Sur les chemins de la santé mentale à Lyon

- temps de lecture approximatif de 25 minutes 25 min - Modifié le 04/07/2024 par Clairette

À l'occasion de son bicentenaire, l'hôpital Saint-Jean-de-Dieu, situé route de Vienne dans le huitième arrondissement de Lyon, offre une programmation culturelle variée du 15 mai au 31 octobre. L'événement phare de cette période est l'exposition intitulée « Un long fleuve intranquille ». Cet article vous propose une sélection de ressources documentaires sur les établissements de soins psychiatriques lyonnais après une brève histoire des hôpitaux psychiatriques de Lyon ainsi que sur la santé mentale et la psychiatrie après un rapide état des lieux du monde de la psychiatrie.

Affiche Expo Bicentenaire Saint-Jean-de-Dieu 2024
Affiche Expo Bicentenaire Saint-Jean-de-Dieu 2024

Histoire des hôpitaux psychiatriques lyonnais

L’hôpital Saint-Jean-de Dieu (1824-2024)

[Centre Hospitalier Saint-Jean-de-Dieu – La chapelle] – 2011, Yves Jalibert / Base Photographes en Rhône-Alpes

C’est le doyen des établissements des soins lyonnais aux portes de la Ville, encore en activité aujourd’hui. Et pourtant il n’est pas très connu par les Lyonnais contrairement à son voisin Le Vinatier.

L’hôpital fut créé en 1824 par les frères hospitaliers de l’ordre de Saint-Jean-de-Dieu sur le domaine de Champagneux , territoire communal de la Guillotière, aujourd’hui quartier du Moulin-à-Vent dans le 8e arrondissement de Lyon. Les religieux qui tiennent cet hôpital qui accueillera les « insensés » resteront en place pendant 156 ans avant que la gestion de l’établissement soit remise à la fondation ARHM (Association du Rhône pour l’hygiène mentale qui deviendra en 2017 l’Action et recherche handicap et santé mentale) en 1980 après avoir été vendu au Conseil général du Rhône.

Lyon : Hôpital municipal Saint-Jean-de-Dieu – Salle Jeanne d’Arc. Série blessés et soins. Guerre 14-18. Copyright France. Section photographique de l’armée

Comme un grand nombre d’hôpitaux municipaux, durant les années de guerre, l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu sera réquisitionné pour accueillir les blessés, soigner les hommes venus du front.

Aujourd’hui l’établissement emploie 1176 personnes et accueille chaque année à l’hôpital et sur ses 34 sites associées – plus de 14 000 malades des 94 communes du sud du département Rhône – ainsi que du 7e arrondissement de Lyon.

Dans les années 1960, le centre se développe afin de devenir un véritable lieu de vie avec l’ouverture d’une boutique (Le Bazar) et d’un foyer. Dès les années 1950, des liens avec des artistes ont été établis et depuis les années 1980 des concerts et des évènements sont organisés dans la chapelle et le parc.

[Centre hospitalier Saint-Jean-de-Dieu. Exposition Jacky Garnier] – 2001 –  Damien Charfeddine, Fonds Lyon Figaro / Base Photographes en Rhône-Alpes

L’exposition Un long fleuve intranquille, qui a lieu en ce moment, retrace deux siècles de soin depuis la genèse et l’essor de cette institution hospitalière jusqu’à aujourd’hui. C’est l’histoire singulière d’un établissement de santé créé par une communauté de religieux (1824-1980), transmis à une association laïque en 1980, devenue aujourd’hui fondation.

L’exposition est visible dans l’ancienne chapelle de l’hôpital jusqu’au 31 octobre 2024 et présente dans son parcours une œuvre emblématique monumentale : L’apothéose de Saint-Jean-de-Dieu au-dessus du Château de Champagneux, tableau anonyme de 1835 récemment restauré.

La bibliothèque municipale de Lyon a prêté à cette occasion plusieurs documents en lien avec l’histoire de cet hôpital, visibles dans l’exposition :

L’hôpital poursuit son ouverture culturelle avec des artistes, des écrivains.

