Des usines Lumière à l’Institut : une histoire du quartier Monplaisir
Publié le 01/02/2019 à 10:00 - 20 min - Modifié le 09/10/2019 par Laurent D
Avec son Festival, son Musée, son Institut, le « site » Lumière dans le quartier Monplaisir à Lyon est devenu l’un des lieux de prestige du patrimoine lyonnais et français. Pourtant, le destin de ce site aurait pu être tout autre sans la ténacité de passionnés voulant à tout prix préserver l’héritage des Frères Lumière. Retour sur une histoire pleine de méandres, de haut et de bas, de projets avortés et de créations heureuses.
Au commencement, le lotissement du comte de Tournelles
Monplaisir faisait partie de la commune de la Guillotière, c’était alors un faubourg de Lyon appartenant au Dauphiné sur la route d’Italie (actuelle avenue des Frères Lumière). Le secteur est pour partie propriété des Jésuites aux XVII° et XVIII° siècles puis devient le domaine de deux familles qui comptent parmi les plus grands propriétaires terriens de la rive gauche, les Vitton, et le comte des Tournelles. Ils possèdent chacun 70 hectares. Le comte des Tournelles est à la tête d’une propriété qui s’étend, si l’on prend comme repère la ville actuelle, de la Manufacture des Tabacs à la place Ambroise Courtois. Homme d’affaire avisé, il met au point une opération d’urbanisme sans précédent. Voyant la ville progresser vers l’est, et conscient des besoins de tranquillité des lyonnais, fatigués des nombreuses nuisances urbaines « inséparables d’une nombreuse population », il décide de découper son domaine en lotissement de près de 40 parcelles pour y construire des maisons de campagne : « avantage que tout le monde appréciera sans doute, car le besoin de respirer l’air pur se fait plus vivement sentir parmi les habitants de cette ville laborieuse que partout ailleurs…» Lui-même possède sur place un petit château. Pour assurer le succès financier de son opération, il donne à son vaste projet un nom commercial des plus séduisants Village de Monplaisir et Campagnes de Sans-Souci.
L’implantation des usines Lumière
Lorsqu’en 1852 la ville de Lyon absorbe ses faubourgs elle récupère d’immenses étendues. Les quartiers Monplaisir et Bachût deviennent des lieux d’élection des activités mécaniques, et si l’industrie vient sur ce territoire c’est qu’elle y trouve son compte : de vastes terrains à bon marché nécessaires à son implantation, de l’eau dans les sous-sol pour alimenter les usines, une main d’œuvre abondante sur place, et une bonne desserte par les chemins de fer de l’est. La variété des activités est très grande, des pionniers de l’industrie chimique et métallurgique, aux grands établissements de l’industrie électrique et électronique.
C’est en 1881, au 25 rue Saint-Victor, à Monplaisir, à l’emplacement d’une ancienne chapellerie, qu’Antoine Lumière installe famille et usine. Dans cette zone frontière à l’est de la ville ancienne, où on peut voir « comme dans telle ville de l’Ouest américain, voisiner de modernes constructions, d’immenses usines aux lignes autoritaires, avec des villas aux ambitions bourgeoises et des masures, de minables et hésitants ramas de cours et d’entrepôts ».1
En 1890, les Lumière achètent les 4000m² de terrain qu’ils louaient encore, puis les parcelles environnantes. Au début du 20e siècle, les usines lumière occupent 30 000m² de terrain à Monplaisir. En 1906 plus de 900 personnes, ouvriers et ouvrières, chimistes et personnels administratifs œuvrent à la fabrication des plaques et papiers photographiques.
