Cesare Pavese

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Pour la première fois, le Printemps des poètes recommande de célébrer un poète étranger, Cesare Pavese. Ecrivain et poète italien parmi les plus marquants et les plus discutés de l’après-guerre, Cesare Pavese aurait eu 100 ans cette année.


[*Cesare Pavese ou le “Métier de vivre”*]

Cesare Pavese (1908 – 1950) est l’une des figures les plus complexes de la littérature italienne contemporaine. « La découverte de la littérature américaine, l’adhésion au Parti communiste, les amours déçues, l’insatisfaction devant le succès, autant d’éléments qui firent de la vie de Pavese une ascèse difficile qui aboutit au suicide. Mais grâce à ce suicide, la vie et l’œuvre de Pavese prennent un sens, dévoilent des aspects cachés, baignent dans une ambiance définitive. La mort fait tenir ensemble les vicissitudes de la biographie et l’apparente disparate des publications. Il y a ainsi chez Pavese une interpénétration exemplaire des raisons de vivre et des raisons d’écrire (ou de ne plus pouvoir ni vivre ni écrire). » (Georges Piroué)


Cesare Pavese naît à Stefano Belbo (Cuneo – Piémont) le 9 septembre 1908 ; son père meurt alors qu’il n’a que six ans, sa mère, femme autoritaire, l’élève seule.

Il fait ses études à Turin dans un collège de jésuites, entre à l’Université où il étudie la littérature américaine et soutient une thèse sur Walt Whitman, traduit Moby Dick de Melville, puis des auteurs comme Faulkner, Dos Passos, Gertrude Stein, Defoe, Dickens, Joyce… autant d’occasions pour lui d’accumuler une expérience critique qui se manifeste, à partir de 1930, par sa collaboration à la revue La Cultura, où il donne des articles qui seront réunis en un volume, publié après sa mort en 1951, sous le titre : La littérature américaine et autres essais. C’est durant cette période que Pavese compose son premier recueil de poèmes Travailler fatigue.

En 1932 Pavese adhère au Parti national fasciste. Arrêté en 1935, il est condamné à la résidence surveillée, huit mois qu’il passera à Brancaleone en Calabre. Traversant une crise artistique et psychologique, cette époque marquera pour lui le début « de nouvelles méditations sur son métier » : il commence la rédaction d’un journal, Le métier de vivre.

A partir de 1938, Pavese travaille de façon régulière pour les éditions Einaudi et écrit des nouvelles, publiées après sa mort sous le titre Nuits de fête, et des romans La prison (1938-1939), Le bel été (1940), La plage (1940-1941), Le camarade, La maison sur les collines
(1947)… Il fonde, en 1948 chez Einaudi, la « Collection d’études religieuses, ethnologiques et psychologiques ».

En juin 1950, Cesare Pavese remporte le prix Strega pour Le bel été ; la nuit du 26 au 27 août il se donne la mort dans une chambre d’hôtel à Turin, laissant sur la table de son bureau les poèmes qui constituent aujourd’hui son dernier recueil : La mort viendra et elle aura tes yeux.


[*Les oeuvres principales de Pavese : à lire ou à relire*]

Presque tous les romans pavésiens sont des histoires d’initiation et de formation. Un segment de vie est raconté, qui est déterminé par sa double logique, subjective et sociale ; une articulation est représentée, mais à la fin du livre l’histoire reste comme en suspens et pourrait être relancée. C’est le récit qui s’arrête.


Avant que le coq chante , traduit par Nino FRANK, Gallimard.
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Ce volume réunit trois nouvelles : Par chez nous, La prison et La maison sur les collines.

D’abord, il y a Talino, mécanicien, qui, revenu de prison, trouve un emploi dans une ferme lointaine et commet l’irréparable. Ensuite, Stefano, Italien du Nord, assigné à résidence dans une région méridionale : son inadaptation à ce nouveau milieu l’enferme dans une solitude infinie. Enfin, c’est un professeur isolé pendant les bombardements sur Turin qui n’aspire finalement qu’à retrouver sa maison natale afin de s’y réfugier. Cesare Pavese observe des paysans, des ouvriers, des midinettes, des femmes du monde, des intellectuels, et chacun avec le langage, la mentalité, les vices, les petitesses de son groupe, mais c’est toujours fondamentalement le même personnage : l’individu dans sa subjectivité, dans sa vie intérieure, passionnelle et morale, dans son rapport affectif à l’autre, dans son rapport à la nature.


Le Bel été , suivi de Le Diable sur les collines et Entre femmes seules, traduit par Michel ARNAUD, Gallimard.
- C’est la fêlure d’angoisse qui accompagne une pâle amoureuse dans tous ses trajets (Le bel été). Puis c’est l’acharnement incertain de trois jeunes gens à suivre autour de la ville les doubles traces de viveurs fatigués et de la nature pléthorique (Le Diable sur les collines). C’est enfin la fièvre vaine qui fait s’agiter quelques femmes volées à elle-mêmes et dissipées en paroles de pure perte (Femmes entre elles). Selon les propres termes de C. Pavese, « trois romans urbains, trois romans de découverte de la ville et de la société, trois romans d’enthousiasme juvénile et de passion déçue ».


Le Métier de vivre, traduit par Michel ARNAUD, Gallimard.
- Le suicide, qui n’est en général qu’un point final, avait été pour lui une obsession, une manière de vivre, presque un compagnon. C’est lui qui donne à son journal intime une coloration assez extraordinaire, puisqu’il écrivait dès 1936, soit quatorze ans avant de passer à l’acte : « Et je sais que je suis pour toujours condamné à penser au suicide devant n’importe quel ennui ou douleur. » Dans ce journal que l’écrivain a tenu de 1935 à sa mort, il nous livre des réflexions esthétiques concernant la littérature et la technique romanesque et analyse ses faiblesses.