En 2017, la romancière et poétesse lyonnaise Fabienne Swiatly a écrit un texte dans le cadre de sa résidence d’écrivain au sein des équipes de l’hôpital durant 2 semaines : 

« La nuit, elle arpente les couloirs et les cloîtres de l’institution, allant à la rencontre des soignants »

Un jour, je suis passée de nuit [Livre] / Fabienne Swiatly , 2018, éd. Color Gang, collection Urgences

Le Vinatier (1869-2024)

[Centre hospitalier Le Vinatier – Vue d’ensemble de l’hôpital construit entre 1869 et 1877 par l’architecte du département Georges-Antoine, dit Antonin Louvier] vue prise avant 1945 – Fonds Jules Sylvestre / Base Photographes en Rhône-Alpes

En 1877 la ville de Lyon se dote d’un hôpital spécialisé installé sur un terrain de 37 hectares acheté par le Conseil général du Rhône, au lieu-dit “Le Mas des Tours” dans l’Est lyonnais. Ce sera l’asile départemental d’aliénés de Bron.

Ce livre est le récit de l’histoire de photographies sur plaques de verre prises entre 1903 et 1914 par Hippolyte Laurent, alors infirmier de l’asile départemental de Bron.

Les 103 images sélectionnées appartiennent à un fonds de 423 plaques découvertes par hasard, déposées aux Archives Départementales du Rhône et de la Métropole de Lyon en 2019.

En 1937, l’asile deviendra officiellement l’hôpital psychiatrique départemental du Vinatier dont le nom provient de l’existence de vignes et de verger sur une dizaine d’hectares.

[Centre hospitalier Le Vinatier – Dortoir] vue prise avant 1945 – Fonds Jules Sylvestre / Base Photographes en Rhône-Alpes

Une ferme sera également construite sur les vastes terrains qui atteignent alors 112 hectares. Ces nouveaux aménagements, via l’accomplissement de travaux agricoles, favorisent la vie collective.

[Hôpital du Vinatier – Vue aérienne] 1969 – Fonds Georges Vermard / Base Photographes en Rhône-Alpes

A LIRE :

[Chapelle du centre hospitalier le Vinatier – Bron] – 2021, Xavier Caré / Base Photographes en Rhône-Alpes

Le Centre Hospitalier du Vinatier est aujourd’hui le deuxième établissement de santé mentale français, après le GHU Paris psychiatrie & neurosciences. Il accueille chaque année près de 30 000 patients.

Depuis la sectorisation de la psychiatrie de la fin des années 1980, le Vinatier compte plus de 60 structures externes de proximité : des centres médicaux psychologiques (CMP), des ateliers thérapeutiques qui travaillent en milieu ouvert (CATTP) au plus près des malades, des centres de jour, des appartements thérapeutiques, des centres post-cure, etc.

Le symbole de cette ouverture sur l’extérieur, c’est la Ferme du Vinatier, une unité culturelle qui depuis 1997 met en relation l’hôpital et la cité grâce à de nombreuses expositions, des pièces de théâtre, des festivals dont “Au cœur de tes oreilles” qui a lieu en juin (du 5 au 12 juin 2024).

La Ferme du Vinatier accueille régulièrement des artistes comme ce fut le cas de l’illustratrice Alexandra Lolivrel qui a été invitée en 2019 à séjourner pour réaliser une sorte de carnet de voyage à travers la psychiatrie d’aujourd’hui ; son reportage  a fait l’objet d’une publication aux éditions de L’épicerie séquentielle : 

Le Vinatier, radiographie d’un H.P. : reportage / BD Les rues de Lyon, n° 51 mars 2019 (lecture en ligne

Le Vinatier, c’est aussi un immense et magnifique parc qui s’étend sur 74 hectares, ouvert au public ; c’est le 3e de la métropole après le parc de la Tête d’Or et celui de Parilly, labellisé refuge de la LPO.

D’ailleurs tous les Lyonnais savent ce qu’est le Vinatier, il appartient au patrimoine lyonnais. Le récent renouvellement de son identité graphique confirme la volonté qu’un jour on oublie l’asile du Vinatier au profit du Centre de psychiatrie universitaire qu’il est devenu, pour valoriser la recherche, l’innovation, les progrès des neurosciences.

