Villers-Cotterêts, lieu toujours emblématique du français
Du XVIe siècle à nos jours, le long chemin de la langue nationale
Publié le 05/06/2020 à 08:00 - 8 min - Modifié le 13/06/2020 par AudreyB
À seulement quelques kilomètres de Paris, le château de Villers-Cotterêts n’évoque plus la magnificence de ceux qui l’ont habité. Abandonné depuis 2014, des travaux de restauration et de transformation avaient commencé en mars dernier pour en faire d’ici 2022 "un lieu de création, d’innovation et de diffusion de la culture en langue française dans le monde" selon les mots du président de la République Emmanuel Macron. Autrement dit, en faire une Cité internationale de la langue française avec expositions, spectacles, résidences, ateliers,.... Si Villers-Cotterêts a été choisi pour célébrer notre langue c’est parce qu’ici, en 1539, le français est devenu la langue officielle de notre pays. Toutefois cette officialisation ne se fit pas en un jour et il faudra attendre plusieurs siècles avant que le français du roi s’impose dans toute la France.
L’ordonnance de Villers-Cotterêts
C’est entre 1528 et 1540 que le roi François Ier fait construire le château, à proximité de la forêt de Retz où il aimait chasser. Comme pour celui de Fontainebleau, le roi fît aménager et agrandir un édifice plus ancien dans le style Renaissance. Mais à la différence de ce dernier, le château de Villers-Cotterêts est surtout célèbre pour l’ordonnance qui y fût signée en 1539.
En effet, c’est ici que François Ier signa l’Ordonnance de Villers-Cotterêts ou Ordonnance Guillemine, du nom du Chancelier Guillaume Poyet qui rédigea le document. Cette dernière rendit l’usage du français obligatoire dans les actes de l’administration et de la justice, remplaçant le latin. Cet acte avait pour objectif de faciliter la compréhension des documents mais aussi d’affermir le pouvoir monarchique en s’affranchissant de la langue antique.
Sur les 192 articles signés et enregistrés au Parlement de Paris le 6 septembre 1539, seuls les articles 110 et 111 concernant la langue française n’ont jamais été abrogés. Il s’agit là des plus anciens textes législatifs toujours en vigueur.
Article 110 : Afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence des arrêts de justice, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement, qu’il n’y ait, ni puisse avoir, aucune ambiguïté ou incertitude, ni lieu à demander interprétation.
Article 111 : Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l’intelligence des mots latins contenus dans lesdits arrêts, nous voulons dorénavant que tous arrêts, ensemble toutes autres procédures, soit de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soit de registres, enquêtes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques actes et exploits de justice, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties, en langage maternel français et non autrement.
Si nous retenons souvent cette date comme symbolique, n’oublions pas que Charles VIII en 1490 et Louis XII en 1510 avaient déjà imposé l’emploi du français dans les actes juridiques.
Villers-Cotterêts après François Ier
De grands noms de la littérature sont passés à Villers-Cotterêts. Rabelais séjourna au château, Molière y présenta son Tartuffe pour la seconde fois au roi, quant à Alexandre Dumas c’est un natif de la ville.
En 1808 le château est transformé en dépôt de mendicité jusqu’à la fin du siècle. Les grandes cérémonies ne sont plus. Désormais, les mendiants, les délinquants et les malades y sont enfermés avant que les lieux ne soient transformés en maison de retraite, puis en EHPAD. Entre les plafonds sculptés et les chambres ternes de l’ancien EHPAD, les murs témoignent des époques que le château a traversées et des hommes qui l’ont habité.
Classé monument historique à la fin du XXe siècle mais fermé pour insécurité en 2014, il est depuis laissé à l’abandon et se délabre un peu plus chaque année. Afin de restaurer le bâtiment et d’en faire une Cité internationale de la langue française, l’État a remis en mars 2019 la gestion du château au Centre des monuments nationaux (CMN). Comme annoncé par Franck Riester lors de sa présentation du budget 2020 du Ministère de la Culture, un crédit de 43 millions d’euros sera débloqué pour que le projet voie le jour en 2022.
Au programme : spectacles, résidences d’artistes, ateliers d’écriture ou encore expositions autour de la langue française. L’occasion pour nous de revenir sur la francisation de notre pays et comprendre comment le français du roi s’est imposé face au latin et aux langues étrangères et comment il est devenu la langue nationale, parlée par tous.
Un français en plein essor
Dix ans après l’Ordonnance de Villers-Cotterêts, en 1549, Joachim Du Bellay, un des sept poètes de la Pléiade, écrivait La Défense et illustration de la langue française. Les membres de la Pléiade souhaitaient ériger le français au statut de langue noble et littéraire, comme l’était le latin et comme les italiens avaient fait quelques années plus tôt. Considérant qu’une langue forte est constitutive d’une grande nation, les auteurs se sont mis au service de la langue française, participant au rayonnement de la France et de ses monarques.
Joachim Du Bellay mais aussi Pierre de Ronsard, Étienne Jodelle, Rémy Belleau, Jean-Antoine de Baïf, Jacques Peletier et Pontus de Tyard se sont donc attachés à rédiger les premiers monuments littéraires français, considérant déjà le latin et le grec comme des langues d’un autre temps. À travers leurs œuvres et leurs textes théoriques, ils ont perfectionné et enrichi la langue avec de nombreux néologismes construits sur des bases latines ou grecques, mais aussi des emprunts à l’italien ou à l’espagnol (en les adaptant au français). Parmi les mots créés, beaucoup de mots techniques relevant des arts et des sciences. La langue française se voit alors dotée d’un lexique plus ample et plus précis. Bientôt, les sciences et la littérature n’hésiteront plus à écrire en français, en commençant par René Descartes et son Discours de la Méthode (1637).
