Opéra cosmique
Espace hexagonal
Publié le 26/02/2024 à 17:46 - 21 min - Modifié le 05/03/2024 par pj
Dans la France de 1977, la musique du futur s’invite à peu près partout - à la radio et à la télévision, des sonorités synthétiques et de drôles de silhouettes en combinaisons métallisées fusent. Ce spatial si spécial a la couleur de l’aluminium et la texture du laser.
Entre rock progressif, psychédélisme, électronique planante et disco, la proto French Touch 70’s trouve sa voie : une contre-allée singulière assez largement synthétique, quoique parfois hésitante entre l’héritage du rock progressif et la nouvelle fièvre disco.
Space disco ?
Si le phénomène est essentiellement européen, il prend en France des allures de particularisme culturel – ce que le critique musical Peter Shapiro nomme “ce goût si français pour la musique robotico-kitsch“.
De 1977 à 1980, le space disco et son décorum envahissent les ondes et les écrans TV.
Rappelons que La Guerre des étoiles (Star Wars épisode IV) apparait sur les écrans de cinéma français en octobre 1977.
Un an auparavant, en décembre 1976, Jean-Michel Jarre publie Oxygène, qui révèle lui aussi ce goût immodéré pour le monde astral et ses mystères et permet à un large public de découvrir la musique dite électronique.
Avec le même succès, pendant cette période, Evangelos Odysseas Papathanassiou aka Vangelis réalise ses albums les plus futuristes et cosmiques – Albedo 0.39 sort en septembre 1976, suivi de Spiral en décembre 1977.
Sans oublier l’impact colossal du disco électronique produit par Cerrone et Giorgio Moroder.
Enfin, parmi de multiples autres inspirations, on peut aussi considérer la série de Sylvia et Gerry Anderson, Cosmos 1999 comme une probable influence esthétique.
Alors french, disco et cosmic, certains ont réussi à percer les limbes stellaires et de retour sur terre, délivrent leurs messages sibyllins.
Quoi de mieux que de reproduire les effets spéciaux de l’univers SF sur disque ?
Le space disco relève donc du phénoménal et de l’alchimie, tant les ingrédients qui le composent sont à la fois volatiles et énigmatiques, musicalement et techniquement.
Space
Un seul titre aura suffi au monégasque Didier Marouani alias Ecama et son groupe pour poser les jalons cosmiques de 1977 :
Le groupe en question s’appelait Space et leur “Magic Fly” amorça, aux côtés du “I Feel Love” de Donna Summer, la vague de disco synthétique de 1977.
Peter Shapiro ajoute qu’avec “cette obsession de l’espace et ces tendances prog-rock” :
“Magic Fly” n’avait rien aphrodisiaque : ses pulsations de claviers et ses rythmes séquencés faisaient plutôt voguer l’auditeur sur des océans topographiques et l’emmenaient explorer la face cachée de la lune.
Magic Fly est un peu l’hymne de l’année et Space fait sensation en s’immisçant absolument partout avec ce véritable hit des hits, de la fête de village aux dancefloors des clubs les plus en pointe.
Sur ce premier album, les arrangements sont globalement assez sophistiqués et le disco lascif Carry On, Turn me Me On à la production impeccable est carrément irrésistible.
Trois albums suivront, sans égaler l’efficacité de ce prototype. Deliverance, Just Blue et Deeper Zone, réalisés de 1977 à 1980 ne réussissent que rarement à susciter une réel engouement et se perdent en grandiloquence.
Space Art
Moon est l’un des premiers noms pressenti pour ce projet, mais c’est finalement sous celui de Space Art que le duo formé par le claviériste et arrangeur Dominique Perrier et le batteur Roger Rizzitelli enregistrera trois albums.
Les deux musiciens sont à ce moment-là de proches collaborateurs de Christophe et de Jean-Michel Jarre.
Si la musique de Space Art ne s’apparente pas directement à l’énergie du disco, l’imagerie et certaines ambiances sont indéniablement cosmiques.