1 Kleinclausz, Histoire de Lyon tome III, page 271.
La construction de la villa d’Auguste et Louis Lumière
Porté par le succés triomphal et international de l’invention du cinématographe en 1895, l’entreprise des Lumière connait un essor fulgurant. Elle produit des milliers d’appareils par an. les frères Lumière sont riches et considérés. Ils font alors bâtir, par l’architecte Pierre Court, une demeure qui fige dans la pierre le serment de « La Goule aux fées », ce désir si fort de ne jamais se séparer et de travailler ensemble toute leur vie. La villa « jumelle », c’est son surnom, est surmontée d’un belvédère d’où l’on domine le paysage. Un majestueux escalier permet d’accéder aux deux appartements qui se font face : à droite celui d’Auguste et de son épouse Marguerite Winckler, à gauche, celui de Louis et de son épouse Rose Winckler (soeur de Marguerite). De la terrasse supérieure, on peut contempler la basilique de Fourvière qui domine la ville. A l’arrière de la Maison, une petite porte permet d’accéder au jardin qui borde l’usine.
La construction de la villa d’Antoine Lumière, dénommée “Le châteaux”
L’initiative des deux fils relance la fièvre architecturale d’Antoine, car s’il possède d’imposantes villas à l’extérieur de Lyon, il ne possède qu’une demeure anodine et modeste située dans la rue Saint-Victor à Monplaisir. C’est ainsi qu’il entreprend en 1898 d’acquérir les terrains nécessaires à la construction de sa nouvelle demeure: il achète quatre propriétés bâties à l’angle sud-est de l’ilot sur lequel sont déjà implantées l’usine, la villa de ses fils et sa propre maison. Les anciennes bâtisses sont rasées pour faire place à l’imposant « Château Lumière », ainsi nommé dès l’origine par les habitants du quartier, dont il trace les plans lui-même aidé par les architectes, Charles-Joseph Alex et Paul Boucher. Cette belle maison de maitre à l’architecture néoclassique mais où est sensible l’influence de l’Art nouveau est achevée en 1901.
Conçue pour être la demeure familiale, cette villa fastueuse n’est, en fait habitée que quelques années par Jeanne-Joséphine Lumière, épouse d’Antoine. A sa mort, en décembre 1915, la maison échoit à leur fille, Mélina-Juliette, qui en a l’usufruit jusqu’à sa mort, en 1938. Elle devient officiellement propriété de la Société Lumière en 1950.
Edouard Herriot inaugure la rue du 1er film
C’est aux Lumière et à leurs activités que le quartier Monplaisir doit sa prospérité. Le Progrès de Lyon ne note-t-il pas déjà en 1907, à propos de Monplaisir “Qu’une petite ville est sortie de terre dont l’usine est le cœur”. L’année de la mort d’Antoine Lumière en 1911, une pétition d’intérêt local de Monplaisir demande que son nom soit donné à une voie de ce quartier, “ C’est dans ce quartier de Monplaisir que M. Lumière a établi ses usines, c’est là aussi qu’il a créé une véritable cité et que lui-même et sa famille ont répandu leurs bienfaits”.
C’est ainsi que le 1er juin 1930, l’ancien chemin Saint-Victor où furent conçues les premières pellicules devient la rue du Premier Film. L’inauguration de la nouvelle rue se produit place Monplaisir devant un millier de personnes. Cette petite fête, à la fois officielle et populaire « qui compte au premier rang les collaborateurs des Lumière, les témoins quotidiens de leur œuvre et jusqu’à ses employés vétérans qui furent les acteurs improvisés des premiers films, fut l’affirmation sans réplique que le cinématographe est né là et non ailleurs.” 2
Le président du comité M. Givaudan conclut son discours en déclarant : « C’est un geste de justice et de fierté que nous accomplissons en rendant hommage à ces deux hommes de science qui ont si puissamment contribué à accroitre dans le monde le rayonnement de la pensée française […] La cérémonie d’aujourd’hui, est le prélude d’une série de fêtes que notre comité organisera pour commémorer l’invention du cinématographe à Lyon-Monplaisir, et ses auteurs MM. Auguste et Louis Lumière. Pour marquer l’événement de façon définitive, nous voulons édifier sur cette place même un monument digne de l’invention et des inventeurs. Puis nous envisagerons le Palais du cinématographe, centres d’études et de documentation, sorte de musée constamment mis à jour”.
