Religions

L’apocalypse : c’est pour aujourd’hui ou pour demain ?

- temps de lecture approximatif de 7 minutes 7 min - Modifié le 17/03/2023 par Département Civilisation

L’an 2000, puis l’année 2012 n’ont pas tenu leurs promesses de fin du monde. A de nombreuses reprises au cours de l’histoire la catastrophe qui libèrerait de la tension de cette attente a été remise à plus tard. Alors que le salut promis par les religions ne fait plus recette (ou sous une forme plus politique) et que les différentes révolutions n’ont pas apporté les changements espérés, retarder ou accélérer la fin du monde semble désormais reposer sur les seules épaules de l’espèce humaine.

Le Jugement dernier par Jérôme Bosch

La fin du monde a déjà eu lieu

Deux créations successives dans le récit biblique de la Genèse , quatre âges dans la cosmogonie hindoue, mythe des quatre soleils des Aztèques …, la création du monde est un bégaiement. Dans de nombreuses cultures ce n’est qu’au prix de plusieurs essais que notre monde a pu émerger du néant ou du chaos. Les civilisations les plus anciennes ont vu dans le retour cyclique des saisons, l’alternance du jour et de la nuit un modèle pour interpréter le monde. Dès lors, l’idée même de fin et de renaissance est présente, reste à en imaginer et narrer les modalités. La catastrophe, ou l’apocalypse, offre alors un scénario d’une puissance inimitable. Au passé comme au futur. Deux ouvrages illustrés nous proposent des images d’hier et d’aujourd’hui : Les fins du monde de l’Antiquité à nos jours et Apocalypses ! : une brève histoire de la fin des temps d’Alex Nikolavitch.

Mais qu’est-ce donc qu’une apocalypse ?

L’apocalypse, du grec signifiant non la catastrophe, comme on le croit souvent, mais « la révélation des choses cachées » est bien sûr célèbre par le texte de Jean qui clôt la Bible chrétienne. Dernier livre du Nouveau Testament canonique, il annonce mille ans messianiques d’harmonie succédant à mille ans de fureur et de décadence avant l’avènement du Jugement dernier. Ce texte relève d’une forme de christianisme qui s’exprime dans les termes et selon les concepts propres au « judaïsme tardif » ou judéo-christianisme. En effet, l’apocalypse est un genre littéraire très présent dans le judaïsme  au tournant de l’ère chrétienne du IVe siècle avant J.-C. à la fin du IIe siècle de l’ère chrétienne. Ces oeuvres retracent l’histoire passée, des origines jusqu’à l’heure présente. « Sorte de généalogie exhaustive de ce que l’on appelle désormais « ce monde-ci » et ce qui se montre, en des visions ou « révélations », comme « le monde qui vient » (…) « révélant » l’état et le statut définitifs des choses, terrestres et célestes, à la phase ultime de l’histoire, ces écrits ont donc une portée « eschatologique » (du grec pour les « choses ultimes »). Article Littératures apocalyptique et apocryphe de l’Encyclopaedia Universalis.

On connaît ainsi L’apocalypse syriaque de Baruch (entre 200 et 150 avant Jésus-Christ), les Livres d’Esdras, d’Hénoch et de Daniel, l’Apocalypse d’Abraham et l’Apocalypse d’Elie. C’est dans le Livre d’Ezéchiel qu’apparaissent les noms de Gog et Magog, préfigurant la bataille qui libérera Israël du joug de Gog, à Magog, annonçant la venue du Messie.

Plusieurs de ces textes apocalyptiques n’appartiennent ni au canon juif ni au Nouveau Testament. Ce sont les Ecrits intertestamentaires , sans doute rédigés entre -50 et +50 de l’ère chrétienne.

La majorité des exégètes actuels s’accordent pour dater la rédaction de l’Apocalypse de Jean de la fin du règne de Domitien, en tout cas du règne de cet empereur romain, entre les années 60 et 96. Son insertion dans le canon biblique n’a pas été sans poser question de l’Antiquité à Luther. Longtemps identifiée à l’empereur Néron, « la Bête »  dont il est question et qu’il convient d’anéantir porte un chiffre, « 666 ». La bataille qui opposera le bien et le mal aura lieu sur la colline d’Armageddon.

Les cataclysmes décrits sont les fléaux habituels qui s’abattent sur l’humanité. Plus qu’un tableau du futur, c’est une clef de lecture pour interpréter l’ensemble de l’histoire humaine, comme le rappelle l’article “Apocalypse” de Wikipédia.

Tenture de l’Apocalypse. Château d’Angers. Vidéo du Centre des monuments nationaux.

Voir aussi le DVD, L’Apocalypse , une série documentaire de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur.

Des histoires de fin et de salut, ici et ailleurs.

Sous le titre L’Apocalypse d’hier à demain Le Monde des religions a consacré en juin 2016 un numéro de sa Collection Histoire à ce sujet. Une frise présente les différentes « fins du monde » qui ont émaillé l’histoire de l’humanité. En effet, c’est par des apocalypses que les hommes ont imaginé les changements auxquels ils aspiraient ou qui leur semblaient inéluctables.

Pour les zoroastriens, adeptes de la religion des anciens Iraniens, la fin du monde n’est ni crainte, ni subie : elle est une échéance, un but. Dans cette théorie dodéca-millénariste, des périodes de 3 millénaires chacune se succèdent, puis, à partir du sixième millénaire, ce sont des périodes de 1000 ans, la naissance de leur prophète survenant au neuvième millénaire. Pour une introduction à ces croyances, on pourra se reporter à l’ouvrage Les livres sacrés de l’Avesta , présentés et traduits par Pierre Lecoq.

