Dominique Blanc, une comédienne engagée au service du jeu
Publié le 19/01/2024 à 10:00 - 10 min - Modifié le 25/01/2024 par Clémence
Le grand public connait Dominique Blanc pour ses rôles au cinéma et à la télévision. Mais elle est surtout une grande comédienne de théâtre.
Indochine, La Reine Margot, L’allée du Roi : Dominique Blanc a tenu de grands rôles dans ces films, qui l’ont fait connaître. Mais elle a surtout travaillé au théâtre avec Patrice Chéreau, Jean-Pierre Vincent, et est depuis 2021 sociétaire à la Comédie française.
Pendant l’année scolaire 2023-2024, son parcours est étudié au lycée !
Un parcours de comédienne au bac : pourquoi c’est nouveau
Au lycée, les élèves de première générale ont la possibilité de choisir trois enseignements de spécialité. Ils n’en conservent que deux en terminale.
La spécialité théâtre
Le programme de la spécialité de théâtre, en terminale, était jusqu’en 2023 articulé autour de textes dramatiques et leurs mises en scène. Les femmes dans les comédies de Molière, Antoine Vitez et Le Soulier de satin de Paul Claudel ou encore Richard III de William Shakespeare ont déjà été étudiés.
Mais le constat a été fait que c’est pour le jeu que la plupart des élèves rejoignent la spécialité théâtre. D’autre part, aujourd’hui, le primat du metteur en scène est remis en cause, comme en témoignent la multiplication des collectifs et des écritures de plateau. A la rentrée de septembre 2023, c’est la première fois que le travail d’une comédienne est proposé à l’étude.
Comment analyser le jeu de l’acteur, ce « poète qui écrit sur le sable », comme le dit Antoine Vitez ? En traversant le parcours et les questionnements d’une comédienne à travers des rôles emblématiques qui jalonnent une carrière et une vie de femme. Dans cet esprit, le travail de plateau s’ouvre à la parole de l’actrice, aux récits de ses expériences, aux analyses sur sa propre pratique.
Programme de l’enseignement de spécialité de théâtre en classe terminale
La richesse du parcours de Dominique Blanc au théâtre et au cinéma, son entrée à la Comédie Française en 2016 (tout d’abord pensionnaire, elle en devient la 538e sociétaire en 2021), le fait qu’elle soit une personnalité actuelle, et donc vivante : tout cela justifie ce choix.
Trois spectacles représentant trois époques dans sa vie de femme et d’artiste ont été choisis comme objets d’étude :
- Le mariage de Figaro, de Beaumarchais, mise en scène de Jean-Pierre Vincent (1987)
- Phèdre, de Jean Racine, mise en scène de Patrice Chéreau (2003)
- Angels of America, de Tony Kushner, mise en scène d’Arnaud Desplechin (2020)
A cette occasion, elle publie un livre d’entretiens chez Actes Sud, Chantiers, je. Elle y parle de son parcours, ses premiers rôles. Elle explique également le choix de ces trois rôles, raconte le déroulement des répétitions, la personnalité des metteurs en scène, sa manière de travailler.
La vision de Dominique Blanc : « Sur un plateau, je suis chez moi »
En août 2023, pour la sortie de Chantiers, je, elle a enregistré un entretien pour le podcast La Quille créé par Thomas Louis. Elle y parle de transmission : en tant qu’actrice, elle a appris sur le tas, et pense pouvoir éclairer quelques chemins.
A partir du moment où je suis sur un plateau, je suis chez moi, je suis dans un état de félicité absolue […]. De soir en soir il ne se passera jamais la même chose, il y aura des accidents et des surprises […]. Pour moi le plateau est une terre étrangère.
Podcast La Quille
Dans son livre Chantiers, je, il y a des mots qui reviennent souvent : joie, émotion, don de soi, engagement, exigence. Ces valeurs sont présentes tout au long de son parcours.
Une ligne sinueuse en guise de parcours
Du petit théâtre de Jeanine Berdin au cours Florent
Dominique Blanc nait à Lyon en 1956, dans une famille de cinq enfants. Son père est médecin, sa mère infirmière. Elle fréquente l’école religieuse.
Excessivement timide à l’adolescence, mal dans son corps, elle convainc sa mère de l’inscrire dans un cours d’art dramatique. C’est le petit théâtre de Jeanine Berdin dans le Vieux Lyon.
Elle se souvient de cette femme à l’énergie hors du commun, qui a travaillé avec Roger Planchon et Marcel Maréchal. Son premier rôle est celui d’Anne Franck, dans la pièce américaine de Frances Goodrich et Albert Hackett. Après lui avoir donné la réplique, Jeanine Berdin, bouleversée, lui dit : « Tu vas dire à tes parents que tu arrêtes tes études et tu vas présenter le conservatoire de Lyon ».
Mais ses parents ne l’entendent pas de cette oreille. Plus de théâtre, ce sera les sciences au lycée puis l’école d’architecture pendant deux ans. Mais son premier amour la rattrape, elle déménage à Paris, où elle cherche un cours de théâtre.
C’est ainsi qu’elle atterrit au cours Florent, en 1977, et s’y sent comme chez elle, même si elle doit enchaîner les petits boulots pour se le payer. François Florent est un personnage débordant d’énergie, tonitruant. La comédienne passe des auditions pour des rôles au théâtre et au cinéma, sans succès. Elle est recalée trois ans de suite au concours pour entrer au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. Même chose à la Rue Blanche (devenue École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre).