Pour terminer, voici une liste sélective de références bibliographiques sur ces hôpitaux psychiatriques disponibles à la bibliothèque municipale de Lyon :

Et pour aller plus loin, voici quelques réponses apportées aux questions du Guichet du Savoir par les bibliothécaires en lien avec ces hôpitaux :

Santé mentale et psychiatrie : évolution de la prise en charge des malades

Vénus coiffant d’un bonnet de folie ceux qui sont sous son emprise / Matthaus Greuter (1564-1638) / Estampe – Collections numérisées sur Numelyo

Approche historique rétrospective

Longtemps désignés comme des « insensés » et des « aliénés » privés de raison que l’on enfermait dans des asiles de fou – institutionnalisés par une loi de 1838 – pour les protéger mais aussi pour préserver l’ordre public, ils sont devenus des « malades mentaux » à partir de la création des hôpitaux psychiatriques (HP) en 1937 sous-tendue par l’émergence de la psychanalyse avec Freud au début du XXe.

Dès l’origine, politique(s) de soin et politique de l’ordre public sont liées ; cela est toujours vrai aujourd’hui.

La fin de la Seconde Guerre mondiale révèlera une terrible réalité dans les hôpitaux  psychiatriques :  des dizaines de milliers de malades mentaux sont morts de faim entre 1940 et 1945. Au Vinatier, deux mille patients y sont morts de faim et de froid.  

Les horreurs de la guerre vont changer les mentalités et la maladie mentale. Ce sera l’arrivée concomitante des nouvelles approches psychiatriques testées pendant la guerre et des nouveaux traitements : les neuroleptiques. Avec la reconnaissance de la psychiatrie, des écoles d’infirmières psychiatriques vont s’ouvrir : c’est le cas de celle du Vinatier en 1952.

Dans les années 1960 est mis en place un système d’organisation des soins dit “psychiatrie de secteur”, visant à offrir aux usagers des soins appropriés au plus près de leur domicile en assurant une continuité de prise en charge. Le département du Rhône est découpé en 12 secteurs Adultes et 9 secteurs enfants et ados repartis entre 3 hôpitaux psychiatriques : le Vinatier, Saint-Jean-deDieu ainsi que Saint-Cyr-au-Mont-d’Or.

Secteurs psychiatriques du Rhône – carte de 2015

Depuis les années 2000, on voit apparaitre une différenciation entre soin psychique et santé mentale. Aussi des acteurs qui ne sont pas forcément « psy » interviennent : travailleurs sociaux, acteurs du logement, élus, etc. La souffrance psychique est le versant subjectif de la souffrance sociale. Et depuis les confinements de la Covid-19, les préoccupations autour de la santé mentale n’ont jamais été aussi présentes. D’autres dynamiques renforcent ces phénomènes. La surexposition aux écrans, soupçonnée d’amplifier les troubles psychiques, ou certaines dérives de la quête de développement personnel sont à prendre très au sérieux. Des pathologies qui relèvent de la prise en charge, comme les addictions, ou la dépression, sont mal appréhendées.

A lire : La santé mentale des Français se dégrade en 2023 | vie-publique.fr

Face à la détresse des exclus et des SDF, des “unités de psychiatrie de liaison” ont été mises en place ; leur mission consiste en des déplacements des infirmiers, psychologues et psychiatres dans des lieux « non psychiatrisés ». L’équipe de la cellule intervient à la demande des travailleurs sociaux. L’interface permet de faire le lieu avec l’Hôpital.  Ces cellules n’existent pas dans tous les départements. A Lyon, elle est basée à l’Hôpital Saint-Jean-de-Dieu : la cellule Interface  

Les métiers de la psychiatrie sous tension

Face à ces maux, une médicalisation du mal-être s’est développée, permettant au malade de se fondre plus aisément dans la société, mais la psychiatrie a été et reste le parent pauvre des politiques de santé publique. Tout le monde est au courant par les médias, les journaux, les professionnels et praticiens de la santé que les hôpitaux font face à des difficultés importantes et croissantes, principalement liées au contexte économique, aux fermetures de lits et aux baisses de recrutement de personnels soignants.