“Je souhaite enfin – conclut le maire de Lyon, Edouard Herriot, qui orienta son discours vers une nouvelle tendance du cinéma depuis le début des années 20: le cinéma dit éducateur « que l’admirable invention des Lumière se tourne davantage vers l’enseignement scolaire. Le moulin à images peut et doit apprendre aux enfants rapidement, solidement, joyeusement, toutes les beautés de la vie.»3
2 Le Progrès de Lyon du 02/06/1930
3 Ibid
Le projet d’un « Centre Lumière »
La création de la rue du Premier-film, n’est que la première étape d’un projet de commémoration Lumière de grande envergure.
Après le décès des frères Lumière, un nouveau comité se forme avec l’appui des autorités municipales. Il prend le nom de Comité pour l’hommage aux frères Lumière. Son but, réaliser un monument commémoratif. “Un certain nombre d’amis et d’admirateurs de MM. Auguste et Louis Lumière se sont unis dans la pensée de marquer solennellement, d’abord par une manifestation d’envergure nationale et, si possible, internationale – ensuite par un monument grandiose – l’invention du Cinématographe à Lyon par les frères Lumière. Vous estimerez que c’est un devoir pour nous les amis directs des Lumière, de prendre une telle initiative et de montrer au monde entier combien nous sommes fiers que cette grande étape du progrès humain se soit faite dans notre belle cité lyonnaise”.
Le Comité fait appel à l’architecte Georges Trévoux pour l’édification d’un Centre Lumière. Celui-ci devra comporter divers organismes culturels, notamment un Palais du cinématographe, avec musée, cinémathèque, salles expérimentales, salles de congrès, etc. « G. Trévoux avait imaginé un ensemble sous l’aspect d’une sorte de temple babylonien […] abritant les divers organismes demandés ; le parvis était prévu assez vaste pour que se déploient féeries et ballets. La vie serait symbolisée par une chute d’eau jaillissant à mi-hauteur du bâtiment et s’écoulant sur des dalles de verre évoquerait les films appartenant à l’histoire du cinéma. Le projet était grandiose, énorme, et pratiquement irréalisable par son prix…». 4 Il fallait voir grand, se mettre hors de portée des suiveurs, décourager Paris ou tout autre capitale de lancer une entreprise comparable.
Pour accompagner ce projet on constitue un Comité d’honneur dont la présidence est confiée à Edouard Herriot. On relève parmi les 150 personnalités qui le composent, de nombreux producteurs et réalisateurs de films. Une plaquette intitulée « Images de Lumière » éditée par les soins du Comité et préfacé par le président Herriot est envoyée aux quatre coins du monde. On lit dans ce document « Les frères Lumière méritent d’être considérés comme d’authentiques bienfaiteurs de l’humanité. Les hommes de toute race se doivent d’honorer leur mémoire en participant à la souscription mondiale destinée à élever à ces savants un monument digne de leur prestige. »5
Cet appel exalté et très largement diffusé ne donne pas les résultats espérés. Le projet monumental est finalement abandonné, et revu à la baisse pour un ensemble bien plus modeste et beaucoup moins onéreux.
4 Revue Rive gauche, n°72, mars 1980
5 Ibid.
Le monument des frères Lumière
Le Comité a déjà son projet tout prêt que lui a dessiné dans les grandes lignes l’architecte Hubert Fournier. « Dans notre esprit – explique M. Roger Charpentier, le président du comité, au maire de Lyon, Louis Pradel – ce monument commémoratif du cinéma à Lyon rappellerait cette idée par un mur ou un fronton de projection avec l’effigie des savants et une inscription très simple. »6 Le comité met alors au concours la conception définitive et la décoration d’un futur monument dont l’emplacement se situera place Ambroise Courtois, en bordure du Cours Albert Thomas. « Cette place – écrit le président du Comité Lumière au maire Pradel – pourrait devenir une des plus attrayante de Lyon […] Sa réfection serait justifiée par l’état médiocre dans laquelle elle se trouve, lequel ne correspond plus au standing d’un quartier qui comprend : Facultés, hôpitaux, centre anticancéreux, etc. »7 Le 12 octobre 1956, le jury présidé par Edouard Herriot retient le projet du sculpteur Francisque Lapendéry.