De 1977 à 1980, Space Art, Trip In The Center Head et Play Back déroulent des paysages sonores épiques aux titres énigmatiques : Ode à Clavius, Laser en novembre ou encore Nous savons tout, dont la version maxi a été réédité en 2016 par le label Dark Entries.
Arp Odyssey, Polymoog, Memory Moog et vocoder définisse le son assez riche de Space Art, particulièrement sur Trip In The Head Center et les titres Speedway et Odyssey par exemple.
S’il restera longtemps méconnu, le troisième album Play Back renouvelle le son du groupe et réserve de belles surprises. On trouve par exemple un peu de l’ADN de Random Access Memories de Daft Punk sur le titre Welcome to Love de 1980.
Ces trois disques et une compilation ont été réédités par le label Because Music.
Droids
Sorti en 1978, Star Peace est l’album unique de Droids.
Il est précédé d’un 45 tours en 1977, dont les deux titres sont une limpide adresse aux fans de SF et de space opéra – (Do You Have) The Force.
La réalisation éclair du morceau The Force est en effet la réplique instantanée de ces jeunes musiciens, Yves Hayat et Fabrice Cuitad, à l’onde de choc galactique du troisième film de Georges Lucas et à son univers robotique.
Ce titre double ainsi que l’album Star Peace sont indéniablement de belles réussites. On retrouve notamment Shanti Dance, part 1 & part 2 sur la compilation Cosmic Machine.
Mais avec un album ignoré et deux singles seulement, le projet Droids rate malheureusement le coche et The Force passera plutôt inaperçu et sera redécouvert bien plus tard – il figure sur la compilation So young but so cold : underground french music 1977-1983.
En 1976, Yves Hayat a réalisé un unique album solo intitulé Conversation Between The East And The West qui anticipe avec vingt ans d’avance, la vague psyché-electro-lounge des années 90. Ce disque très réussi et jamais réédité est lui aussi à redécouvrir.
Arpadys + Voyage
Pas forcément simple de suivre les pistes multiples de cette entité polymorphe, signant entre 1975 et 1982, parfois V.I.P. Connection, Disco & Co, Spatial & Co ou bien encore Voyage ou Arpadys.
Certains de ces noms, ici Sauveur Mallia, Slim Pezin, Marc Chantereau, Pierre-Alain Dahan, Georges Rodi et Jean-Pierre Sabard, reconnus ou inconnus célèbres, circulent de disques en disques au gré des projets.
La seule année 1977, cette petite bande venue essentiellement de l’univers de la library music, publie sous le nom de Voyage, un disque aux accents disco funk et un autre sous le nom d’Arpadys, nettement plus cosmique, où se mêlent Rhodes et Polymoog.
Charlie Mike Sierra
Paru en 1977, On The Moon est le seul album que produira le trio Charlie Mike Sierra. Korg, Arp Odyssey et Mini Moog s’acoquinent ici encore avec une basse et une batterie disco notamment sur les sept minutes du morceau titre que les DJ de Horse Meat Disco glissent sur la playlist Meat me down the disco.
Les notes de pochettes fournissent les rares informations disponibles. Charlie Mike Sierra est le nom du trio aux manettes de ce module et l’alias de Raymond Jeannot un temps membre de l’éminente Bande à Basile.
Frédéric Mercier signera sous son nom l’album Pacific en 1979 et quelques titres épars. Malcolm Albee est le pseudonyme de Claude-Michel Schönberg qui s’illustrera dans l’univers de la variété au gré de diverses collaborations.
Herman’s Rocket
L’un des multiples projets du provençal Jean-Pierre Massiera, membre des groupes de prog rock Atlantide ou Visitors par exemple. Avec Herman’s Rocket et l’album Space Woman sorti en 1977, il tente de propulser lui aussi sa musique disco dans l’espace.
L’année suivante c’est sous le nouveau nom de Venus Gang que sort l’album Galactic Soul, dont le succès sera là encore tout à fait confidentiel.
Ces deux disques ont été réédités en 2009 par le label québécois Mucho Gusto Records.
Moon Birds
Venus eux aussi de la nébuleuse library music et également musiciens de studio, Roger Davy et Albert Assayag se réunissent pour le projet Moon Birds.