[Manifestation contre la Loi Travail dite El Khomri], 2016, copyright Yves Jalibert / Base Photographes en Rhône-Alpes

L’exposition présentée en ce moment à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu qui décrit la vie quotidienne des patients et des soignants intervient dans un moment difficile de l’histoire de cette institution en fonctionnement dégradé depuis 2021 ; ces conditions alarmantes  ont fait l’objet d’enquêtes de journalistes de Rue89 Lyon publiées en 2022 et 2023 :

En 1992, le diplôme d’infirmier psychiatrique a été supprimé au profit d’un diplôme unique IDE (Infirmier diplômé d’Etat) et seuls quelques modules dans le cursus, notamment en 3e année sont prévue pour la psychiatrie. A Lyon, deux écoles de formation d’infirmier sont publiques (Vinatier et HCL)  sur les neuf existantes.  A Bron, le Vinatier emploie près d’un millier d’infirmiers et accueille autant de stagiaires, mais pour autant des postes sont toujours à pourvoir dans l’établissement ? C’est ainsi qu’en mai dernier, une journée a été dédiée au métier d’infirmier(e) en psychiatrie.

L’émergence des associations et des familles d’usagers

Depuis quelques années, les usagers, les patients eux-mêmes, agissent de plus en plus, d’autant qu’ils sont 70% à vivre dans leur famille et non dans les hôpitaux psychiatriques.

En psychiatrie, depuis 40 ans il existe des associations :

Cette dernière a signé en 2000 la Charte de l’usager en santé mentale avec le corps médical ainsi que le livre blanc des partenaires en santé mentale en 2001 dans le but de faire reconnaitre les droits de la population handicapée psychique.

Chiffres clés santé mentale des français 2023 [Source sante.gouv.fr]

  • En France, on estime que 15 % des 10-20 ans ont besoin de suivi ou de soin.
  • 7,5 % des Français âgés de 15 à 85 ans ont souffert de dépression au cours des 12 derniers mois.
  • 9 300 suicides et 200 000 tentatives de suicide par an, soit 24 décès par jours.
  • La psychiatrie représente 2,4 millions de personnes prises en charge en établissement de santé.
  • Les troubles mentaux représentent le premier poste de dépenses du régime général de l’assurance maladie par pathologie, avant les cancers et maladies cardio-vasculaires, soit 19,3 milliards d’euros.
  • Le coût économique et social des troubles psychiques est évalué à 109 milliards d’euros par an.
Les 10 chiffres clés de l’Observatoire 2021 sur la santé mentale

Des références d’ouvrages sur la santé mentale et la psychiatrie en France

Des auteurs incontournables, qui ont ouvert la voie de la psychiatrie dans les Sciences sociales :

Des BD qui abordent les maladies mentales

Des films de fiction qui abordent la maladie mentale et la psychiatrie

Des films documentaires qui abordent la maladie mentale et la psychiatrie

  • Titicut Follies / Frederick Wiseman, réal., 1967 – en DVD et en ligne
  • La Moindre des choses  / un film de Nicolas Philibert, 2002  – en DVD
  • Urgences  / Raymond Depardon, 2004 – en DVD
  • Regards sur l’hôpital psychiatrique / réal. Bibliothèque municipale de Lyon [conférence du 2 février 2006] : présentation d’un film tourné au Centre Hospitalier du Vinatier en 1956, au moment où la psychothérapie institutionnelle et l’introduction des premiers médicaments neuroleptiques opéraient une première transformation amenant l’asile de Bron à devenir un véritable hôpital – en DVD
  • Murmures / réal. de Jérôme Martin, 2014 – en DVD
  • 12 jours / Raymond Depardon, 2018. Tourné au centre hospitalier du Vinatier – en DVD
  • Sur l’Adamant /  Nicolas Philibert, 2023 – en DVD et en ligne
  • Averroès et Rosa Parks / un film de Nicolas Philibert, 2024

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