Le mordant de l’estampe 1/2

Techniques, rendus et effets plastiques à travers les œuvres de l’artothèque

- temps de lecture approximatif de 25 minutes 25 min - Modifié le 23/11/2021 par Tori

L’estampe n’est pas démodée ni désuète. Aujourd'hui, elle a le vent en poupe. Cette année, à la 47ème édition de la FIAC, au Grand Palais éphémère, des galeries d'édition et de multiples étaient présentes. Un grand nombre d'artistes s'essaient aux techniques de l'estampe et expérimentent différentes techniques ancestrales ou émergentes.

Mélanie Delattre-Vogt, "Nuage IV, premier état", 2019. Lithographie sur Vélin de Rives 250g, 66 x 50 cm. Courtesy Michael Woolworth

 

I. DE QUOI PARLE-T-ON ?

 

D’histoire..

Depuis le XVème siècle, l’estampe est un moyen de reproduction et de multiplication des œuvres originales (peinture, dessin…) afin de permettre leur circulation et leur diffusion. Dans ce cas ce n’est pas l’artiste de l’œuvre originale qui va réaliser l’estampe mais un graveur.

Nous pouvons distinguer l’estampe de reproduction (ou d’interprétation) de l’estampe originale. Une estampe est dite originale dès lors qu’elle a été conçue par l’artiste. Si une peinture, un dessin ou tout autre médium est traduit en gravure afin de la reproduire, alors cette dernière acquiert le statut de reproduction.

Au XIXème siècle, à l’apparition de la photographie et d’autres moyens de reproductions photomécaniques, l’estampe change de statut, elle devient un moyen d’expression artistique à part entière. On parle alors d’estampe originale. Cette dernière est signée et numérotée par l’artiste, qui décide du nombre d’œuvres qu’il réalisera. Les tirages se font en collaboration avec des techniciens de l’estampe, des maîtres imprimeurs mais sous le regard et les directives de l’artiste. L’estampe reste une œuvre collective (artiste, graveur, éditeur et imprimeur) réalisée à plusieurs mains.

Découvrons les grandes familles des techniques à travers la collection de l’artothèque de la Bibliothèque de la Part-Dieu, Lyon.

 

De gravure, de multiple..

Le terme de gravure désigne l’ensemble des procédés qui permettent l’inscription de motifs sur une matrice. Cette dernière, encrée et passée sous presse, devient support d’impression et offre la possibilité de tirages multiples : l’estampe. Aujourd’hui, l’art contemporain, utilise le terme de multiple pour la réalisation d’une œuvre en plusieurs exemplaires.

 

De technique(s)..

Il est très difficile de comprendre les techniques de création d’une l’estampe sans assister aux différentes étapes de création. Sur Lyon, nous vous conseillons l’URDLA pour percer les mystères de la lithographie et de la gravure et Unique en série ou l’Atelier Garage pour la sérigraphie. Le musée de l’imprimerie de Lyon propose aussi des ateliers pour les adultes et les enfants.

Quand l’artiste réalise une estampe, il travaille à partir d’une matrice en bois, cuivre (ou autres métaux), linoléum, plexiglas, pierre… Il dessine, peint ou creuse sur ce support avec des outils comme un crayon lithographique, un pinceau, une gouge ou une pointe sèche. Les outils sont nombreux. (Voir le vocabulaire de la gravure en fin d’article). La matrice permet l’impression d’œuvres en plusieurs exemplaires. Le motif imprimé est inversé par rapport à la matrice. L’artiste détermine le nombre d’exemplaires et numérote chaque estampe (la justification). Il existe de nombreux procédés et les artistes n’hésitent pas à mixer les techniques et à expérimenter selon leur imagination.

 

 

II. LES PROCEDES EN RELIEF (TAILLE D’EPARGNE)

 

La gravure sur bois

La gravure sur bois (ou xylogravure) apparaît vers 1400. L’artiste décalque le dessin ou dessine directement sur la plaque de bois. Il évide ensuite les parties non dessinées (qui apparaissent en blanc sur la feuille) à l’aide d’une gouge, de sorte que seul le dessin en relief soit encré au rouleau. La matrice en bois sur laquelle a été placée la feuille préalablement humidifiée passe sous une presse typographique. L’encre doit être épaisse pour ne pas s’infiltrer dans les zones creusées du bois et rester sur les parties en relief. Pour chaque couleur, une matrice différente est utilisée.