L’eschatologie juive telle qu’elle figure dans le Talmud établit que le monde que nous connaissons n’existera que pendant 6000 ans à dater de la création du monde (selon le calendrier hébreu, la “fin des jours” serait donc pour l’an 2240 ap. J.-C.). Ces 6000 ans sont divisés en trois périodes : 2000 ans de chaos, 2000 ans de Torah (du don de la Torah jusqu’à la destruction du Second Temple), 2000 ans de Temps messianiques. Mais le Talmud ajoute que, du fait des péchés d’Israël, les Temps messianiques sont retardés.

L’apocalypse est très présente dans le Coran. Les versets annonçant la proximité du jour du Jugement dernier occupent une place de choix dans les dernières sourates du Coran, les plus anciennes. Les évènements eschatologiques, appelés L’Heure, dont personne sauf Dieu ne connaît la date, seront précédés de signes et se dérouleront en plusieurs étapes : destruction des créatures vivantes, résurrection des morts, rassemblement de tous les hommes, Jugement et partage entre l’enfer et le paradis. La venue du Mahdi sera un des signes de la proximité de la fin des temps et précèdera le retour de Jésus qui reviendra pour tuer l’Antéchrist (Dajjal). Certains hadiths montrent que Muhammad pensait la fin du monde imminente et devait correspondre à la chute de Constantinople. Montrant son majeur et son index réunis : « Moi-même et l’Heure avons été envoyés comme ces deux-ci.». Dans l’eschatologie chiite cependant, c’est le douzième imam, l’imam caché qui viendra accomplir sa mission de salut à la fin des temps. La fin de toute chose par Christian Jambet est une étude philosophique du messianisme et de la fin des temps dans la religion musulmane.

L’apocalypse (ou la catastrophe) est souvent lue au présent ou au futur, mais c’est au passé que la déclinent les textes mayas ou sumériens. Le rôle des déluges, des inondations, dans ces civilisations et dans d’autres mythologies montre l’importance de  l’eau dans la renaissance de l’humanité pendant et après la catastrophe. On ne peut s’empêcher de penser que la préoccupation écologique pour l’actuelle montée des eaux vient réveiller une angoisse archaïque déposée dans ces anciennes croyances.

A lire : La fin du monde : treize légendes des déluges mésopotamiens au mythe maya de l’historien et anthropologue Bernard Sergent.

Entrée dans l’arche de Noé

Bibliothèque municipale de Lyon, Rés Inc 57, sur Numelyo

Salut ou bonheur ?

Penser et faire advenir la fin du monde, hâter la fin et accélérer les changements politiques et sociaux pour précipiter la venue d’un messie sont des préoccupations eschatologiques à l’œuvre aujourd’hui encore comme le montre l’équipe d’Emma Aubin-Boltanski et Claudine Gauthier dans l’ouvrage collectif qu’elles dirigent, Penser la fin du monde. Car c’est en définitive «Faire coïncider calcul des rythmes cosmiques, traditions religieuses et évènements sociétaux ». Quelle est donc la part de l’action des hommes dans les différentes catastrophes qui ont jalonné leur histoire  ? se demande Michèle Riot-Sarcey dans son ouvrage De la catastrophe : l’homme à l’œuvre du Déluge à Fukushima.

Mille ans semble une mesure récurrente quand il s’agit d’eschatologie et de salut, on l’a vu. Mais le millénarisme, s’il signale une parenté, voire une filiation entre les religions, peut avoir une portée plus politique. Aux Etats-Unis, face à la sécularisation de la société, des communautés religieuses développent des “prophéties politiques”, telles que celle voyant Donald Trump comme le roi perse Cyrus ayant permis le retour à Jérusalem du peuple juif exilé (au VIe siècle avant notre ère !). Déjà après les attentats de 2001 Bush avait lui aussi usé de ce genre d’ “eschatologie politique”. Une théorie recensant les sept sphères d’influences à conquérir pour l’avènement du règne de Dieu sur terre (arts, affaires, éducation, famille, gouvernement, médias et religion) a cours chez les charismatiques évangéliques américains, c’est la Théorie des sept montagnes. La lecture de l’ouvrage Moïse à Washington est à cet égard très éclairante sur l’importance des références bibliques dans la formation de la nation américaine, de sa culture et de sa conception du salut..

Jean-Pierre Filiu, quant à lui, étudie dans L’Apocalypse dans l’islam l’eschatologie islamiste à l’oeuvre dans les guerres et attentats commis ces dernières années au nom du salut des musulmans, et dont la presse se fait quotidiennement l’écho.

« La catastrophe est là, tant mieux ! » écrivait Guillaume Goubert dans l’éditorial du journal La Croix du 26 septembre 2019, suite au rapport du GIEC prophétisant le désastre écologique. Dans un monde soi-disant sécularisé les traces des eschatologies religieuses sautent aux yeux. La fin d’un monde passe pour la fin du monde. On parle de sauver la terre quand il s’agit ni plus ni moins que de sauver l’humanité. L’hubris des hommes leur fait envisager de fuir vers d’autres cieux dans des vaisseaux qui n’auront plus rien d’une arche de Noé.

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