Algérie. “A saisir. Jeune pays très peu servi”¹
Un tour du monde en littérature #1 : comment la littérature et les éditions Barzakh participent de la révolution des esprits
Publié le 08/04/2019 à 08:00 - 4 min - Modifié le 25/10/2022 par Benoît S.
« Bouteflika, ta place est au musée ! » C’est avec humour, que la population algérienne s’apprête à clore un chapitre important de son histoire. Le parcours de Bouteflika est, à ce sujet, exemplaire de la confiscation du pouvoir par le même groupe d’individus et par un parti (le FLN) depuis l’indépendance.
“Nous sommes l’avenir, vous êtes le passé” ²
Moudjahidine durant la Révolution algérienne (le nom donné à la guerre d’indépendance de l’autre côté de la Méditerranée) puis jeune Ministre des affaires étrangères dans le gouvernement de Ben Bella – qu’il contribuera à renverser au profit de Boumediene – Boutef’ incarne, plus que quiconque, le récit officiel d’un pays exclusivement tourné vers son glorieux passé.
Le film de William Klein sur le Festival Panafricain d’Alger, en 1969, exhume ce passé plein de promesses. L’Algérie, alors fière de son indépendance acquise de haute lutte, s’imposait sur la scène internationale comme l’une des chefs de file du mouvement des pays non-alignés et Alger comme la Mecque des révolutionnaires. Las, cet avenir radieux s’est figé comme le visage de ses dirigeants et ne s’est jamais réalisé. Aux images euphoriques de Klein, succèdent alors celles de la dérive circulaire et mortifère des deux personnages du film de Tariq Teguia, Rome plutôt que vous, durant les années de plomb.
Se réapproprier une histoire et un avenir confisqués semble bien être le moteur de la contestation actuelle. Il est d’ailleurs significatif que beaucoup de manifestants n’aient pas connu les années de guerre civile et encore moins celles de la guerre d’indépendance.
La littérature ou le désir de dire “je”
Comme un écho à cette révolution des esprits, une nouvelle garde littéraire portée par les éditions Barzakh tente de faire entendre sa voix.
“La littérature permet de bousculer le récit national, sans juger, mais avec une subjectivité assumée. Avec son indépendance, Barzakh construit un autre récit que celui du FLN”,relève Adlene Meddi, journaliste à El Watan et auteur remarqué du polar 1994. [article du Monde du 6/11/17]
Les éditions Barzakh sont devenues un acteur incontournable de la vie culturelle algérienne dans un pays qui ne compte qu’une dizaine de librairies sur un territoire grand comme quatre fois la France. Leurs fondateurs, Sofiane Hadjadj et Selma Hellal, ont ainsi contribué à faire émerger des écritures aussi singulières que celles de Kamel Daoud ou Kaouther Adimi. Mais, surtout, ils ont su capter une aspiration émancipatrice de l’individu par le prisme de la littérature. Un désir de dire « je » comme l’explique Sofiane Hadjadj ci-dessous :
« Le désir de dire « je ». Ça raconte le désir de sortir d’un pays dont l’histoire a été construite sur le « nous », sur un seul héros, le peuple. Ça ne veut pas dire qu’on n’est pas conscient de l’histoire de l’Algérie mais je ne veux pas, à chaque interview, devoir rappeler que l’Algérie a été colonisée cent trente-deux ans, ni récapituler son histoire. Quand Daoud et d’autres parlent, ils disent “je”. Cela signifie qu’ils peuvent se tromper, qu’ils expriment des choses complexes, des paradoxes, qui peuvent gratter là où ça fait mal. » [article du Monde du 6/11/17]
Les éditions Barzakh en 5 titres ³
Nos richesses / Kaouther Adimi, publié en France aux éditions du Seuil
En 1935, Edmond Charlot a vingt ans et rêve de créer une librairie-maison d’édition à Alger. Il imagine un espace dédié à la littérature, l’amitié et la Méditerranée. Albert Camus lui offre son premier texte, Jean Giono un nom : Les Vraies Richesses. En 2017, Ryad, étudiant parisien, est recruté pour fermer la librairie algéroise sous le regard vigilant d’Abdallah, le dernier gardien des lieux.
Zabor ou les psaumes / Kamel Daoud, publié en France aux éditions Actes Sud
Fable, parabole, confession vertigineuse, le deuxième roman de Kamel Daoud célèbre l’insolente nécessité de la fiction en confrontant les livres sacrés à la liberté de créer. Telle une Shéhérazade ultime et parfaite, Zabor échappe au vide en sauvant ses semblables par la puissance suprême de l’écriture, par l’iconoclaste vérité de l’imaginaire.
1994 / Adlène Meddi, publié en France aux éditions Rivages
1994 : c’est l’année où tout bascule pour quatre jeunes lycéens algérois d’El-Harrach. Le pays est à feu et à sang lorsque ces adolescents décident de former, avec leurs propres moyens, un groupe clandestin de lutte antiterroriste. Dans ce roman dense et puissant, à travers des personnages aussi emblématiques que complexes, Adlène Meddi raconte les guerres qui ont marqué le pays et qui imprègnent encore si intensément le présent des Algériens.
L’enfant de l’œuf / Amin Zaoui, publié en France aux éditions du Serpent à plumes
Harys, le narrateur, est un bon chien, un caniche qui aime son maître, qui aime ses chaussettes puantes, son haleine parfumée au vin rouge, sa voix quand il chante Bécaud. Ils habitent tous deux à Alger et son maître a pour maîtresse une chrétienne réfugiée de Damas, au corps vibrant de désir et à l’âme bouleversée par la guerre. Ce trio bancal, cacophonique, passionné, tient le journal de sa lente destruction dans une Algérie rongée par l’islamisme des Tartuffes.
Archéologie du chaos amoureux / Mustapha Benfodil aux éditions Al Dante
« Mon roman Archéologie du chaos [amoureux] […] questionne l’inconscient politique de la génération des années 1990 à travers une galerie de personnages qui ne se reconnaissent ni dans le paradigme révolutionnaire de gauche, ni dans le projet insurrectionnel du FIS, et qui se réclament d’une sorte d’anarchisme artistique au point de se baptiser Les Anartistes. »
¹ Reprise d’un graffiti repéré par le cinéaste Tariq Teguia sur un mur d’Alger pour son film “Rome plutôt que vous”
² Banderole, lors d’une manifestation à Alger
³ Les textes de présentation des livres sont issus du catalogue de l’éditeur
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