 

 

• GRAVURE SUR BOIS D’EDUARDO PONCE

Eduardo Ponce, Triptyque à quatre, Lyon, atelier Alma Exemplaire 1 sur 25, Gravure sur bois 29 x 79 cm Courtesy Eduardo Ponce

 

Eduardo Ponce attaque la planche comme il le ferait d’un bloc à équarrir, franchement, mais non sans réflexion. En face de ses grands bois, on imagine, non un surgissement fulgurant de la forme désirée, mais une lente, presque méthodique mise à jour, qui la dégage copeau après copeau. Le geste contenu, pudique dans sa soumission acceptée aux fibres du bois et la violence expressive, mais bridée qui le sous-tend, donnent à ces figures quelque chose d’une conscience malheureuse. Seul le titre, qui vient après coup, alors que l’estampe vit déjà de sa propre vie, adoucit par son humour ou sa poésie simple des images souvent tragiques »
Nelly Colin pour « Des accords Parfaits », exposition du CAP de Saint-Fons à partir des collections de la Ville et de l’artothèque de Saint-Fons, 2013

« Le papier et le multiple m’ont toujours attiré. Au départ par soif d’apprendre les différentes techniques de gravure et d’impression ensuite comme moyen d’expression artistique. » Eduardo Ponce

 

 

La linogravure

Pour la linogravure, l’artiste utilise une matrice en linoléum. Cette technique apparait vers 1900. Le principe est le même que la gravure sur bois. Néanmoins le support étant plus souple, il est plus facile à travailler. Il convient aux dessins aux contours nets et aux traits épais (pour éviter qu’ils ne s’écrasent à l’impression).

Le rendu plastique est moins fin et moins angulaire. Effectivement, la linogravure permet des courbes et des volutes. Les traits sont plus doux.

 

 

• LINOGRAVURES DE DANIEL TILLIER

Daniel Tillier. Revenir du Point P, 1985. Exemplaire 10 sur 10. Linogravure, 40 x 32,5 cm Courtesy Daniel Tillier

Daniel Tillier, Les limites, 1985. Linogravure, 39.5 x 35,5 cm. Exemplaire 8 sur 10. Courtesy Daniel Tillier

 

Si nous comparons ces 3 gravures, la première (Eduardo Ponce) présente des traits plus ou moins fins. Le tracé est saillant, brut. Sur la figure en noir nous découvrons la veinure du bois. Dans les estampes suivantes (Daniel Tillier) les traits ont la même épaisseur. Ils sont souples. Sur du linoléum, il est plus facile d’obtenir des lignes courbes. L’encre noire déposée sur le linoléum forme une surface homogène, un aplat d’un noir profond, sans trace.

Sur les deux œuvres, les parties blanches correspondent aux zones creusées.

Les deux linogravures de Daniel Tillier sont inspirées de ses carnets de croquis. L’impression a été réalisée par Eduardo Ponce à l’atelier Alma.

 

“Revenir du point P”

Dans la perspective conique, le point de fuite est un point imaginaire qui aide l’artiste à dessiner en perspective. Il existe un point de fuite très particulier qui est celui situé dans la direction du regard. On l’appelle parfois point de fuite principal (point P) ou encore centre de la perspective. C’est le point utilisé dans les constructions dites à un point de fuite. Dans la linogravure « Revenir du point P » Daniel Tillier compare le point P à la réussite : la réussite comme point principale. Cependant, la perspective n’est qu’une illusion d’optique pour imiter la réalité. La réalité est tout autre.

« Mon personnage revient au point de départ après s’être rendu compte (métaphoriquement) que le point P (aussi appelé le point de fuite principal) n’était qu’une fuite en avant qui n’avait pas de sens. Revenir du point P c’est comme revenir à ses illusions perdues. Il n’y a pas de point P ou tout converge dans la vraie vie » Daniel Tillier

“Les limites”

Cette œuvre montre nos limites malgré tous nos désirs de les dépasser. Encore une fois la réalité est une contrainte.

