Médias

La cuisine fait son show

Le triomphe des émissions de cuisine à la télévision

- temps de lecture approximatif de 6 minutes 6 min - Modifié le 12/04/2017 par Virginie J

Apparues pour la 1ère fois sur nos écrans dans les années 50, les émissions de cuisines font aujourd'hui partie des programmes les plus populaires. Retour sur un genre qui a infiltré toutes les grilles horaires de la télévision.

Légumes sautés à la poêle
Légumes sautés à la poêle

Quoi de plus universel que la nourriture ?

C’est certainement la réflexion qui a menée les producteurs de la RTF à lancer en 1953 la toute première émission de recettes du petit écran, Les recettes de Monsieur X. Pensée d’abord comme un divertissement, l’émission est présentée par Georges Adet, comédien de théâtre et cuisinier amateur. Ne disposant d’aucune réelles compétences en cuisine, le présentateur ne convainc pas et le succès plus que mitigé de l’émission conduit à son interruption seulement un an après son lancement.

Aujourd’hui, la cuisine, à la tête des loisirs préférés des Français, se décline à toutes les sauces sur les écrans. Pas une seule chaîne qui ne propose son émission de recettes, son concours culinaire, son reportage terroir, son émission globe croqueuse… Sans cesse renouvelées, les émissions de cuisine sont des témoignages de la culture télévisuelle de leurs époques, et des pratiques culinaires des Français. Parfois en décalage avec la cuisine du quotidien, elles témoignent depuis toujours du goût que nous avons pour la mise en scène de notre alimentation.

Les émissions de recettes, les premiers pas de la cuisine à la télévision

Art et magie de la cuisine, l’émission qui fait suite aux recettes de Mr X, est diffusée à partir de 1954 et confie les manettes de l’émission à un vrai cuisinier, Raymond Oliver, chef du restaurant étoilé Le Grand Véfour à Paris. Assisté de Catherine Langeais, speakerine choisie pour représenter la ménagère, Raymond Oliver règne pendant 14 ans, jusqu’en 1968, sur la gastronomie télévisuelle.

Avec un véritable professionnel aux commandes, l’émission se positionne à la fois sur la transmission du savoir et sur la performance professionnelle qui passe par la démonstration technique des recettes. Malgré la relation maître-élève très marquée entre Raymond Oliver et Catherine Langeais, caractéristique des valeurs de l’époque, le ton se veut pédagogique et contribue durablement au succès de l’émission.

Entre 1968 et 1978, les émissions culinaires, jugées trop conservatrices pour le public de l’époque, disparaissent des programmes. Elles se développent à nouveau à partir de 1978 avec l’apparition sur Antenne 2 de Michel Oliver, fils de Raymond Oliver, qui présente une émission hebdomadaire La vérité est au fond de la marmite, et qui reprend le format didactique de l’émission paternelle.

Par la suite, les années 80 voient arriver l’une des émissions de recettes les plus cultes du petit écran, La cuisine des mousquetaires, animée par la non moins culte Maïté. Propulsée en 1983 par la chaîne France 3 Aquitaine, à une époque ou les régions sont mises en valeurs à travers leurs patrimoines ou leurs gastronomies, Maïté et sa cuisine “folklorique” marque une génération entière de spectateurs.

Véritable succès, l’émission dépasse les frontières du sud-ouest et sera diffusée quotidiennement sur la chaîne nationale. Tenant plus du spectacle culinaire que de l’émission de recettes, en décalage complet avec la cuisine quotidienne des français, l’émission suscite pourtant l’engouement du public, qui raffole de l’authenticité du programme et de sa présentatrice. Personnage très populaire, Maïté est ainsi devenue, grâce à sa gouaille, son accent et son naturel, une figure de notre culture télévisuelle.

A l’inverse du personnage haut en couleur de Maïté, la célèbre émission Bon appétit bien sûr met en avant l’académisme des ténors de la gastronomie. Diffusée de 2000 à 2009 sur France 3, l’émission est présentée par Joël Robuchon qui réalise des recettes accompagnés d’un(e) grand(e) chef(fe) invité(e) pour l’occasion : Pierre Hermé, Anne-Sophie Pic, Alain Ducasse ou Marc Veyrat…

D’un format assez classique, le programme joue la carte de la transmission mais tente pour la première fois de désacraliser la grande cuisine.

Les années 2000, l’avènement de la cuisine-réalité

C’est à partir des années 2000 que les émissions culinaires connaissent une profonde évolution. S’inspirant des show culinaires américains et des premières télé-réalités, la cuisine est de plus en plus mise en scène comme un spectacle avec nombre de ressorts dramatiques à la clef.