Ainsi, à la fin du XVIe siècle, la langue française avait beaucoup changé et les textes de cette époque, bien que différent du français contemporain, peuvent se lire sans une nécessaire traduction. Il s’agit presque du français moderne qui, au siècle suivant, s’est diffusé dans toute l’Europe.
La langue véhiculaire de l’Europe
En 1685, Pierre Bayle disait du français qu’il était “le point de rencontre de tous les peuples de l’Europe”. En effet, au XVIIe siècle le français devient sa langue véhiculaire. Il deviendra ensuite la langue diplomatique au XVIIIe et XIXe siècle avant d’être supplanté par l’anglais. Cette hégémonie est due à la puissance politique de l’État français et à son rayonnement artistique et intellectuel au cours de ces siècles. Témoins de ce prestige, les nombreux châteaux construits “à la manière” de Versailles : le château de Peterhof à Saint-Pétersbourg, celui de Schönbrunn à Vienne ou encore celui de Herrenchiemsee en Allemagne.
Le français est à la mode et parlé dans toutes les cours européennes. Il est de plus en plus employé et la langue rayonne en même temps que la culture française.
Le long chemin de la francisation
Si la langue française se diffuse dans le monde, il ne serait pas juste de considérer qu’à cette époque l’ensemble des français parlaient français. Paradoxalement, la majorité de la population s’exprimait dans des patois locaux comme le normand, le breton, le provençal etc… Pendant longtemps le français du roi est réservé à une partie de la population, la plus noble, tandis que le reste de la population parle un français populaire avec quelques italianismes et régionalismes, un semi-patois ou un patois véritable notamment dans le sud de la France et les régions les plus éloignées de Paris. À la veille de la Révolution, on estime qu’un quart seulement de la population française parle la langue nationale. Il faudra attendre la Révolution pour imposer véritablement le français. Précisons simplement que dans les colonies, la francisation se passe autrement et est souvent plus rapide qu’en France métropolitaine.
La langue nationale s’est diffusée au détriment des langues régionales qui sont progressivement interdites. La révolution imposa d’enseigner uniquement en français dans les écoles. Puis, pour accélérer la francisation, on nomma des professeurs hors de leur région d’origine en les forçant à utiliser le français pour communiquer. Avec les lois Jules Ferry de 1881-1882, l’école primaire devint obligatoire et gratuite, ainsi tout le monde recevait un enseignement français, ce qui favorisa la diffusion d’un français national sur tout le territoire.
Au XXe siècle ce sont surtout les deux guerres mondiales qui ont participé à cette francisation via le brassage des populations. De nombreuses lois ont été votées au cours du siècle concernant l’éradication des patois, jusqu’à la dernière déclaration dans ce sens du président Georges Pompidou en 1972 : “Il n’y a pas de place pour les langues et cultures régionales dans une France qui doit marquer l’Europe de son sceau“.
Dix ans plus tard, on assiste à un changement de discours politique. François Mitterrand déclare en 1981, à quelques mois des élections, vouloir “leur ouvrir grandes les portes de l’école, de la radio et de la télévision permettant leur diffusion, de leur accorder toute la place qu’elles méritent dans la vie publique“. Toutefois, aucune mesure n’est prise.
Vers une préservation des dialectes français
Dans ce contexte, on peut souligner le combat politique et précurseur qu’a mené Ferdinand Brunot en créant en 1911 les Archives de la Parole. Il s’agit de la première collection institutionnelle d’enregistrements sonores en France, visant à la conservation et à l’étude de toutes les manifestations de la langue parlée. À l’aide d’un phonographe, il partit sur les routes de France capturer les patois de notre pays. Précisons toutefois que son travail n’avait pas pour objectif de remettre au goût du jour ces langues “perçues comme la traces persistante et figée d’un passé révolu, mais riche d’enseignements pour l’histoire … de la langue française“.
Enfin, mentionnons la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, adoptée par l’Assemblée parlementaire européenne en 1992. Signée par la France en 1999, il manque encore sa ratification et ce malgré la promesse de campagne de François Hollande. Cette charte a pour objectif “la protection et la promotion des langues régionales et minoritaires historiques”. Le traité concernerait les langues encore parlées comme le basque, le breton, le catalan, le corse, l’occitan ou encore le bas-allemand mais cela semble bien difficile à accepter pour nos dirigeants.
Pour aller plus loin :
Discours de Franck Riester, ministre de la Culture, prononcé à l’occasion de la présentation du projet de loi de finances 2020 du ministère de la Culture, vendredi 27 septembre 2019
Légifrance : Ordonnance du 25 août 1539 sur le fait de la justice (dite ordonnance de Villers-Cotterêts)
Persée : Ferdinand Brunot, le phonographe et les “patois” (Pascal Cordereix)
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
Article Influx : La langue française menacée ?
Cet article a été réalisé par Inès Delage, stagiaire au département Langues et Littératures, avec la collaboration d’Audrey B.
Partager cet article