 

 

III. LES PROCÉDÉS EN CREUX (TAILLE DOUCE)

 

La taille douce désigne l’ensemble des procédés en creux sur une plaque de métal. L’encre se dépose dans les parties creusées, contrairement à la taille d’épargne où l’encre s’applique en surface sur les parties non creusées. Nous distinguons deux catégories de taille douce. Dans la taille directe la plaque est directement creusée alors que dans la taille indirecte, c’est l’acide qui ronge la plaque en métal.

 

Burin et pointe sèche

Le burin et la pointe sèche sont des techniques de taille directe qui tirent leur nom des instruments utilisés. Le graveur creuse des sillons que l’on appelle des « tailles » directement sur une plaque métallique plus ou moins dure (zinc, cuivre, acier ou aluminium). Avec un burin, instrument à section carrée ou rectangulaire dont la pointe est taillée en biseau, le métal de la matrice est arraché par copeaux. Cet outil rigide demande une véritable habileté technique. Il permet cependant un travail de précision et de grande finesse. Pour la pointe sèche, la plaque est incisée avec une tige d’acier aiguisée. Ce dernier procédé est plus spontané. Contrairement au burin le trait est neveux et sec.
Le métal est rayé de manière irrégulière. L’encre est déposée dans les creux et est retenue par de « micro barbes » de part et d’autre de l’incision. Ce qui provoque un aspect velouté lors de l’impression des premiers exemplaires.
L’artiste pose alors une feuille humide sur la plaque et avec la pression de la presse, l’image s’imprime sur la feuille. Peu à peu les barbes s’estompent et disparaissent.

La pointe sèche est souvent utilisée avec d’autres procédés comme l’eau-forte pour intensifier ou ajouter d’autres traits. Il est difficile de distinguer ces deux procédés. Cependant dans la pointe sèche, les extrémités des traits sont pointues alors qu’elles sont arrondies pour l’eau-forte. L’effet général du burin est plus « sec » que l’eau-forte.

 

Eau-forte et aquatinte

L’eau-forte, l’aquatinte sont des techniques de taille indirecte. Le graveur recouvre la plaque d’un vernis cireux résistant à l’acide puis l’enfume pour la noircir et faciliter le tracer de son dessin avec une pointe d’acier. Il n’incise pas la plaque mais retire seulement le vernis. Ensuite, la plaque est plongée dans un bain d’acide. L’acide va mordre les parties dessinées où le métal est à nu. Plus le bain est long, plus la taille est profonde et plus les noirs sont sombres. L’artiste maîtrise plus facilement l’intensité des traits avec les techniques de taille directe. Avant d’encrer la matrice, le graveur doit laver la plaque et retirer l’ensemble du vernis avec un chiffon imbibé d’un dissolvant. A cette étape-là, il peut encore modifier le dessin avec une pointe sèche ou un burin (taille directe). L’eau-forte permet plus de spontanéité car l’artiste n’attaque pas directement la plaque de métal, très dure, mais le vernis, plus souple même si il reste un résultat hasardeux de la morsure non contrôlé que l’artiste découvre en tirant l’œuvre sur papier.

L’aquatinte, technique inventée à la fin XVIIIème siècle, est une variante de l’eau-forte qui permet différentes nuances en aplats de couleurs. Comme pour l’eau-forte, l’artiste réserve les zones qu’il veut épargner (parties vierges) avec du vernis. La matrice métallique est ensuite introduite dans une boîte hermétique dans laquelle sont soufflées de fines particules de résines de colophane qui se déposent sur le métal. Chauffées elles adhèrent à la plaque. L’artiste plonge la plaque dans de l’acide. Le mordant (ou acide) va creuser le métal seulement entre les particules. Apparaîtra alors sur l’estampe de tous petits points blancs qui donnent un effet grainé, du relief et de la douceur. Cette technique permet de donner des valeurs nuancées et des dégradés, de traduire des ambiances, de jouer sur les tons… impossible à obtenir avec l’eau-forte au trait.