La nouvelle vague des show culinaires commence avec l’arrivée du chef Cyril Lignac sur M6 en 2005, lorsque la chaîne lui consacre un documentaire de 5 épisodes intitulé Oui chef ! sur le lancement de son restaurant gastronomique à Paris. Animateur phare d’M6, chouchou du public, il participe pendant plusieurs années aux projets culinaires de la chaîne qui teste alors différents types de programmes. Elle se positionne notamment sur un nouveau type d’émissions culinaires : l’émission de coaching.  Dans Chef la recette (2006), Cyril Lignac cuisine conjointement avec des téléspectateurs tout en partageant ses astuces de professionnel. Par la suite, cet aspect coaching s’affirme dans l’émission Chef contre attaque (2008-2010), dans laquelle le chef tente d’apprendre les rudiments de la gastronomie à des participants ne sachant pas cuisiner.

L’émission de coaching culinaire atteint son sommet lorsqu’ M6 développe sa propre version de l’émission britannique Ramsay’s Kitchen Nightmares. Intitulée Cauchemar en cuisine et animée par le chef cuisinier Philippe Etchebest, on y retrouve tous les ressorts de la téléréalité (drame, émotion, suspense…) dans une émission qui tient plus du redressement musclé que du sympathique coaching culinaire.

C’est également à cette période que naissent les concours de cuisine – créneau sur lequel TF1 et M6 se font concurrence avec respectivement Masterchef, diffusé entre 2010-2015 et Top chef, toujours à l’antenne depuis 2009.

En parallèle, les émissions de découverte culinaire font leur apparition, notamment sur la chaîne France 5. Moins spectaculaires que les concours, elle n’en sont pas moins appréciées du public. Le terroir français est mis à l’honneur par le critique gastronomique Jean-Luc Petitrenaud dans ses émissions, tout d’abord Carte postale gourmande (2000-2006) suivie par Les Escapades de Petitrenaud, toujours diffusées. Quant aux cuisines du monde qui ne sont pas en reste, on peut citer une des premières émissions du genre, Fourchette et Sac à dos (2007 à 2012) qui, dans un format proche du documentaire, entraîne les spectateurs dans les voyages culinaires de l’animatrice Julie Andrieu.

Grace à la multiplication des émissions culinaires, les spectateurs s’approprient les codes et le langage de la cuisine gastronomique, la frontière entre professionnels et amateurs s’estompe. Ces dernières années ont vues une réelle montée en gamme de la cuisine et de nombreux programmes proposent aux amateurs de s’affronter dans des conditions parfois proches des concours professionnels.

Un diner presque parfait, programme diffusé sur M6 entre 2008 et 2014 puis sur W9 depuis 2015 surfe sur cette mode de la compétition en proposant à des téléspectateurs de se mesurer les uns aux autres lors d’une série de repas organisés à leurs domiciles. Le meilleur pâtissier, autre concours signature de la chaîne, voit s’affronter des pâtissiers amateurs dans des épreuves très techniques et va jusqu’à servir de tremplin professionnel pour les participants.

 

Miroirs de leurs époques, les émissions de cuisine ont su évoluer avec la société et s’accorder avec les attentes de leurs publics.

Longtemps dédiées aux femmes, cuisinières du quotidien, les émissions de cuisine sont sorties de la sphère ménagère. S’adressant autant aux hommes qu’aux femmes, on retrouve une plus grande mixité parmi les participants et les spectateurs de ces programmes, signe d’une évolution dans nos pratiques domestiques. Valorisant le “fait maison” à une époque où il est de plus en plus anxiogène de se nourrir, ces émissions contribuent également à faire de la cuisine une compétence sociale, indispensable pour faire de nous des adultes accomplis.

Reste à savoir si ces programmes réussiront à se réinventer car malgré l’engouement du public, Internet distance largement les chaînes télévisées en proposant aux spectateurs des milliers de ressources, blogs culinaires, sites de recettes ou encore tutoriels Youtube, pour combler leurs appétits en matière de cuisine.

 

Voici en complément quelques documents disponibles à la bibliothèque municipale de Lyon :

La cuisine en spectacle, les émissions de recettes à la télévision française – Olivier Roger 

La merveilleux spectacle de la téléréalité – Benoît Feroumont

Ma vie au poste, huit ans d’enquête (immobile) sur la télé du quotidien – Samuel Gontier

 

Enfin, pour vous mettre en appétit, voici quelques archives mise en ligne sur la chaîne Youtube de L’Ina, dédiée aux émissions de recettes :

Les œufs à la tripe de Monsieur X

Les pommes soufflées de Raymond Oliver

Le chou farci de Michel Oliver

Maïté et ses anguilles en matelote

Le sanglier façon Maïté

Quand l’humour s’empare de la cuisine

 

 

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