Dès 1957, un panneau est posé sur la place pour indiquer l’emplacement du futur monument. En 1958 le Comité parvient à faire édifier les fondations et le podium grâce à une subvention de la ville. Mais même réduit à un écran de pierre, le monument des frères Lumière est d’un coût trop élevé par rapport au montant de la souscription. Faute de moyen financier suffisant le chantier est interrompu. Le Comité se tourne alors vers les célébrités du cinéma, pensant que ceux qui devaient leur gloire et leur fortune allaient largement les aider. Espérances déçues. Le Comité s’en ouvre à la presse: « […] nous nous trompions ; avec un bel ensemble, elles répondirent (les célébrités du cinéma) qu’elles étaient des vedettes de théâtre et que par conséquent les inventeurs du cinéma les laissèrent indifférentes !!! Charlie Chaplin ne répondit pas, Brigitte Bardot non plus, de même Jean Gabin, Pierre Fresnay ; Maurice Chevalier était, à son avis, plus un homme de théâtre… Fernandel avait donné 10.000 francs anciens, pour le monument de la Ciotat, inauguré en 1958, il ne pouvait pas faire mieux […] »8
Le chantier de la place Ambroise Courtois ne peut reprendre qu’en raison de la générosité de l’entrepreneur de travaux publics Napoléon Bullukian, un « enfant de Monplaisir ».
Le monument est inauguré le 30 septembre 1962. Aucune personnalité du cinéma n’a été invitée. Le lendemain de l’événement, le maire, Louis Pradel, tient à s’exprimer au sujet du monument en commission générale : « M. le maire rappelle que l’inauguration de ce monument qui perpétuera le souvenir des inventeurs du cinéma, dont vivent quantité de producteurs et de vedettes, a eu lieu hier. Il a pu être érigé uniquement grâce au concours de la municipalité et des lyonnais, car les gens intéressés par la découverte du cinéma ont été d’une ingratitude qu’il est utile de signaler […] M. le maire est heureux de voir ce monument terminé. Il signale que la ville a fait un gros effort pour l’aménagement de la place qui l’entoure. »9
6 Les cinémas de Lyon
7 Ibid.
8 Ibid.
9 Lyon Archives municipales, série M (419 WP 51). Séance de commission générale du 1er octobre 1962
Les années 70, démolition des usines et de la villa d’Auguste et Louis Lumière
Dans le nouveau contexte industriel et économique de l’après-guerre, des Trente glorieuses, l’entreprise Lumière est confrontée à la concurrence internationale et aux nécessaires concentrations. Les ateliers apparaissent vétustes, les procédés de fabrication couteux, le personnel trop nombreux. La puissance du groupe industriel construit par Auguste et Louis s’effrite lentement. En 1961, la Société Lumière entre dans le groupe CIBA, société suisse de colorants qui, dans le même temps, se rapproche d’ILFORD. Le nouveau groupe, dénommé C.I.L. (Ciba-Ilford-Lumière), acquiert à la fin des années 60 un terrain de 72 hectares à Saint-Priest pour y construire une usine moderne.