Comme pour l’eau-forte, les différentes valeurs chromatiques obtenues sont dépendantes du temps d’immersion de la plaque dans l’acide.

 

  • AQUATINTE DE JEAN-MARC SCANREIGH

Jean-Marc Scanreigh, Jamais plus de deux noms, 1997. Exemplaire 5 sur 9. Eau-forte avec aquatinte sur papier Arches, impression en diverses couleurs , 32,7 x 25,2 cm Impression sur les presses des Beaux-Arts de Besançon Ref : E 1997 003 Courtesy Jean-Marc Scanreigh

 

Sur cette gravure de Jean-Marc Scanreigh nous retrouvons des plages lumineuses par aplats et petits points, traces des graines de résine qui nous permettent d’identifier l’aquatinte. Par ailleurs, le dessin au trait est la traduction de l’eau-forte : endroit où la plaque n’étant plus protégée par le vernis a été creusée par l’acide. Des figures inquiétantes se détachent sur un fond sans objet.

Son dessin mélange les registres du « disloqué/recomposé » et laisse le spectateur dans un univers à la fois onirique et effrayant.

« Mon initiation aux techniques de l’estampe est un moyen de surmonter des inhibitions passées et je mesure rétrospectivement à quel point le détour manifestement plus compliqué par la technique m’a offert une liberté de dessin tout à fait paradoxale. »
Jean-Marc Scanreigh, « Laboratoire lithographique
 », décembre 1997, paru dans La Mémoire lithographique : 200 ans d’images de Jörge de Sousa, Editions Art & Métier du Livre, 1998.

 

• GRAVURE (POINTE SÈCHE, BURIN, EAU-FORTE ET AQUATINTE) DE JEAN-PIERRE GIARD

Jean-Pierre Girad. Tête cachée par des mains, 1986. Aquatinte, eau-forte, burin, pointe sèche, 60,5 x 50,5 cm Exemplaire 4 sur 5

 

Tête cachée par les mains est un exemple d’œuvre reprenant les quatre procédés en creux décrits ci-dessus. L’eau-forte est utilisée comme base, le burin pour donner plus de vigueur et la pointe sèche pour adoucir les traits, soit en exploitant les veloutés produits par les barbes soit par l’intensité du geste. Les traits fins, secs et noirs sont le résultat de la pointe sèche et de l’eau-forte. Le tracé sombre, épais et velouteux est obtenu avec des tailles profondes qui donnent du relief à l’œuvre.

Les camaïeux de noirs et de gris sont les rendus de l’aquatinte.

 

 

IV. LES PROCÉDÉS À PLAT (OU PLANOGRAPHIES)

 

Contrairement à la taille douce ou la taille directe, le papier des estampes en planographie (ou impression à plat) n’a pas de cuvette. La cuvette ou « coup de planche » est la marque laissée par la matrice sur le papier lorsqu’il est écrasé dans la presse.

 

La lithographie

La lithographie vient du grec : Lithos  (pierre) et Graphein  (écrire). Elle apparaît à la fin du XVIIIème siècle. Cette technique se distingue des précédentes car il n’y a ni creux ni relief. La composition n’est pas gravée mais dessinée.

La pierre lithographique est calcaire, pure et régulière. Après nettoyage, le polissage donne une surface lisse. L’artiste peut ensuite dessiner avec des crayons lithographiques (plus ou moins gras) ou des pinceaux (encre litho grasse). Pour chaque couleur, il utilise une pierre différente (chromolithographie). La pierre est alors couverte d’un mélange d’acide nitrique et de gomme arabique : le mordant. Le gras du crayon ou de l’encre pénètre dans la pierre. Avant l’encrage la pierre est humidifiée. Tout ce qui n’est pas dessiné prend l’eau et repousse l’encre. Tout ce qui est dessiné en gras prend l’encre et repousse l’eau. L’artiste pose une feuille sur la pierre et passe l’ensemble sous presse. A chaque couleur, un passage sous presse avec une pierre différente et la même feuille. La lithographie permet des tirages en très grand nombre sans baisse de qualité.

