A redécouvrir

Antoine Bonnet : "La terre habitable" (2000)

- temps de lecture approximatif de 1 minutes 1 min - Modifié le 21/11/2020 par GLITCH

Dédié à la recherche et à la création musicale, fondé en 1975 par Pierre Boulez, l'IRCAM est une institution qui doit surmonter un double handicap. Celui d'être à peu près inconnue du public et régulièrement éreintée pour son avant-gardisme dogmatique ou pour la place hégémonique qu'elle occupe dans le petit monde de la musique contemporaine en France.

Ces reproches feraient presque oublier le travail de pionnier que l’IRCAM produit dans les domaines de l’acoustique musicale ou de l’aide à la composition. Sans parler du soutien à la création pour les nombreux compositeurs que l’IRCAM a hébergés et soutenus depuis presque 40 ans.

Car l’IRCAM est aussi un label discographique, dont la collection Compositeurs d’aujourd’hui (14 titres entre 1995 et 2005) est un témoignage passionnant. Il rend compte du travail de compositeurs souvent méconnus, mais aussi de l’histoire et de l’esthétique de l’IRCAM lui-même.

Ainsi d’Antoine Bonnet, dont le CD édité par l’IRCAM en 2000 est la seule trace enregistrée. Abstraite et complexe, sa musique l’est assurément, mais aussi inventive, expressive… et limpide. Grâce à un ensemble à la fois réduit et varié (16 instruments différents), le grand cycle La terre habitable joue sur des combinaisons virtuoses d’effectifs, de timbres, de textures, de tempis qui jamais ne s’empâtent dans des effets de masse. L’oeuvre tisse une trame dense et sévère, ciselée et pleine de mouvement, une luxuriance claire sans doute tenue par l’inspiration des textes de Gracq autour desquels le compositeur a écrit. Même raffinement de nuances, de détails, même refus de l’effet, du raccourci rhétorique.

Nachtstrahl se risque à donner un corps sonore à un poème de Paul Celan : un drame ramassé et nu qui semble regarder du côté de Schönberg, comme si le tragique d’Erwartung s’était glissé dans l’écriture du Pierrot lunaire.

Epitaphe clôt le programme par une plongée spectaculaire dans les entrailles d’un orchestre qui semble vouloir s’engloutir dans des graves amplifiés par l’électronique

Les oreilles chagrines reprocheront à ce disque de sonner IRCAM, lui trouveront sécheresse et complexité laborieuse, moqueront la tartine musico-philosophique du livret, ou lui accorderont seulement d’être un fleuron de l’écriture post-sérielle chère à Boulez.. Mais il faut bien une fois risquer cette écoute, risquer de trouver cette musique belle et captivante par delà les on-dit et les chapelles…

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