Un homme, Paul Génard, grand collectionneur d’objets cinématographiques, et ardent défenseur de la mémoire des Lumière, qui s’était vu confié en 1964, par le maire Louis Pradel, la création d’un musée du cinéma à Lyon, propose à la municipalité devenue acquéreur d’un ensemble d’immeubles appartenant aux usines Lumière, d’installer le musée du cinéma dans la villa anciennement occupée par Antoine Lumière. Il demande également à la ville d’acheter le terrain où se situe l’usine en dents de scie attenante au hangar historique que l’on voit dans le film Lumière « Sortie d’usine » et de sauver de la démolition à la fois le château et ce qui fut le premier décor de cinéma.
Louis Pradel se montre sensible au projet de sauvegarde que lui expose Paul Génard. Ce dernier reçoit alors pour mission de s’occuper de l’achat du « Château » en ayant soin ” d’en tirer un bon prix de la Société Lumière. » L’accord de vente se produit quelques années plus tard. La presse s’en fait l’écho, « Feu vert pour le musée du cinéma, d’accord pour acheter le château Lumière au prix fixé par les domaines : 1 600 000 francs ». Un projet est lancé. Des dessins d’architecte, des plans sont réalisés.
« Monsieur Génard, c’est vous je crois, qui vous occupez de tout cela, je suis chef de chantier, on est en train de démolir l’usine, il faut me dire où il faut s’arrêter » Je dis « vous démolissez l’usine, mais qui vous a donné cet ordre ? » […] Alors j’ai quitté mon cabinet (Paul Génard exerce la profession de chirurgien-dentiste), je suis parti là-bas. Ils avaient attaqué le hangar. J’ai dit « écoutez, Monsieur, vous arrêtez, vous stoppez ! » et je file à la mairie. […] j’ai fait un « foin de tous les diables » et finalement j’ai pu obtenir qu’on stoppe la démolition. Mais l’usine était démolie […]10
Par chance le hangar a été partiellement préservé.
La municipalité avait cédé la maison des frères Auguste et Louis Lumière à M. Napoléon Bullukian. Celui-ci décide de la démolir pour y construire un immeuble et une station-service. « C’est cette villa qui avait un escalier qui se divisait en deux. D’un côté il y avait l’appartement des Louis, de l’autre l’appartement des Auguste. Au sous-sol, il y avait cette fameuse salle de billard avec un orgue. Dans l’entrée, sous une cloche de verre, il y avait un microscope magnifique, qui était de toute beauté…Et alors…ce qui m’a fait mal au cœur…c’est qu’ils l’ont démoli aussi. » 11
10 Interview de Paul Genard. Les avatars du « site » Lumière de Lyon – contribution à une histoire du patrimoine industriel lyonnais
11 ibid.
Le « Château » Lumière devient Fondation Nationale de la Photographie
La Fondation Nationale de la Photographie s’installe en 1978 au Château Lumière, sauvé de la destruction par Paul Genard. Cette fondation a été créé en 1976 par Michel Guy, lors d’un accord entre la Ville de Lyon et l’état concrétisé par la signature d’une charte culturelle, et à l’initiative de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR). La municipalité souhaite trouver une destination à la Villa Lumière qu’elle a rachetée et qu’elle projette de restaurer tandis que la Délégation interministérielle aspire à promouvoir une action culturelle d’envergure nationale dans une métropole régionale.
Après des débuts difficiles – le changement de personnalité à la tête du ministère, l’obligation de dégager des crédits d’aménagement – les travaux de restauration de la villa peuvent débutés en janvier 1978, et pour permettre l’inauguration neuf mois plus tard, l’espace intérieur est mis en chantier. Sous la conduite de Bernard Chardère (alors délégué général de l’institution) les espaces sont aménagés en salle d’exposition et de projection dans le respect du style d’époque. Ainsi le « château » reprend-il vie : « Son charme d’antan réapparait sous les décapages. Les restaurateurs-fresquistes n’ont-ils pas réveillé sous les couches de badigeon le décor primitif du Hall : pampres et maïs agrémenté de quelques poulettes d’argent au pochoir. Le décorateur, Jérôme vital-Durand a reconstitué avec goût l’atmosphère d’une grande et riche demeure familiale au début du siècle… » 12
L’inauguration de la Fondation a lieu le 22 septembre 1978. Le maire de Lyon Francisque collomb, est assisté de ses deux adjoints à la culture MM. Joannès Ambre et André Mure. L’état est représenté par M. Raymond Barre, premier ministre et de M. Jean-Philippe Lecat ministre de la Culture et de la Communication.