Le rendu plastique de la lithographie est proche de celui du dessin ou de la peinture. Le geste peut être ample et spontané et instinctif comme en peinture. Il a la force et l’expressivité du dessin.

« La lithographie, grâce à sa capacité à rendre les moindres subtilités de l’improvisation m’aide à réinventer une nouvelle picturalité. Les crayonnés, frottis, effets crayeux, la douceur même de l’effet imprimé exempt de traces de pression, tout ceci contribue à donner à mon nouvel univers graphique de personnages et d’objets énigmatiques une dimension picturale. (…) Je considère la lithographie comme un lieu de création indépendant et stimulant. Cette pratique souvent considérée comme marginale dans la trajectoire d’un artiste a été pour moi au cœur même de l’élaboration créative. »
Jean-Marc Scanreigh, « Laboratoire lithographique », décembre 1997, paru dans La Mémoire lithographique : 200 ans d’images de Jörge de Sousa, Editions Art & Métier du Livre, 1998.

 

• SÉRIE DE LITHOGRAPHIES DE BENJAMIN HOCHART

Benjamin Hochart, “I”, 2014. Lithographie sur vélin de Rives. 65 x 50 cm. Exemplaire 2 sur 30. Production URDLA – Centre international estampe et livre, Villeurbanne. Courtesy URDLA

Benjamin Hochart, “G”, Lithographie sur vélin de Rives, 65 x 50 cm. Exemplaire 2 sur 30. Production URDLA – Centre international estampe et livre, Villeurbanne. Courtesy URDLA

Benjamin Hochart, “N”, Lithographie sur vélin de Rives, 65 x 50 cm. Exemplaire 2 sur 30. Production URDLA – Centre international estampe et livre, Villeurbanne. Courtesy URDLA

Cet ensemble de 5 estampes : T,H,I,N,G, édité à l’URDLA en 2014 présente 5 fois les mêmes motifs mais avec des passages de couleurs différents. A chaque couleur, une pierre différente. Chaque dessin passe 5 fois dans la presse mais dans un agencement chromatique différent. Dans ce travail comme dans toutes ses œuvres, l’artiste établit un protocole qui consiste à respecter un ordonnancement de lignes et de gestes, à appliquer à chaque forme un outil et à soumettre un cheminement au sein de la feuille. Il travaille à partir d’une boite à outils. Chaque outil génère un type de dessin. Il utilise ses outils toujours dans le même ordre.

 

• LITHOGRAPHIE DE LUCIE CHAUMONT

Lucie Chaumont, Extraction, 2014. Lithographie sur Vélin d’arches gris, 54 x 38 cm Exemplaire 4 sur 20 Production URDLA – Centre international estampe et livre, Villeurbanne.  Courtesy URDLA

 

Dans cette œuvre l’artiste parle directement du médium en représentant un chantier d’extraction de pierres lithographiques. Elle réalise, en regard de cette lithographie, un objet bien particulier : le dessin d’un fossile végétal sur une pierre lithographique. Cette pierre n’est pas destinée à être imprimée comme habituellement mais acquiert le statut d’objet d’art qui peut être accroché au mur tel un bas-relief antique.

Cet ensemble forme un diptyque qui questionne l’utilisation même de la technique et fait écho au travail de l’artiste. En effet Lucie Chaumont interroge l’opposition entre l’artisanat « le fait main » et l’industrie. Elle s’intéresse aux différentes couches, aux strates qui révèlent ou ensevelissent l’histoire.

 

« (…) Extraction/fossile se compose de deux éléments : une lithographie, c’est-à-dire un dessin fait sur une pierre, puis imprimé – historiquement l’invention de la lithographie ouvre la porte à l’impression industrielle. Le motif (une carrière d’extraction) se place en contre-point d’une pierre lithographique dessinée (mais non imprimée) qui laisse apparaître ce qu’elle pourrait contenir : la trace d’un déchet végétal – un fossile. Origine et fin se confondent, l’outil (la pierre) désigne son propre usage : être le support d’une trace (…) ». Extrait de : Éclats du réel, par Cyrille Noirjean, 2013

 

La sérigraphie

La sérigraphie est relativement récente mais proche d’une forme d’impression très ancienne : le pochoir. Dans la sérigraphie, le pochoir (ou procédés ajourés) isole des zones qui ne doivent pas recevoir l’encre.