Dès 1976, le duo tente une première et unique mini aventure spatiale et disco psyché sous le nom de OK. LEM avec le 45 tours Baby Moon.
En 1977, Moon Birds sort Cosmos Nº1 le premier album, suivi de Energy-MC1 en 1978. Là encore les images des pochettes sont cosmiques et les titres sont explicites : Silver Moon, Fly in the Night, Astéroïde B 612, Supernova…
La recette est à la fois simple et novatrice, mais les deux 45 tours et les deux albums du groupe ne recueillent pas de réel succès.
La compilation Cosmic Machine – the sequel permet à ces disques oubliés de refaire surface.
Bernard Fèvre
On ne présente plus Bernard Fèvre, enfin si quand même… Après quelques prestations de library music et avant le projet Black Devil puis Black Devil Disco Club, on trouve donc ce Cosmos 2043 qui tombe pile sur terre en 1977.
A l’origine paru sur la label parisien Musax et réédité depuis, ce disque est composé essentiellement de courtes vignettes musicales et spatiales. Un peu prog, un peu cinématique et exclusivement électronique, le titre et l’image de couverture justifie aussi la place de l’album dans cette sélection.
La plage 11 connaitra ensuite une nouvelle gloire, puisque Earth Message a été samplé par les Chemical Brothers au cœur du morceau Got Glint? sur l’album Surrender en 1999.
Frédéric Mercier
On trouve une première fois le nom de Frédéric Mercier sur Patchwork, label exclusivement dédié à la musique d’illustration radiophonique et télévisuelle.
Cette expérience et ces premières compositions lui ouvrent les portes d’un studio professionnel et la possibilité d’enregistrer un premier album.
Pacific sort en 1978 et l’année suivante Frédéric Mercier enregistre dans la foulée Music From France.
En 2009, What We Talkin’ About le morceau d’ouverture de l’album The Blueprint 3 de Jay-Z est un sample de Spirit de l’album Pacific. Étonnant, non ?!
Plus sombre que l’ensemble, le titre Storm a particulièrement bien résisté au passage du temps terrestre.
Spirit figure en bonne compagnie sur la compilation Cosmic Machine.
bonus tracks !!!
Pour le plaisir, encore quelques raretés labellisées french + space + disco…
Rockets
Plus rock que disco, plus heavy que synth, on trouve néanmoins sur On The Road Again, Plasteroid et Galaxy trois albums consécutifs réalisés entre 1978 et 1980, quelques perles synthétiques.
Des morceaux farouchement cosmiques aux titres évocateurs : Space Rock, Cosmic Race, Astral World, Back To Your Planet, Galactica, In The Black Hole…
Les visages argentés des Rockets pourraient à eux seuls justifier la présence du groupe dans cette sélection.
Mayordom
Cet album sorti en 1978 permet au duo Mayordom formé par Joël Fajerman et Pierre Porte de donner une suite à leur travail pour le cinéma, l’illustration sonore ou la variété.
La même année deux 45 tours sont publiés sous le nom d’OVNI par Joël Fajerman, mais l’un et l’autre des projets en reste là et Mayordom disparait.
Final Offspring
Pas de suspense en ce qui concerne ce projet sans suite, fruit de la réunion de musiciens de variétés.
Avec un nom de groupe et un titre prédestinés, The destruction of Mundhora sorti en 1977, sera le seul album de Final Offspring.
Milkways
Pour terminer et danser plus librement, oubliez les combinaisons spatiales : voici Milkways le trio en pantalon blanc.
Quelques rares éléments permettent à peine d’identifier le groupe formé par Régis Dupré, Didier Guinochet et Rody Sainroch.
Leur unique album Milkways est sorti en 1978 et contient ce réjouissant Love for N.R. part 1 & part 2.
Depuis quelques années, le space disco retrouve de nouvelles couleurs grâce à une nouvelle génération de musiciens électro, comme Lindstrøm et Prins Thomas, qui semble avoir conservé un peu de cette étonnante substance 70’s.
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