Ce jour-là, c’est une réelle effervescence de fête qui règne au château Lumière dont les pelouses sont remplies d’une foule dense et bienveillante. Le succès est total la presse lyonnaise laisse éclater sa fierté de voir Lyon accueillir une structure nationale : « Monsieur Lumière revient à Monplaisir », « Lyon, cité des Lumières », « Décentralisation culturelle à Lyon ». Dans son discours le premier ministre rappelle fermement sa position sur la question de la décentralisation : « Je suis personnellement attaché à une telle décentralisation, je veillerai à ce qu’elle se réalise. Je veillerai aussi à ce qu’elle soir inspirée par le souci des réalités et par le désir d’implantations durables, non par un esprit de complaisance qui n’aboutirait qu’à des résultats éphémères ». 13
12 Le Progrès du 22 septembre 1978
13 Discours de Raymond Barre, Inauguration de la fondation nationale de la photographie, 22 septembre 1978
L’institut Lumière s’installe dans la villa Monplaisir
La création en 1982 d’un Centre National de la Photographie à Paris, projet à l’initiative de Jack Lang, alors Ministre de la Culture et de la Communication, laisse la place dans le château Lumière, à l’Institut Lumière, fraîchement crée, et menace dans son existence la Fondation de la photographie. Par ailleurs, la ville de Lyon ambitionne toujours de mettre en oeuvre son projet de musée du cinéma à partir des collections d’appareils cinématographiques anciens de Paul Génard et du fonds Lumière de films et d’appareils. Elle attend depuis plusieurs années un financement de l’état pour le concrétiser. Justement en 1982 c’est chose faite : « Et puis, brusquement, l’état dit : « d’accord pour l’Institut Lumière… » 14
Ces deux combats- interne contre le cinéma (la ville de Lyon souhaite avant tout promouvoir l’Institut Lumière afin de préparer la commémoration du centenaire du cinéma à Lyon), et externe contre le centralisme parisien, vont conduire la fondation à connaître de graves difficultés. Celle-ci doit affronter une « double cohabitation », une cohabitation au quotidien dans le château qui avait été le sien et qu’elle doit partager avec l’Institut Lumière. Une autre cohabitation , dans l”espace du territoire national, avec le nouveau centre parisien pour la photographie. Cette situation a pour conséquence, au fil du temps, de réduire le champ d’action intérieur de la fondation (moins d’espace d’exposition, disparition du laboratoire, quasi impossibilité d’utiliser la salle de projections, plus de possibilité d’hébergement). la Fondation Nationale de la Photographie est dissoute en 1993.
14 Entretien avec André Mure, adjoint au maire de Lyon, chargé des affaires culturelles (1977-1989) in La fondation nationale de la photographie
Le décor du Premier-Film n’existe plus
A part le portail d’origine, qui avait été changé, le hangar et le mur rue du Premier-Film ont résisté aux transformations du quartier, et notamment à la démolition des usines dans les années 70. En 1984 il était donc encore possible de voir le décor grandeur nature du premier film tourné au monde, « La sortie des usines Lumière », et que toutes les cinémathèques ont montré.