Un écran de soie ou de tissu (Nylon) à trame fine est tendu sur un cadre en bois ou aluminium. Ce tamis constitue la matrice d’impression.

  • Soit l’artiste obture certaines parties de cette trame à l’aide d’un vernis. Il prépare autant de cadres qu’il aura choisis de couleurs. Contrairement à la lithographie, les mélanges chromatiques ne sont pas possible en sérigraphie.
  • Soit il enduit l’écran de soie (ou de polyester) d’un produit photosensible (sensible aux ultraviolets). Il pose le cadre sur le dessin pour réaliser l’insolation. Il le nettoie à grand eau. Le dessin apparaît en blanc. Ensuite, l’artiste pose le cadre sur une feuille blanche. Il dépose l’encre en grosse couche épaisse en haut de l’écran. Puis à l’aide d’une racle, il nappe uniformément l’encre sur toute la soie. Les parties dessinées laissent passer l’encre qui se dépose alors sur la feuille. Sur les écrans de soie, lorsqu’on met de la peinture, on obtient un aplat de couleur.

Cette technique permet d’obtenir des zones uniformes de couleur. Les images résultant de cette technique sont fortement définies, en contours comme en couleurs. La gamme d’encres vives et permanentes propose une grande variété d’effets : mat ou brillant, transparent ou couvrant. Elle permet une grande souplesse et s’applique sur tout support (papier, tissu, plastique, verre…) Depuis l’assistance par ordinateur, elle donne encore plus de possibilités.

 

• SÉRIGRAPHIE DE HERMANN AMANN

Hermann Amann Puissance subjective, 1979 Exemplaire 49 sur 70 Editeur Spiess, Seconde Modernité Impression Atelier Pierre Schmidt Sérigraphie originale sur papier 7 couleurs 65 x 50 cm. Courtesy Lionel Spiess, Galerie Seconde Modernité

 

Hermann Amann travaille sur la recherche de la couleur pure. Son idéal serait de créer une peinture où les couleurs n’auraient d’autres références qu’elles-mêmes : la couleur pour la couleur sans recherche formelle.

Ici, grâce à la technique de la sérigraphie, l’œuvre est réalisée en aplats de couleurs denses, subtilement rompues, et aux contrastes nets. Chaque couleur a été choisie par les soins de l’artiste. Par le procédé de la sérigraphie, chaque couleur est pure et non le résultat d’une quadrichromie (comme c’est le cas dans l’imprimerie). Ainsi, l’œuvre peut dégager toute son énergie, sa force selon les préoccupations du mouvement créé par Hermann Amann : « Nouvelle Pigmentation ».

 

• SÉRIGRAPHIE DE DOCUMENTATION CELINE DUVAL

documentation céline duval, La fente, 2008 Sérigraphie sur papier Rivoli 300 g Exemplaire 59 sur 1000 70 x 50 cm. Semiose éditions

 

Céline Duval s’est constitué une banque d’images provenant de sources variées : photographies de famille, de reportages, d’archives ou d’images publicitaires… ainsi que ses propres photographies. Elle les numérise, classe, retravaille, découpe, agrandit pour les traduire en livre, diaporama, sérigraphie…en créant des “micro-fictions“.

La photographie en fichier numérique est convertie en une série de petits points appelés « points tramés » pour le processus d’impression. Le traitement est contrasté avec un noir bleuté qui accentue l’aspect désuet. La forme pyramidale revient très souvent dans ses compositions avec l’idée de fragilité, d’équilibre précaire.

