La tête dans les étoiles

Ainsi, l’étude de la rubrique astrologique du “Los Angeles Times” par Theodor W. Adorno, philosophe et éminent représentant de l’école de Francfort, ne plaide pas franchement en faveur de cette dernière. Selon lui en effet, cette forme d’astrologie ne propose rien d’autre à ses lecteurs qu’une forme de soumission passive à l’idéologie dominante, faisant de ses adeptes de simples pions soumis à l’influence des mass media. Selon lui, les lecteurs d’horoscopes ne seraient pas ici en contact avec le riche et millénaire langage symbolique que l’astrologie revendique, mais avec “des resucées plus ou moins artificielles d’anciennes superstitions disparues”. On comprend donc qu’à travers cette analyse sans concession de la rubrique astrologique d’un journal, c’est avant tout à une féroce critique de la société de consommation que se livre ici Theodor Adorno.

Poursuivant l’analyse des horoscopes menée par Adorno dans la France des années 2010, Arnaud Esquerre montre que leur contenu s’est adapté aux nouvelles conditions sociales dans lesquelles leurs lecteurs évoluent. Mais là ou Adorno en restait à une analyse textuelle, il la prolonge par l’étude des mécanismes en jeu dans le cadre de la séance de consultation astrologique. Il met en évidence la part que chacun des participants à la séance prend dans le déroulement de celle-ci, et dresse un portrait du consultant bien moins passif qu’attendu. Au contraire, il y joue un rôle actif, ne serait-ce que par ses retours aux propositions de l’astrologue , et est pleinement acteur de la rencontre, parfois même à son insu.

Serge Bret-Morel a longtemps été astrologue, avant de rompre avec les schémas de pensée de cette discipline. Il a longuement raconté son parcours, depuis les tirages réalisés dans sa chambre d’étudiant en sciences et son engagement croissant dans la carrière d’astrologue jusqu’au changement de perspective radicale qu’a représenté sa “déconversion” dans le podcast Méta de Choc, dont cet ouvrage est tiré. Une occasion unique de comprendre de l’intérieur l’état d’esprit de quelqu’un qui, loin d’être le charlatan sans scrupule que l’on pourrait imaginer, pratiquait avec passion une discipline dans laquelle il n’a cessé de se retrouver. Il raconte aussi le processus qui l’a amené à s’engager dans la critique de cette discipline.

Maheva Stephan-Bugni annonce ne pas croire à l’astrologie dès l’entame de ce.. guide d’astrologie. Ou plutôt d’astro-philo, comme elle le revendique. Sous la couverture clinquante de cet ouvrage on trouve en effet un guide qui sort du lot, poussant à envisager l’astrologie comme un moyen de mieux se connaître plutôt que comme une technique de divination. Infusé de pop culture, le livre s’appuie ainsi sur le discours astrologique de manière ludique pour proposer quelque chose qui tient définitivement plus du développement personnel, insistant sur la dimension symbolique et archétypale des traits associés aux différents signes, maison et planètes.

En tant que langage largement métaphorique, l’astrologie a constitué une source d’inspiration inépuisable pour les artistes. La connaissance du monde symbolique dans lequel un créateur évolue est évidemment essentiel pour saisir toute la portée de son œuvre. L’histoire visuelle proposée par les éditions Taschen dans cet opus de la collection La Bibliothèque de l’ésotérisme nous entraîne ainsi dans un voyage au cœur des symboles associés aux planètes et aux signes du zodiaque. Que l’on adhère ou non aux hypothèses astrologiques, la diversité des interprétations qu’elles ont suscité chez les artistes a quelque chose de fascinant, et cet ouvrage sera l’occasion pour le profane d’acquérir de nouvelles clés de lectures d’œuvres d’arts dont la dimension symbolique est tantôt évidente, tantôt plus discrète.

Liv Stromquist nous propose ici un exemple très drôle du potentiel créatif des archétypes astrologiques. Sous les atours d’une parodie de traité astrologique, elle développe une interprétation très personnelle des signes astrologiques, tant sur le plan graphique que pour l’analyse qu’elle nous en livre. Elle nous permet également de côtoyer, grâce au hasard du calendrier, des personnages historiques plus ou moins connus, militant-e-s ou sinistres. Sous ses apparences délirantes, le livre ne se limite pas à la parodie, et propose une réflexion plus profonde qu’il n’y paraît sur le succès de l’astrologie dans la société contemporaine. Bonne âme, elle nous laisse le choix d’adhérer ou non aux critiques de Théodor Adorno évoquées plus haut, sans renoncer pour autant à la critique sociale que celui-ci portait.