Une pépite retrouvée du cinéma afro-américain
Ganja & Hess de Bill Gunn (1973)
Publié le 21/06/2021 à 16:11
- 4 min -
par
XX
Mélange étonnant qui flirte avec le film de vampire, la mythologie africaine, le burlesque psychédélique et le manifeste pamphlétaire, l’œuvre propose une réflexion politique et artistique totalement nouvelle.
Contexte historique du film
Nous sommes au début des années 70, les États Unis sont à peine sortis de la ségrégation et son cinéma tout juste affranchi du Code Hays.
Le cinéma « de genre » bat son plein et la Blaxploitation se fait progressivement une place sur les écrans.
Réalisé par des cinéastes noirs, avec des acteurs noirs, pour un public noir, le genre veut avant tout donner leur place aux Afro-américains dans la production américaine.
Tous les genres du cinéma à succès y sont explorés, ou presque.
On y trouve des films d’espionnage,
avec Shaft, Les Nuits de Harlem, de Gordon Parks (1971), film culte s’il en est qui met en scène un détective privé noir, tombeur de ces dames
des films de gangsters,
à l’instar de Super Fly de Gordon Parks Jr (fils de Gordon Parks) ou Meurtres dans la 110e rue de Barry Shear, tous deux sortis la même année que Le Parrain de Coppola (1972)
du revenge movie,
comme en témoigne Coffy, la panthère noire de Harlem de Jack Hill (1973) dont le personnage principal est une infirmière noire qui décide de faire le ménage chez les dealers.
Le western, lui non plus, n’échappe pas à la déferlante blaxploitation.
Buck et son complice, de et avec Sydney Poitier et Harry Belafonte sort en 1972 et propose une vision inédite du Far West des opprimés (esclaves noirs ou natifs amérindiens).
On voit également des films de Kung Fu
avec Black Samuraï de Al Adamson (1976),
des films d’horreur
avec un Frankenstein Black baptisé Blackenstein de William A. Levey, 1973
ET des films de vampires,
avec l’incontournable Blacula de William Crain (1972)
Tourné dans cette dernière veine de la Blaxploitation, le méconnu Ganja & Hess de Bill Gunn revisite les codes du genre.
Il raconte l’histoire du Dr Hess, anthropologue de renom qui effectue des recherches sur un ancien peuple africain. Frappé d’un coup de dague cérémonial par son assistant qui se suicide peu après, Hess se découvre alors une addiction au sang humain.
Génèse du film et appropriation des codes du genre
Sorti de la lignée de Shaft ou du célèbre Blacula, cités plus haut, le film est réalisé à la demande de producteurs qui réclament un film de vampires noirs, reprenant les items du genre.
Un jeune réalisateur, presque inconnu, accepte le projet.
Bill Gunn (1929-1989), alors âgé de 38 ans, doit une certaine renommée à son travail au théâtre.
Il est déjà l’auteur d’un premier film : Stop (produit par la Warner) qui n’a jamais été distribué pour cause d’évocation homosexuelle.
Le cinéaste propose un scénario, engage comme interprète principal Duane Jones (l’un des rôles principaux de La Nuit des morts vivants de George Romero) puis détourne le genre pour livrer un film expérimental qui parle d’addiction, du poids de la religion et de la condition noire aux États-Unis.
Le film est un OVNI formel : il déploie notamment une succession de séquences oniriques, burlesques ou provocatrices (voire tout cela en même temps), avec une liberté de filmer les corps –noirs, nus, femme et homme– tout à fait inattendue.
Par ailleurs, il est essentiel de souligner l’importance de la musique dans les films de Blaxploitation.
En effet, elle révolutionne les schémas habituels de la Bande Originale.
La place qu’elle occupe, notamment au niveau narratif, le rythme qu’elle donne au récit, la structure (ou l’ossature) qu’elle apporte à l’image sont des éléments complètement nouveaux.
Cette présentation en donne toute la mesure !
Les Génériques Blaxploitation – Blow up – ARTE, 2015
Ici, il faut souligner l’inventivité de la BO, supervisée par Sam Waymon, frère de Nina Simone et expérimentateur musical plein d’audace : une inventivité sonore faite du mélange de sonorités traditionnelles africaines au gospel, de folk, électroacoustique, et soul électrique.
Un échec cuisant…
Bien entendu, les producteurs sont furieux du résultat !
Ils jugent le film à la fois trop intello et trop érotique.
Ils le ressortiront le film sous deux versions différentes : Blood couple et Dubble possession, fruits de nouveaux montages utilisant des rush inexploités par Bill Gunn.
Il faudra par la suite huit ans pour que le réalisateur maudit retrouve la confiance de nouveaux producteurs et puisse travailler sur un nouveau film…
Personal problems (1980), bien que présenté en avant-première au Centre Pompidou ne sortira jamais en salle…
Malgré sa projection lors de la Semaine de la Critique (Cannes 1973) où le film a été apprécié, Ganja & Hess sera démoli par les médias et restera un échec en salles.
Aujourd’hui, il est présenté comme l’un des films majeurs de l’histoire du cinéma afro-américain.
Il donnera même lieu à un remake (officieux) signé Spike Lee en 2014 : Da sweet blood of Jesus.
Œuvre inventive et provocante, curieux mélange d’horreur, d’érotisme et d’expérimentations visuelles, le film est longtemps resté inédit.
Aujourd’hui proposée en version restaurée par le MoMA, il est un OVNI de genre à découvrir !
Ganja & Hess de Bill Gunn
Avec Duane Jones, Marlene Clark, Bill Gunn, etc. – Musique originale de Sam L. Waymon
Pour aller plus loin, vous trouverez en bibliothèque :
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