 

La digigraphie ou estampe numérique

Elle a révolutionné l’estampe de la fin du XXème siècle en permettant de transférer n’importe quel fichier d’images sur une matrice. Elle se travaille à partir d’un ordinateur et se réalise grâce à une imprimante à jet d’encre, de grande qualité, sur différents supports. Tout le travail se réalise à l’écran. Cette technologie récente ouvre encore plus de possibilités et de facilités. L’artiste s’engage à détruire son fichier (matrice) après création et comme pour toute autre estampe, à contrôler, signer et numéroter chaque tirage. Néanmoins cette technique est très éloignée des presses lithographiques et des méthodes d’impression traditionnelles.

 

Prochainement sur l’influx  Le mordant de l’estampe 2/2  avec la découverte de grands ateliers et des estampes hors du commun.

 

 

V. POUR ALLER PLUS LOIN

 

Vocabulaire de la gravure

(d’après « Comment regarder la gravure » de Lorenza Salamon)

Barbes : minuscules copeaux de métal déposés sur les bords des sillons (ou tailles) gravés à la pointe sèche ; l’encre retenue par les barbes donne aux traits un velouté caractéristique. Les passages successifs de la presse écrasent les barbes, annulant ainsi cet effet velouté, qui n’est visible que sur les premières épreuves.

Bon à tirer : Une épreuve d’essai est tirée. Si le résultat est concluant, le graveur signe l’épreuve et ajoute la mention B.A.T (bon à tirer). Le B.A.T. est l’épreuve de référence. Toutes les épreuves du tirage devront s’approcher le plus possible de ce modèle.

Burin : le burin, avec une tige en acier en carré ou en losange, permet de faire des entailles nettes et profondes dans la plaque sans laisser de barbes.

Cuvette (ou « coup de planche») : empreinte laissée par la plaque de métal sur le papier, autour de l’image.

Epreuve d’artiste : épreuve qui ne fait pas partie d’un tirage numéroté et qui est destinée à l’usage personnel de l’artiste. Les épreuves d’artiste représentent en général 10 % du tirage.

Epreuve d’état (ou d’essai) : épreuve tirée en cours de travail pour permettre de suivre l’évolution de celui-ci et de voir si des modifications sont nécessaires.

Estampe : terme utilisé pour désigner l’image imprimée sur papier ; c’est l’empreinte réalisée à l’encre sur un support à partir d’une matrice. Sont considérées comme des estampes les images imprimées obtenues par les procédés d’impression modernes et contemporains.

Gravure : Ce terme désigne une technique qui consiste à creuser ou inciser une matière dure pour y graver un dessin. Il est utilisé couramment comme synonyme d’estampe.

Langes (ou les feutres) : que l’on place sur le papier au moment de l’impression afin de le protéger et d’assouplir.

Matrice : support (bloc de bois, plaque de métal) sur lequel l’artiste grave son dessin, et à partir duquel est réalisée l’image imprimée, l’estampe.

Morsure : dans les techniques de l’eau-forte et de l’aquatinte, désigne l’action de l’acide qui attaque les parties de la plaque de métal non protégées par le vernis, qui correspondent au dessin.

Pointe sèche : outils avec sa tête bien aiguisée qui griffe la plaque en laissant une barbe de métal autour de son sillon.

Pointe diamant : outils qui est une variante de la pointe sèche, plus délicate, qui permet plus de nuances de gris.

Poupée : tampon en bois habillé d’un chiffon utilisé pour répartir les couleurs sur la matrice de métal. L’encrage à la poupée permet de déposer plusieurs couleurs en même temps afin de ne réaliser qu’un passage sous presse.

Print : impression numérique d’une œuvre en haute résolution. Parfois appelée digigraphie ou offset. Le tirage numérique est limité et signé.

Rendre le papier amoureux de l’encre : humidifier le papier pour l’assouplir

Réserve : en gravure, les réserves sont les parties protégées contre la morsure à l’aide de touches de petit vernis posées au pinceau par-dessus les traits dessinés à la pointe.

Taille : Sillons, creux, gravés sur la plaque de métal.

 

Bibliographie 

Le grand livre de la gravure : techniques d’hier à aujourd’hui /

Ann d’Arcy Hughes, Hebe Vernon-Morris ;

traduit de l’anglais par Claire Rascle.

