, vignette naïve ponctuée d’accords de marche solennelle. Plus loin, se tiennent des paysannes. Elles bavardaient en cellules volubiles qui se dissolvent dans l’air du soir.
Plus tard c’est le moment de se dire Bonne nuit. L’heure d’un crépuscule tremblé, au chant voilé. Une musique raréfiée et insistante, qui prélude à l’Anxiété indicible de la nuit. On repense au funeste présage de la Chevêche, à ce motif contracté et inquiétant, qui vient contaminer un chant campagnard et le rend plus hésitant, plus emprunté.
La deuxième série présente 5 pièces sans programme. Rêverie intranquille d’un Piu mosso, danse vive sur les pointes, au bord de l’atonalité de Vivo.. Et danse encore, cet Allegro adagio au romantisme compacté.
Dans les brumes et Sonate
Le second cycle, intitulé Dans les brumes poursuit l’introspection rêveuse et écorchée du musicien. Et toujours avec cette économie de moyens, cette simplicité du matériau passé au kaléïdoscope des humeurs, plein d’irrégularités. Ecoutez par exemple cet Andante, d’abord suspendu comme une page de Mompou..
Comme l’écrit très justement Joseph Colomb sur ce remarquable site consacré à Janáček :
“La difficulté d’interprétation ne réside pas dans une agilité digitale extraordinaire, mais plutôt dans la complexité d’unir des thèmes différents se suivant abruptement, de doser subtilement des intensités sonores s’opposant brutalement. Ces pièces ne mettent pas en valeur un pianisme superficiel, virtuose, à grands “effets de manche”(…). L’interprète, par contre, doit retrouver l’unité profonde de chaque pièce malgré la présence d’éléments apparemment contradictoires, doit donner à sentir l’ atmosphère mélancolique qui baigne une grande partie de ces pages.”
Enfin, troisième jalon du piano de Janáček , la Sonate 1.X.1905 “De la rue”. Elle est inspirée par la mort d’un ouvrier, tué lors d’une manifestation.
En 2 parties, la sonate travaille autour d’un thème unique. Dans le 1er mouvement Pressentiment, le thème est pris dans des vagues d’emballement, secoué et précipité par une rumeur grondante. Puis, à la Mort, il est cette fois seul, étiré et nu, dans une désolation tendre qui s’égrène après le tumulte.
Avec son piano concis et terrien, sa langue ductile et confidente, Janáček met le chant du monde sous les doigts de Firkusny, et le coeur à l’oreille.
A retrouver au catalogue de la BML.
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