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Le Nobel des massacreurs

Claudine Desmarteau

Récit glaçant sur la genèse de la lobotomie, perçue à l'époque comme une méthode révolutionnaire pour traiter les maux psychologiques.

Qui aurait pu croire que retirer un bout de cerveau allait solutionner les troubles psychiques de milliers de personnes à travers le monde ? En 1945, c’est une grande partie du monde qui s’est laissée convaincre par ce mirage scientifique.

Sujette à des questions existentielles et en quête de sens à donner à sa vie, Janet décide d’explorer sa nouvelle passion pour le journalisme. Elle est obsédée par Nellie Bly, figure déjà mythique de l’enquête de terrain, et pour cause : cette dernière s’était volontairement faite interner dans un hôpital psychiatrique New Yorkais, de manière à pouvoir décrire les conditions de vie des patients. De son côté, et toujours marchant dans les pas de son idole, Janet est chargée de couvrir une préoccupation naissante : la lobotomie. Elle est missionnée par son journal pour suivre un médecin américain et ses dernières avancées dans le domaine, le tristement célèbre Walter Jackson Freeman.

La procédure se veut simple et reproductible en cabinet médical : il suffit de déconnecter en grattant certaines parties du cortex préfrontal, le tout à l’aide d’un outil tout droit venu d’un film d’horreur, le leucotome. Au travers des mains aux gestes incisifs du docteur Freeman, la méthode passe du statut d’expérimentation médicale à celui d’une solution pratiquement miraculeuse. Il sera dans le roman, comme dans la réalité, l’innovateur ayant popularisé cette méthode.

Une multitude de réflexions

Claudine Desmarteau ouvre grâce à Janet une myriade de portes menant à des problématiques sociétales de taille : la famille et la violence au sein de cette dernière ; l’intégrité journalistique et son impact direct sur la population ; le féminisme et la place de la femme dans un environnement éminemment masculin ; notre rapport tabou à la folie, et enfin le thème de la médecine, soutenu par l’interrogation cruciale du point jusqu’où celle-ci peut aller. Le discours est parabolique, loin d’une collection d’avis tranchés sur toutes ces observations. Le lecteur y est confronté sans qu’il lui soit explicitement demandé quoi en penser. La romancière lauréate du prix Vendredi 2023 (qui explore ici des thèmes bien plus adultes, lobotomie, mort, folie et violence obligent…) nous présente ces questions à la manière empirique d’une journaliste. Janet ne sert pas seulement de vaisseau naviguant entre toute ces observations, elle apporte aussi au récit un pan de colossale subjectivité concernant la vie qu’elle mène parmi tous ces éléments difficiles à concilier.

La forme pas moins
impactante que le fond

Ouvrir Le Nobel des massacreurs pour la première fois peut paraître un peu surprenant. Sommes-nous en train de lire de la poésie contemporaine ? Un roman tout ce qu’il y a de plus classique ? Un rapport d’enquête journalistique ? Une correspondance familiale ? Toutes ces formes d’écrit sont utilisées par Claudine Desmarteau, tant en transcrivant directement les articles de Janet qu’en incluant les poèmes préférés de son frère, avide lecteur de Blake et Byron, notamment. Il n’est pas rare d’atterrir sur des pages ne contenant qu’une phrase ou deux qui ont un effet de véritables déflagrations lorsqu’elles sont entrecoupées de dialogues aussi crus que réalistes. La force de diversité des sujets abordés se trouve donc décuplée par la variété discursive soigneusement implémentée par l’autrice.


Âmes sensibles (ne pas) s’abstenir

Le Nobel des massacreurs est un roman édifiant, fort, parfois désemparant et souvent touchant. Cette pseudo-biographie d’un personnage fictif évoluant dans des circonstances bel et bien réelles à un moment donnée de l’histoire fait office de garde-fou. C’est en nous confrontant à toute la cruelle folie dont sont capables ses personnages que Claudine Desmarteau nous mets le mieux en garde.


P.S. Si vous pensez quelque peu incommodant l’idée de la très précise description d’un praticien enfonçant dans les yeux de son patient une longue tige en métal et ce jusqu’à son cerveau, songez peut-être à reporter la lecture de ce livre. Si jamais vous n’êtes pas encore sûrs de vous, vous pouvez immédiatement vérifier avec cette image d’archive. (Issue d’une publication dans le New York Times en 2017). Toute tenue faussement estivale dont semble être affublé le docteur ne suffit pas à détendre l’atmosphère induite par l’effroyable cliché.


Voir dans le catalogue de la BML

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