Paris : Pyramyd, 2010

 

 

Le dictionnaire technique de l’estampe /

André Béguin.

Paris : André Béguin, 1998

 

 

L’estampe, l’histoire d’un art /

André Béguin, Anthony Griffiths, Michel Melot et Richard S. Field. Genève,

Paris : Skira, 1981

 

Techniques de la gravure. Guide des techniques et de l’histoire de la gravure d’art originale /

Ales Krejca ;

[Traduit du tchèque par Barbora Faure].

Paris : Gründ, 1983

 

 

Le manuel complet de gravure /

Bill Fick et Beth Grabowski ;

traduit de l’anglais par Marie-Christine Guyon.

Paris : Eyrolles, 2017

 

 

XXL, Estampes monumentales contemporaines :

[exposition, Caen, Musée des beaux-arts de Caen, 25 mai-15 septembre 2019] /

[catalogue] sous la direction de Caroline Joubert.

Paris : Lienart, Caen : Musée des Beaux-Arts de Caen, 2019

 

 

Editions Limitées, estampes originales contemporains /

Emmanuelle Pérès avec Amélie Seydoux.

Paris : Action française d’action artistique. 1999

 

 

 

Rien que pour vous yeux : petit traité des techniques de l’estampe

[exposition, Vevey, Musée Jenisch Vevey, Cabinet cantonal des estampes, 20 septembre 2019-5 janvier 2020] /édité par Camille Jaquier, Florian Rodari ;

avec des textes de Nathalie Chaix, Camille Jaquier, Marie-Pierre Litaudon… [et al.].

Zuricj : Scheidegger & Sipess, cop. 2019

 

 

Comment regarder la gravure /

Lorenza Salamon ; avec la collaboration de Marta Alvarez Gonzalez ;

traduit de l’italien par Claire Mulkai.

Vannes : Hazan. 2017

 

 

La gravure [Livre] : l’histoire, les techniques, les chefs-d’oeuvre de l’art graphique, des origines à nos jours /

Maria Cristina Paoluzzi ;

trad.-adapt. par Marie-0dile Kastner.

Paris : Solar, 2004

 

 

 

La gravure /

Jean Adhémar. PUF (Que sais-je ?),

1972 (réédité en 1990)

 

 

 

 

Artension  hors-série

L’estampe aujourd’hui, gravure, multiple, numérique

octobre 2021.

Nouvelles de l’Estampe Revue fondée en 1963. Elle est la seule revue académique française sur le thème de l’image imprimée et publie également des textes sur la création actuelle.

 

 

Sites à découvrir

 

Atelier Genevois de gravure contemporaine, ce site présente les techniques de la gravure et propose des cours d’initiation.

Centre de la gravure et de l’image imprimée, La Louvière

Centre de l’édition contemporaine 

Cneai= Centre national d’art contemporain consacré au domaine de la publication d’artiste et de l’œuvre-média.

Le collectionneur moderne.com Dans le cadre de son dossier « Les Mystères de l’Estampe » sur les techniques de la gravure, Le Collectionneur Moderne présente un panorama des différentes méthodes employées en taille-douce et en taille d’épargne.

L’estampe du XVème siècle au XXème siècle, Site Gallica, BnF

Manifestampe, Fédération Nationale de l’estampe créée en 2004

Michael Woolworth, imprimeur et éditeur d’art d’origine américaine installé à Paris. Il produit des éditions originales avec des artistes contemporains et réalise lui-même des gravures sur bois.

Multiple Art Days, salon annuel des pratiques éditoriales contemporaines à Paris.

Musée de l’imprimerie et de la communication graphique

Musée de Gravelines, musée du dessin et de l’estampe originale

Tchikebe, imprimerie spécialisée dans les tirages d’art en sérigraphie, les impressions pigmentaires Fine Art (Giclée)

Techniques d’impressions, Blog. Pixartprinting, expériences, conseils, idées.

Triennale mondiale de la gravure originale, petit lexique des techniques de l’estampe par Marie Naud, septembre 2017

URDLA, centre international estampe et livre : un lieu de réflexion et un outil de diffusion.

Partager cet article