zéro de conduite
0.0 Pitchfork
Publié le 07/06/2024 à 10:21 - 9 min - par pj
Pitchfork fait-il la pluie et le beau temps ? Le site est principalement admiré et redouté pour ses chroniques d'albums et les notes à la virgule près qui les accompagnent. Voici trois disques qui ont récolté un zéro pointé à leur sortie. The most trusted voice in music ?
Pitchfork ?
Le webzine, créé en 1995 à Minneapolis par Ryan Schreiber un tout jeune étudiant de dix-neuf ans, s’appelle à l’origine Turntable, puis Dotpitch, avant de devenir définitivement Pitchfork en 1996. Si cette version beta inaugure une nouvelle manière de faire de la critique musicale, c’est plutôt à partir du début des années 2000 que le site trouve son rythme et sa ligne éditoriale désormais très identifiable.
Sur Pitchfork, les critiques de nouveaux disques apparaissent au rythme de trois publications quotidiennes en moyenne. Même si de nombreux styles musicaux sont analysés, rock, pop, rap, électro le sont en majorité.
Le site fait également la part belle aux actualités du petit monde de la musique pop et ajoute épisodiquement des listes par genres ou par décennies. Une grille non exhaustive des sorties d’albums est mise à jour chaque semaine. Les rééditions importantes sont également signalées et notées. Depuis 2016, les Sunday Reviews sont consacrées à des albums emblématiques à redécouvrir.
Si l’influence grandissante et hégémonique du site, capable de faire et défaire une réputation, a été parfois vivement critiquée, son modèle est largement repris et on ne compte plus ses héritiers (Stereogum, The Line Of Best Fit, Northern Transmissions…).
0.0 ?
Un (très) bon disque obtient généralement une note comprise entre 7.0 et 8.0. Les notes supérieures sont relativement rares et de 9.0 à 10 on trouve principalement les albums ayant déjà marqué l’histoire de la pop et de la critique musicale.
Parmi les neuf albums gratifiés d’un 0.0 nous en choisissons donc trois – Shine On du groupe Jet, l’album de Liz Phair sorti en 2003 et NYC Ghosts & Flowers de Sonic Youth.
Shine On / Jet (2006)
Shine On est le deuxième album du groupe australien Jet. Paru en octobre 2006 il s’agit d’un disque de rock plutôt classique avec une touche de garage et un zeste de hard. Bien que généralement considéré comme un groupe de rock alternatif, l’esthétique et le son rapproche davantage Jet du format pop rock mainstream.
Très populaire en Australie, Jet joue un rock rétro vaguement labellisé “the new rock revolution” au début des années 2000 (White Stripes, Strokes…) et distribué dans le monde entier par Atlantic et Capitol – pas vraiment des labels indépendants…
Alors pourquoi décider de publier une chronique de ce disque ? Il semble pourtant clair que le rock revival de Jet ne correspond pas à la ligne Pitchfork.
Mais pour les jeunes rédacteurs du webzine, il s’avère outrageusement plus intéressant de « démontrez » l’inintérêt de ce disque à ce moment-là et de cette façon. La parole ne se libère pas authentiquement mais le geste est radical – en guise de commentaire cinglant, rien d’autre que la vidéo d’un chimpanzé rigolo et désinvolte :
Cette critique abrupte, sorte d’avant mème, sera ensuite simplement identifiée sur Pitchfork comme étant la plus courte jamais publiée. Record à battre !
Liz Phair / Liz Phair (2003)
Au début des années 90, le renouveau du son lo-fi est porté à son plus haut niveau de qualité grâce à des artistes comme Pavement, Beck, Dinosaur JR. et PJ Harvey. Liz Phair est l’une de ces sensations indie du moment grâce son formidable premier album, Exile In Guyville sorti en juin 1993 (suivi de Whipsmart, à peine moins incisif et tout aussi réussi en septembre 1994).
Après ce début fulgurant et une influence incontestable, dix ans pile sépare Exile In Guyville de ce quatrième album sans titre. Et contrairement aux deux premiers enregistrés en équipe réduite, celui-ci est calibré pour un virage pop mainstream assumé, co-réalisé par la team Matrix (Avril Lavigne…)
Loin de la délicatesse un peu rêche des premières chansons, la production assez impersonnelle et sans grand relief de cet album déçoit. Le disque, bien produit mais un peu lisse, se borne à une succession de chansons sans charme et définitivement débarrassé du caractère lo-fi.
C’est en substance ce que regrette Matt LeMay dix-neuf ans à l’époque. Ce disque pourrait être celui de n’importe qui. Le critique déçu pointe amèrement un véritable sentiment de trahison.
En 2019, l’auteur de la chronique publiera un mea-culpa et adressera ses excuses à l’artiste. Une nouvelle note sera d’ailleurs attribuée à l’album (6.0). Soberish paru en 2021 et dernier album en date de Liz Phair a obtenu un joli 7.0. Ouf !
NYC Ghosts & Flowers / Sonic Youth (2000)
Avec une constance et une rigueur audacieuse, Sonic Youth est sans conteste l’un des groupes les plus importants et les plus influents de ces quarante dernières années.
NYC Ghosts & Flowers s’inscrit clairement dans la veine la plus avant-garde du groupe new-yorkais. On ne saurait nier que l’écoute difficile de ce disque puisse néanmoins constituer l’un de ses atouts.
Ce disque s’apparente sans doute davantage à ce que le groupe recherche avec la série SYR ( Sonic Youth Recordings).
La critique présente NYC Ghosts & Flowers comme le disque de trop, sans attrait et caricatural de prétention intello new-yorkaise arty. Soit un fourre-tout conceptuel bourré de références indigestes ; insondable et inaudible, pareil à l’étalon bruitiste de Lou Reed, Metal Music Machine.
Sciemment, l’article ne se prive pas d’arbitraire et d’un jugement à l’emporte-pièce. Si John Cage, Glenn Branca et Yoko Ono sont effectivement invoqué.e.s, ce disque pernicieux est-il plutôt atonal ou atone ? Le 0.0 résolument sévère est véritablement assumé aussi comme une incompréhension de fan déçu face à un album qu’il trouve horrible.
La radicalité de l’album est en grande partie liée aux conséquences du vol dont le groupe est victime en tournée en juillet 1999 – vingt années d’instruments et de matériel unique minutieusement préparés, ainsi que les ébauches des futurs morceaux, disparaissent brutalement. Pour les quatre musiciens, il faut donc tout reprendre à zéro pour concevoir NYC Ghosts & Flowers…
Cette fois, pas de nouvelle note pour Sonic Youth mais un nouveau mea culpa de son auteur, Brent DiCrescenzo, devenu en 2013 rédacteur chef de Tim Out Chicago qui reconnait qu’il aime finalement beaucoup écouter ce disque. Pfff !
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