Après l’annonce des résultats, François Florent a toujours le même rituel avec les élèves recalés. [..] “ Qui a un Pariscope dans son sac ? ” On en trouve toujours un. “ Citez-moi un nom au hasard ”. On énumère tel comédienne, tel metteur en scène et il réplique à chaque nom cité : “ Jamais fait le Conservatoire. ” Petit à petit, la confiance revient en chacun de nous. Et si c’était possible ?
Chantiers, je, Actes Sud, 2023
Le décollage avec Patrice Chéreau et Peer Gynt
1979. Elle commence à suivre les cours du comédien et metteur en scène Pierre Romans au cours Florent. Ils travaillent sur Tchekov, qui est encore aujourd’hui son auteur préféré. Elle aime sa compassion pour l’absurdité de la condition humaine, et ses personnages de femmes totalement bouleversants. Pierre Romans adapte deux pièces d’Anton Tchekov, qu’il croise : Ivanov et Platonov. Il monte la pièce avec ses élèves. Des agents, directeurs de casting, metteurs en scène assistent à la première.
Le metteur en scène Patrice Chéreau est là aussi, et « ma vie va basculer dans le plus beau des scénarios. » dit Dominique Blanc. Il l’appelle plus tard pour lui confier un rôle dans Peer Gynt, d’Henrik Ibsen. Pour la première fois, l’intégralité de la pièce est montée : huit heures de spectacle en deux soirées. Le comédien Gérard Desarthe incarne Peer Gynt de 18 à 80 ans, et Maria Casarès interprète sa mère Ase.
Elle découvre le travail à la table avec le metteur en scène, qui trépigne, exulte, et embarque les comédiens dans son imaginaire. La première a lieu en 1981, au Théâtre national populaire de Villeurbanne.
Cette rencontre magnifique et fondatrice avec Chéreau l’a énormément marquée. A l’occasion des 101 ans du TNP, elle a eu l’occasion de lui rendre hommage. En effet Chéreau fut codirecteur du théâtre de 1972 à 1981.
Dominique Blanc : les rôles qu’elle a choisis
Suzanne dans Le Mariage de Figaro (1987)
Cette mise en scène du Mariage de Figaro de Beaumarchais par Jean-Pierre Vincent est un immense succès. Il a dirigé le Théâtre national de Strasbourg de 1975 à 1983. En 1987, il est administrateur général à la Comédie Française.
La pièce est créée au Théâtre national de Chaillot. Dominique Blanc interprète Suzanne, un personnage solaire, un rôle de jeune première. Mais elle a le complexe de l’autodidacte. Elle achète tous les livres sur cette pièce, prend des notes, fait des fiches de lecture. Elle lit une biographie de Beaumarchais, prend même des cours de chant pour connaitre quelques airs de l’opéra (Les Noces de Figaro de Mozart) !
« J’ai toujours fait ça pour aborder mes rôles. Patrice Chéreau m’a donné cette méthode : je me nourris de tout ce qui est possible. Au fond, j’arrive en répétition remplie de rêves, nés de cette recherche insatiable. […] Chaque fois qu’on me confie un rôle, c’est toujours une responsabilité. […] C’est comme si on me confiait un être humain […] on me confie un morceau de sa vie. »
Chantiers, je, Actes Sud, 2023
Phèdre de Jean Racine (2003)
Dominique Blanc retrouve Patrice Chéreau pour ce grand rôle du répertoire classique. La pièce est la première jouée aux Ateliers Berthier du théâtre de l’Odéon.
L’approche de Chéreau est novatrice : il veut « casser l’alexandrin », rendre la diction et le sens plus libres.
Le metteur en scène a un rapport très physique aux acteurs sur le plateau, il leur parle à l’oreille, est proche d’eux. Il a même, d’après Dominique Blanc, “un côté séducteur, avec les hommes comme avec les femmes.”
Elle joue pendant cinq mois ce rôle très intense, une Phèdre pleinement humaine et charnelle, ravagée par les contradictions du désir.
Angels in America, de Tony Kushner (2020)
La pièce est mise en scène par Arnaud Desplechin à la Comédie française. Elle se passe à New-York en 1985. Plusieurs histoires se croisent : un couple de mormons, de Juifs venus d’Europe centrale, un couple d’homosexuels brisé par le sida, un avocat influent, un infirmier ancien drag queen, le fantôme d’Ethel Rosenberg, un ange à la recherche d’un prophète…
Dominique Blanc y tient six rôles : trois hommes et trois femmes. L’auteur Tony Kushner l’a précisé lors de l’écriture en 1980 : les six rôles doivent être joués par une actrice, ce qui est très audacieux pour l’époque.
Angels in America a quelque chose de visionnaire, on le voit aujourd’hui avec tous les questionnements sur le genre, le « iel », et cela permettait aussi de tirer une sonnette d’alarme concernant le sida, qui connaît une forte résurgence.
Entretien pour Madame Figaro
Gageons que ce parcours de comédienne inspirera les élèves. Elle n’est pas passée par les grandes écoles de théâtre mais a su, à force de persévérance et de travail, tracer son chemin. Et quel chemin !
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