Jérôme Zonder
Sur la route
Publié le 13/12/2021 à 10:48 - 4 min - par Tori
Jérôme Zonder est né en 1974. Diplômé de l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris en 2001, il vit et travaille à Paris. Le dessin est son expression. Il expérimente toute sorte de matériaux, de l’encre de chine au stylo Bic en passant par l’aquarelle. Le fusain ou la mine de plomb lui permettent d’obtenir de nombreux dégradés et la plus grande variété des noirs.
Zonder travaille en noir et blanc. Il prend son inspiration dans des images historiques, d’archives ou documentaires, très souvent en noir et blanc, (de la naissance de la photographie en 1839 jusqu’à la pratique courante de la photographie couleur vers 1970). Il réinvente, réécrit son histoire actuelle nourrie de toutes les images qui l’habitent et le dévorent.
“Il faudrait savoir regarder dans les images ce dont elles sont les survivances. Pour que l’histoire, libérée du pur passé […], nous aide à ouvrir le présent du temps.” Georges Didi-Huberman, p.226.
Jérôme Zonder transcrit avec virtuosité ces mémoires intimes et historiques pour regarder, digérer et tenir encore debout face à l’Histoire traumatisante de l’humanité. D’une facture classique et d’un réalisme impressionnant, son dessin ne campe pas les faits historiques dont il s’inspire, mais en suggère des traces.
Pour Zonder le « savoir-faire » est une priorité. Le spectateur a tendance à voir la violence, la décadence et la cruauté des thèmes abordés avant la qualité plastique du dessin.
« Ce qui m’intéresse c’est de dessiner et pas de faire des dessins » Jérôme Zonder
Dans son travail les références à Albrecht Dürer, Robert Crumb, Rembrandt, Charles Burns, Otto Dix, Eric Manigaud, Walt Disney… composent des récits souvent déchirants et hostiles qui dépeignent une sombre vision du monde. La bande-dessinée, l’histoire de l’art et le cinéma nourrissent son travail.
Ici, l’évocation faussement naïve de l’enfance et les horreurs de la guerre peuvent rappeler Sempé comme Goya.
« Sur la route 1 » réalisée en 2009 à l’URDLA est une eau-forte. L’eau-forte est une manière de dessiner en plusieurs exemplaires, d’envisager le dessin avec les contraintes de l’estampe.
Du savoir-faire…
L’eau-forte est une technique de taille indirecte. Le graveur recouvre la plaque d’un vernis cireux résistant à l’acide puis l’enfume pour la noircir et faciliter le tracer de son dessin avec une pointe d’acier. Il n’incise pas la plaque mais retire seulement le vernis. Ensuite, la plaque est plongée dans un bain d’acide. L’acide va mordre les parties dessinées où le métal est à nu. Plus le bain est long, plus la taille est profonde et plus les noirs sont sombres. L’artiste maîtrise plus facilement l’intensité des traits avec les techniques de taille directe. Avant d’encrer la matrice, le graveur doit laver la plaque et retirer l’ensemble du vernis avec un chiffon imbibé d’un dissolvant. A cette étape-là, il peut encore modifier le dessin avec une pointe sèche ou un burin (taille directe). L’eau-forte permet plus de spontanéité que la pointe sèche car l’artiste n’attaque pas directement la plaque de métal, très dure, mais le vernis, plus souple même si il reste un résultat hasardeux de la morsure non contrôlé que l’artiste découvre en tirant l’œuvre sur papier.
La technique même de cette œuvre parle de la violence : morsure, acide… En gravure, l’artiste creuse alors qu’en dessin, il ajoute de la matière, qu’il peut estomper, effacer. Graver ce n’est pas dessiner, c’est son contraire. C’est comme dessiner à l’envers. L’artiste Jérôme Zonder ouvre la matière, incise, griffe et dévoile un univers terrifiant où l’humain descend aux enfers, creuse sa tombe.
…au savoir montrer
La maison, le soleil et les nuages sont dessinés d’un trait enfantin. Le jeune garçon qui chemine de sa maison vers nous est terrifiant : gros points noirs à la place des yeux, bouche et nez simplifiés, visage sans relief et sans expression, proportion démesurée de la tête par rapport au corps… Cette figure de l’enfance n’annonce pas un avenir radieux.
Au premier plan, telle une sculpture décadente ou un « arbre de mort », des bras et jambes-branches sortent d’un tronc-visage en décomposition qui crie sa souffrance : bouche ouverte, œil pendant. Tout autour un champ de fœtus, crânes, détritus, chaussures abandonnées, boyaux et corps inanimés, se confondent avec la terre, l’herbe ou les cailloux. Sur la gauche, on aperçoit le devant d’une voiture abandonnée. Le tiers supérieur de l’œuvre présente un ciel dégagé, traité en aquatinte avec un dessin au trait simplifié. Dans les deux autres tiers, le dessin est nerveux, chargé de traits et de traces macabres. On a peut-être là un raccourci tragique de la vie qui se termine dans la putréfaction des corps rongés, avalés, les uns dans les autres.
Pour aller plus loin
Quatre œuvres, “Sur la route 1” à “Sur la route 4” de Jérôme Zonder sont en prêt à l’artothèque de la bibliothèque de la Part-Dieu, pour les collectivités.
Un livre d’artiste “Fruits” est en prêt en salle Arts et Loisirs de la Bibliothèque de la Part Dieu
Jérôme Zonder, l’Atelier A, vidéo réalisée en 2017
Voir aussi
Les dessins de Franz Kafka
Kafka, Les dessins. Paris : Les cahiers dessinés, 2021
Les dessins de David Lynch
David Lynch : the air is on fire. Exposition, Paris, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 13 mars – 27 mai 2007. Arles (Bouches-du-Rhône) : Actes Sud ; Paris : Fondation Cartier pour l’art contemporain : X. Barral, 2007
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