Bye bye bayou
Publié le 06/07/2021 à 08:00 - 5 min - Modifié le 14/06/2021 par Boxer
C'est un fait. Le bayou est entré dans ma vie le jour où j'ai découvert Bernard et Bianca sur un écran de cinéma. J'étais tout petit mais est resté dans un coin de ma tête cet étrange paysage désolé où deux souris intrépides tâchaient d'échapper à Médusa et ses deux terribles alligators ventrus. Depuis je cultive un amour irraisonné pour ces lieux. Tentative d'auto-analyse en quelques points. Désolé si je vous embête mais j'ai besoin d'en parler.
Bayou. Quel nom à l’étrange tonalité. Il évoque presque aussitôt des paysages ensorcelés, un monde irréel, hanté. Entendons-nous bien. C’est quoi au juste un bayou ?
Les esprits éclairés sauront que la comédienne Nathalie Bayou (née un 6 juillet : bon anniversaire !) n’a jamais vécu dans cette région inhospitalière. Je ferme la parenthèse.
Reprenons. En Louisiane, apprend-on sur un site bien connu des arpenteurs d’information, un bayou est une étendue d’eau formée par les anciens bras et méandres du Mississippi. Les bayous s’étendent sur tout le sud de l’État louisianais. Ils forment un réseau navigable de milliers de kilomètres de boyaux. Le mot vient du choctaw bayuk signifiant serpent, sinuosité . Boyaux, serpents : ça vous pose une atmosphère.
Du point du vue du paysage, c’est une vaste zone de marais où s’entremêlent les bras morts du Mississipi (un bras mort : appréciez) et une végétation de cyprès moussus. En d’autres termes, un bayou c’est quand même bien flippant. Le jour où votre belle-soeur vous appelle en hurlant au téléphone : “Je suis perdue au milieu du bayou !!”, soit c’est une divine surprise et vous restez tranquillement assis devant votre série Netflix, soit vous sortez illico l’hydroglisseur du garage. Je ne connais pas à vrai dire les relations avec votre belle-soeur.
Hydroglisseur : dénomination magique.
Petit, je rêvais d’hydroglisser parce que je regardais la série américaine des années 60 Mon ami Ben. Le papa accompagné de son fils (il avait un côté Poil de Carotte) hydroglissait dès le générique avec une déconcertante facilité : on pouvait donc comme ça traverser des marais sur des kilomètres et des kilomètres sans jamais se départir d’un magnifique sourire. Bigger than life, évidemment.
Ne soyons pas tout de même jaloux par ici. En 1928, l’avionneur et constructeur automobile Gabriel Voisin s’est fait connaître en remontant le Rhône avec un hydroglisseur de sa fabrication. L’écrivain Paul Morand qui l’accompagnait publiera un récit très vivant du voyage, à la fois factuel et humoristique, intitulé Un Mississipi sans crocodiles.
L’enfance est le plus bel âge pour apprendre à rêver.
Mais il faut grandir hélas. Et se confronter à sa propre bêtise. Un jour, ce devait être au début du mois de juillet 2015, Tommie a voulu faire trempette dans un bayou du comté d’Orange. Il avait bu. Une personne qui se trouvait dans le bar , rapporte un journaliste, lui avait signalé qu’il y avait sans doute un alligator qui rôdait dans l’eau. Il fallait donc faire (très) gaffe. Tommie s’est quand même jeté à l’eau en criant quelque chose comme ” Fuck the alligator”. On retrouvera son corps 800 mètres plus loin. L’alligator de trois mètres de long s’était montré fort susceptible.
Attention point de vigilance ici. Qui ose encore confondre l’alligator avec le crocodile ? Allez-y, levez le doigt. Ah oui, bravo.
Reprenons. La star incontestée du bayou, c’est l’alligator. Les gens du coin disent gator du reste. Comme si on parlait d’un toutou de compagnie. ( “Je sors le gator et je reviens, ‘man.”)
À la différence de son cousin le crocodile qui vit en Afrique, en Asie et en Australie, l’alligator a une mâchoire large en forme de U alors que celle du crocodile se distingue par une sorte d’ovalité heureuse. Ce qu’ils ont en commun, c’est une biomécanique incomparable et une physiologie qui les impose comme de glorieux reliquats des temps préhistoriques.
Dans les deux cas, si vous en trouvez un sur votre route, méfiance : ces gentils reptiles, au système digestif exceptionnel, ont des goûts très sûrs. Evidemment, ils sont très au fait des questions d’alimentation et contrairement à certains bipèdes , ils consomment avant tout de la viande, à condition qu’elle soit bien faisandée. On a connu moins gourmet que ça.
Je le confesse, depuis des années, j’ai envie de traîner mes bottes dans cet environnement hostile, loin de mes petites collines chatoyantes qui ont arrondi ma pensée (et le ventre). Il doit certainement y avoir un peu de masochisme là-dessous car où que mes lectures me portent sur le sujet, je finis toujours par lire la même chose : l’environnement est hostile et à moins que j’aie une addiction pour les climats capricieux, les inondations , la sécheresse, les insectes , les serpents..et les irréductibles gators évidemment, pourquoi ne pas rester en terrasse à siroter tranquillement une douceur ?
Walter Hill qui a du biceps et un certain sens de l’humour m’a toujours déconseillé d’y mettre les pieds.
Son film Sans retour (titre éloquent) est banni de toutes les agences de voyage et dans toutes les familles cajuns, on maudit ce satané réalisateur.
Voyez un peu : en 1973, une patrouille de la Garde Nationale de Louisiane effectue un entraînement routinier (plus pour longtemps) dans le bayou. Comme ils craignent de ne pas être à l’heure au point de rendez-vous, les militaires décident de voler des pirogues pour traverser un marais. Très mauvaise idée. Alors qu’ils n’ont pas encore atteint l’autre rive, les propriétaires des pirogues – des (horribles) cajuns – montrent le bout de leur nez. Pan. Le jeu de massacre va pouvoir commencer. L’atmosphère poisseuse, moite et paranoïaque sied parfaitement à ce survival qui rappelle par certains côtés le cultissime Délivrance.
En attendant, qu’on soit mouillé, aspergé, piqué, attaqué, déchiqueté, faisandé ou traqué, le bayou est en train de disparaître magistralement à cause du réchauffement climatique. Oui, c’est en train d’arriver, là, sous nos yeux. On pleure rien qu’à l’idée de l’irréductibilité des choses. Moi je suis bayouphile ou si vous préférez bayou-compatible. Et je préfèrerai toujours voir fondre les centres commerciaux que la couche glaciaire. Je ne dois pas être de mon temps. Tant pis.
Pour aller plus loin (mais ne vous éloignez pas trop du bord non plus) :
une bd bayouissime : L’oeil du chasseur
un documentaire musical babayou : Rhythm’n’ Bayous
un polar embayoucoté : Le sang du bayou
un livre de photos bayou-addictif : Cajun
un roman qui vous tiendra au bayou : Le dernier arbre
et enfin un article du Monde diplomatique qui vous empêchera de bayou aux corneilles (mais à lire, cela va sans dire, avec un cocktail Hurricane pour garder le moral !)
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One thought on “Bye bye bayou”
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Si François Bayou garde “un souvenir chaleureux et ému du temps des mini-jupes”, peut-on en déduire que c’est un alligator de la politique ?
https://www.rtl.fr/actu/politique/tenue-scolaire-francois-bayrou-garde-un-souvenir-chaleureux-et-emu-du-temps-des-mini-jupes-7900051959