Les Illuminés
Jean Dytar, Laurent-Frédéric Bollée
lu, vu, entendu par Dolores - le 28/02/2024
Combien de fois vous a-t-on mentionné l’histoire amoureuse de Verlaine et Rimbaud ? Probablement pas si souvent que ça. Combien de fois vous l’a-t-on mentionnée autrement qu’avec un ton anecdotique et parfois moqueur, le tout sans aucune profondeur ? Vraisemblablement encore moins souvent.
Si ce premier paragraphe vous révolte et que le tableau de leur tumultueuse passion vous a déjà été peint avec finesse et justesse, vous m’en verrez désolé. Non pas parce qu’il se pourrait que je me sois trompé, mais plus parce que la force de l’œuvre de Dytar et Bollée vous parviendra comme quelque peu amoindrie, plutôt que si vous découvriez l’entrelacement sinueux de leurs destins torturés.
Mais plus objectivement, comment ne pas être ébloui par la patte de Dytar ? Retraçant les prémisses du manuscrit jusqu’à la publication des « Illuminations » de Rimbaud, l’illustrateur use d’une palette cruelle de réalisme dans ses compositions et points de vue, mais grisante d’impressionnisme dans l’utilisation des couleurs et des formes. Cézanne, d’ailleurs présent dans le récit, n’aurait assurément pas fait mieux (en ce qu’il n’était pas du tout illustrateur de bande dessinée, naturellement).
Le contraste joue un rôle de premier plan dans les planches de Dytar. Chaque personnage détient sa couleur, sa teinte, et lorsque Germain Nouveau, troisième protagoniste de l’histoire (combien de fois vous en a-t-on parlé, de lui ? aucune, cessez vos malhonnêtetés je vous prie) devient une figure incontournable du récit, nous sommes face à un triptyque de couleurs distinctes. Comme trois gros blocs narratifs, qui vont subtilement se mélanger. La narrations s’entrecoupent en un rythme qui reste inchangé sur les planches. Le sens de lecture est double, selon que vous choisissiez d’alterner les personnages ou garder le même sur toute la double page. Cet embrassement transcrit ingénieusement l’ambivalence des chemins très tracés de nos protagonistes qui restent pourtant si perméables les uns aux autres. Les clair-obscurs poignants et l’atmosphère éthérée finissent de parfaire l’identité de la BD pour nous plonger dans la vie des poètes, si ce n’est pour nous y faire couler en même temps qu’eux.
Happé par cette fenêtre habilement réaliste sur des figures phares de la poésie française, il est pratiquement impossible de relever le nez. Il faut pourtant bien décrocher, et tant mieux ; ni vous ni moi ne sommes Rimbaud ou Verlaine.
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