Ce vestige historique disparait néanmoins brutalement au mois de novembre de la même année. Sacrilège crie-t-on du côté de l’Institut Lumière présidé par le cinéaste Bertrand Tavernier ; « C’est absolument déplorable » s’indigne Bernard Chardère, alors directeur de l’institution, qui découvre la démolition un beau matin « Je n’étais au courant de rien du tout ! ». A la mairie centrale on ne sait rien non plus. Renseignement pris, la malencontreuse initiative revient à la mairie du 8ème arrondissement. Depuis des mois, Robert Batailly, le maire, demandait le nettoyage de ce terrain, qui jouxte le « château Lumière » espace envahit d’immondices et cadre de « fréquentations étranges »15 afin d’y réaliser une zone de loisir pour le quartier. La polémique enfle, l’adjoint à la culture, André Mure, affirme “qu’il n’est pour rien dans cette démolition, bien au contraire, puisque la ville a déjà dépensé 200 000 francs pour consolider le hangar, autant en frais d’étude pour le projet d’extension de l’Institut Lumière qui va être financé notamment par la municipalité et la région. »16 Robert Batailly assure de son côté que le hangar sera entouré d’une « barrière élégante et transparente »17, et le « mur rebâti à 80 centimètres de hauteur»18. Sur le « site Lumière » une nouvelle page historique est tournée.15 Le Progrès du 30/11/1984
16 Ibid.
17 Le Progrès du 21/11/1984
18 Ibid.
Un « lieu de mémoire »
Le cycle des destructions touche à sa fin. Au cours des années 90 le « site Lumière » entame sa mue pour devenir le lieu de « mémoire et d’avenir »19 du cinéma auquel ont tendu tant de passionnés du 7éme art et admirateurs des Lumière.
Le « château » a été en totalité inscrit à l’inventaire des monuments historiques par arrêté en date du 20 mai 1986. Il sera également labellisée maison des illustres en 2011.
A son tour le hangar est classé monument historique par arrêté du 2 décembre 1994. Pour certains, « Plus que le château Lumière protégé uniquement pour les souvenirs qui s’y rattachent, c’est le « Hangar du Premier-Film » qui aujourd’hui, est le symbole de la commémoration lyonnaise du cinéma. »20
Que le « hangar du Premier-Film » désormais classé monument historique, bénéficie de la même protection que la cathédrale de Chartres, le château de Versailles ou la grotte ornée récemment découverte à Vallon-Pont-D’arc mérite sans doute explication. Car, à l’évidence, ce n’est pas son intérêt architectural qui m’a conduit à prendre cette mesure, ni même le fait qu’il constitue désormais l’unique vestige des anciennes usines Lumière, mais bien ce statut exceptionnel de premier décor de la première image du cinématographe. Support matériel du film tourné le 19 mars 1895 par Louis Lumière, le hangar fait partie intégrante d’une image universellement connue, et à ce titre, présente bien, l’esprit de la loi de 1913, « un intérêt public au point de vue de l’histoire ou de l’art » en l’occurrence ce « septième art » auquel donna naissance l’invention des frères Lumière. Il faut donc se réjouir que, par un acte à haute valeur symbolique, soit entreprise en cette année « du premier siècle du cinéma » la construction sur ce site d’une salle de projection dont l’accès se fera précisément par le décor du premier film, ce hangar qui fait désormais partie de la mémoire collective de l’humanité, en un mot de notre patrimoine.
Jacques Toubon, ministre de la Culture et de la Francophonie
Texte paru dans : Direction régionale des affaires culturelles Rhône-Alpes, Le hangar du Premier-Film, n° spécial de Patrimoine(s), mars 1995
19 Le Progrès du 5/07/1998
20 Les cinémas de Lyon
Sélection bibliographique
- Les frères Lumière
- Institut Lumière : musée vivant du cinéma / Institut Lumière
- Un demi-siècle, ici, dans la culture / Bernard Chardère
- La Perte et la Mémoire : Vandalisme, sentiment et conscience du patrimoine à Lyon
À lire également sur l'Influx
Poster un commentaire
One thought on “Des usines Lumière à l’Institut : une histoire du quartier Monplaisir”
Comments are closed.
Bonjour, je recherche l’histoire des images qu’il y a sur le monument dédié aux frères lumières situé à la place Ambroise courtois.