Travailler fatigue suivi de La Mort viendra et elle aura tes yeux : poésies, traduites par Gilles de VAN, préfacé par Dominique FERNANDEZ, Gallimard.
- Dans Travailler fatigue, premier livre qu’il publie en 1936, « le jeune Pavese… se raconte en une sorte d’autobiographie stylisée, bien que, comme tous les écrivains de son âge, il pense avant tout innover techniquement, faire œuvre de théoricien. » (D. Fernandez).

La Mort viendra et elle aura tes yeux est le dernier texte qu’il laisse sur sa table avant de se suicider.

[*D’autres regards autour de Pavese et de ses oeuvres*]



L’immense solitude : avec Friedrich Nietzsche et Cesare Pavese, orphelins sous le ciel de Turin, Frédéric PAJAK, P.U.F.
- En cherchant des rapprochements entre ces deux artistes exceptionnels, l’auteur pénètre dans leur drame intime, dans les blessures inguérissables de leur enfance ; et l’on revit les derniers instants tragiques qui les conduisirent à la folie et à la mort.

L’échec de Pavese, Dominique FERNANDEZ, Grasset.
- Ce livre se veut d’abord comme une enquête sur le mystère d’un homme qui s’est, en toute lucidité, dérobé à la gloire. L’échec, sous toutes ses formes, a fasciné Pavese : il fut le héros, la victime et le martyr d’un pari philosophique dont la mort était l’enjeu. À travers la vie, puis à travers l’oeuvre de l’écrivain, l’enquête poursuit ses méandres, avec l’ambition de ne laisser aucun détail que n’aient fouillé les projecteurs d’une psychanalyse exhaustive. L’Italie elle-même, les milieux littéraires et politiques de la première moitié du siècle, se trouvent pris au passage sous un éclairage nouveau. L’échec de Pavese finit par mettre en pleine lumière la tradition souvent ignorée d’une Italie secrète, masochiste et amère.

- Un article en italien riche et complet : Cesare Pavese




- Christian VIGUIE, poète et auteur d’une vingtaine d’ouvrages (recueils de poèmes, romans, articles littéraires) nous a remis son court essai : Travailler fatigue de Cesare Pavese, une approche du visible et de l’abscence. Vous trouverez le lien vers ce texte en bas de la page.

[*L’œuvre de Cesare Pavese a inspiré des cinéastes*]


- Michelangelo Antonioni a adapté Entre femmes seules, sous le titre Le amiche = Femmes entre elles, 1955.

Antonioni dresse le portrait acide d’un groupe de femmes frivoles appartenant à la grande bourgeoisie italienne. On assiste à leurs intrigues, jalousies et commérages. De par leur talent, elles dominent les hommes qu’elles rencontrent mais cherchent à garder leur indépendance au risque de connaître la solitude.

Jean-Marie Straub et Danièle Huillet ont adapté Dialogues avec Leuco sous les titres :
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Dalla nube a la resistenza = De la nuée à la résistance, 1978.

En Italie, peu après la guerre, un homme de quarante ans, ayant quitté le parti fasciste, essaie de reprendre une vie normale en ne s’occupant plus de politique. Pour ce film J.-M. Straub et D. Huillet se sont aussi inspirés du texte La lune et les feux.

- Quei loro incontri = Rencontres avec eux, 2006.

Dans ce film qui retranscrit les cinq derniers dialogues, des Dieux de l’Olympe discourent sur les mortels – c’est-à-dire les hommes – et s’intéressent principalement à leur nature exotique, si radicalement étrangère, d’êtres définis par leur finitude.

- Le genou d’Artémide (réalisé par Jean-Marie Straub seul) d’après La Belva, sixième conversation des Dialogues avec Leuco, film qui sera présenté pour la première fois en mars 2008 à la Cinémathèque française, en clôture de la rétrospective Straub-Huillet qui se déroule à Paris depuis novembre 2007.

[*Toutes les manifestations autour de Pavese*] dans le Programme du Printemps des poètes à Lyon



[*Et pour finir en poésie*]

ce poème extrait du recueil Travailler fatigue, traduction de Gilles de Van.

Mythe


Un jour viendra où le jeune dieu sera un homme,
sans souffrance, avec le sourire mort
de l’homme qui a compris. Le soleil lui aussi glisse au loin,
en rougissant les plages. Un jour viendra où le dieu
ne saura plus où étaient les plages de jadis.

On s’éveille un matin : l’été est déjà mort,
dans les yeux grondent encore des splendeurs,
comme hier, et à l’oreille le fracas du soleil
devenu sang. Le monde a changé de couleur.
La montagne ne touche plus le ciel ; les nuages
ne s’amoncellent plus comme les fruits ; dans l’eau
pas un galet n’affleure. Un corps d’homme
se courbe pensif, où respirait un dieu.

C’est la fin du grand soleil d’été et de l’odeur de terre
et de la route libre, animée par un peuple
qui ignorait la mort. On ne meurt pas l’été.
Si quelqu’un venait à disparaître, il y avait le jeune dieu
qui vivait pour les autres et ignorait la mort.
Sur lui, la tristesse n’était que l’ombre d’un nuage.
Son pas étonnait la terre.

Maintenant,
la lassitude pèse sur les membres de cet homme,
sans souffrance : la calme lassitude d’une aube
ouvrant un jour de pluie. Les plages assombries
sur lesquelles jadis il n’avait qu’à poser son regard
ne connaissent plus le dieu. Et l’océan de l’air
ne revit plus au souffle. Les lèvres de l’homme
se plissent résignées, pour sourire devant la terre.

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